La cédraie du Moyen-Atlas interpelle !

Reboisement par ci, inquiétudes par là

Le lancement de la campagne de reboisement au titre du programme décennal 2015-2024, qui a eu lieu mardi dernier dans la forêt d’Azrou, revient chaque automne comme l’eternel serpent de mer et suscite à chaque fois  des réactions mitigées. Face à la situation actuelle de la cédraie marocaine, on «touche du bois»

Le choix de la forêt d’Azrou  pour le lancement de la campagne de reboisement n’est sans nul doute pas un hasard. Côté court, la région concentre l’essentiel de la cédraie du Maroc couvrant environ 104000 ha, soit  plus de 80% de la superficie nationale. Le «cèdre de l’Atlas», variété endémique d’une importance indéniable écologique  et socio-économique, est considéré d’ailleurs comme patrimoine naturel mondial et représente, à lui seul, la moitié de la biodiversité marocaine. Côté jardin, les forêts de la région continuent d’agréger toute la  problématique, les souffrances et  les contradictions des forêts marocaines. Il y’a 2 ans, en 2013, l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), première organisation environnementale mondiale créée en 1948, basée en Suisse, dresse un constat alarmant : le cèdre figure parmi les 34% de conifères menacés d’extinction, soit une augmentation de 4% depuis 1998. «Le cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica) a vu son statut passer de «préoccupation mineure» à «en danger» en raison de sa surexploitation», indique le rapport. Il intègre la tristement célèbre  « liste rouge des espèces en voie de disparition» de l’UICN.

A l’exception  des sophistes qui emmêlent le débat dans des arguties juridiques et socio-économiques, qui peut sérieusement contester la réalité du terrain sa qualité de lanceur d’alerte? Les faits rapportés, les rapports dressés et la myriade de documents d’experts sur la régression des forêts nationales s’ajoutent à cette réalité et dessinent un portrait toujours plus précis de la menace et les dégradations subies par la cédraie de la région. Changement climatique bien sûr mais surtout surpâturage, coupe et prélèvements délictueux et criminels du bois d’œuvre et de chauffe, mauvaise conduite des sylvicultures,  mauvais état sanitaire, corruption  et complicité à tous les étages : les facteurs sont nombreux et multiples.

Malgré le vent de scepticisme  qui pénètre dans les cercles avertis, le Dr Abdeladim El Hafi, Haut-commissaire aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification du Maroc (HCEFLCD), parait, mardi dernier à l’occasion de la traditionnelle cérémonie d’automne de lancement de la campagne de reboisement (voir Al Bayane du mercredi 02/11 courant), plutôt serein et rassure sur l’avenir des forêts marocaines. «Les règles du jeu ont changé et les choses évoluent», résume-t-il. L’ordonnance du docteur El Hafi repose sur plusieurs éléments qui peuvent paraître nouveaux, notamment : la planification des interventions forestières (le reboisement en premières lignes), l’aménagement éco-systémique des forêts, l’implication des usagers et de la société qui occupent, selon Dr El Hafi «une place encore plus importante dans le processus de gestion», en conformité avec un des axes du développement durable. » Ainsi, «après les bons résultats positifs du plan décennal 2005-2014», insiste Dr. El Hafi, qui tient à souligner que la superficie forestière marocaine a augmenté de 2% en gagnant, en 10 ans,  pas moins de 116000 Ha en extension.

Pour le programme décennal 2015-2024, au niveau de la cédraie du Moyen Atlas, le Haut Commissariat ambitionne la réalisation de 10 projets territoriaux dans le cadre d’un programme de régénération de 60000 hectares dont  30000 Ha de cèdres (7200 ha au niveau des forêts de la province d’Ifrane) pour une enveloppe budgétaire estimée à 461 millions de DH. Au niveau du bois d’énergie, un ambitieux programme a été élaboré pour équiper 60000 ménages en fours améliorés dans l’objectif de diminuer la pression sur la forêt pour espérer atteindre une économie sur les prélèvements de bois.

 Cri d’orfraie

Un programme certes très ambitieux. Mais à quelques encablures du site du lancement de cette opération de reboisement, au niveau de la forêt de cèdre de Senoual, à cheval des frontières des provinces de Khenifra et d’Ifrane, le constat est cruel pour ne donner raison et légitimer les sceptiques : un véritable cimetière de cèdres centenaires abattus et façonnés aux yeux de tout le monde. Dans une sorte de no man’s land forestier, avec leurs lacis mafieux impénétrables, des personnes influentes exploitent et profitent de  la délinquance forestière,  dictent leurs lois et continuent à sévir dans l’impunité, massacrant quotidiennement et mettant à genoux le règne de majestueux cèdres réduits en billes de deux mètres.

 Experts, acteurs associatifs, journalistes et plus récemment des forestiers, multiplient aujourd’hui les initiatives et montent au créneau  pour tirer la sonnette d’alarme  et pousser des cris d’orfraie qui «ne semblent toujours pas servir à quelque chose», déplore M. Hassani, un chercheur  marocain sur les écosystèmes du cèdre de l’Atlas. «Le cèdre meurt en silence», s’indigne, pour sa part, un militant associatif d’Azrou.

Au-delà des bonnes volontés, des projections soient-elles rassurantes et ambitieuses,  la vérité, dans le cas de la cédraie du Moyen Atlas,  «la vérité, comme dirait l’autre, c’est qu’il y’a une quantité  incroyable de gouttes qui ne font pas déborder le vase».

Mohamed Ezzine

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