«La passion d’Abdelkébir pour l’écriture est restée vivante jusqu’à ses derniers jours»

Mona Martensson est la première épouse du penseur et sociologue Marocain Abdelkébir Khatibi. Elle est sociologue et a fait beaucoup de travaux de recherche conjointement avec Khatibi avant de quitter le Maroc vers la Suède, son pays natal. Khatibi, lui voulait rester au Maroc. Mona Martensson est actuellement chercheuse au département de sociologie à l’université de Stockholm en Suède. Elle se confie dans cette interview sur son rapport à Abdelkébir Khatibi, l’époux, l’intellectuel et l’ami. Les propos.

Dites-nous d’abord quels sont vos souvenirs d’Abdelkébir Khatibi?

Mona Martensson : Mes souvenirs d’Abdel datent surtout de la période 1960-1972, où il était d’abord étudiant et doctorant à Paris, puis jeune directeur de l’institut de Sociologie et responsable de la section de sciences sociales au Centre Universitaire de la Recherche Scientifique à Rabat. Durant cette période, il a fait de nombreux séjours en Suède.

Comment était Khatibi en tant que personne?

Abdel était un homme remarquablement présent et sociable. Je me souviens particulièrement de son amabilité et de sa douceur. On les retrouvait aussi chez sa mère, ses frères et sa sœur en quelque sorte un héritage familial. En vrai humaniste, il était aussi un féministe convaincu. Il était bon conteur, débordant d’humour, trouvant facilement des raisons pour rire. Approchant les autres avec respect, il les mettait à l’aise. C’était un observateur perspicace – mais bienveillant et compréhensif – de la psychologie de ses proches. Il se souciait des vieux amis et ne cessait de s’enquérir de l’ancien cercle de famille et d’amis en Suède.

Que pouvez-vous nous dire sur son contact avec le monde extérieur?

InterviewSon rapport avec le monde social, culturel et naturel qui l’entourait était marqué de curiosité et d’ouverture d’esprit. Il cherchait toujours à élargir ses connaissances et expériences, ne craignant pas les défis des langues et les pratiques de cultures inconnues. Il approchait les sports d’hiver en vrai homo ludens, par exemple le ski de descente et le patinage longue distance sur lacs gelés, et il se trouvait à l’aise dans les chalets de montagne sans confort.Cette présence était souvent accompagnée d’une absence, voire d’une distraction qui amusait, où l’on voyait qu’Abdel était perdu dans ses pensées. La distraction tenait à un travail intérieur et une réflexion constants, surtout sur ses projets littéraires. Sa passion pour l’écriture a commencé tôt, comme en témoignaient des carnets remplis de poèmes écrits à la main. L’une des premières récompenses de cette passion a été le premier prix d’un concours de poésie à Paris au début des années 1960. Le prix, très apprécié, fut l’intégrale des quatuors à cordes de Beethoven.

Comment Khatibi organisait-il son temps?

La journée de travail idéale à Rabat était pour lui marquée de routines : travail au bureau le matin pour être libre d’écrire à la maison l’après-midi, tout en écoutant de la musique classique ou du jazz. Une constante chez Abdel était l’engagement politique, dans une situation ou l’effort d’agir à l’intérieur des limites du climat politique était une sorte de défi. Avec des amis, il a organisé des forums de discussion et débat en sciences humaines, entre autres un séminaire-diner informel qui a été actif pendant plusieurs années à Rabat.

Que pouvez-vous ajouter comme dernier mot Pr. Mona Martensson?

Sa passion pour l’écriture est naturellement restée vivante jusqu’à ses derniers jours. Après avoir reçu en 2008 le prix de la Société des Gens de lettres (poésies) pour l’ensemble de son œuvre, il me disait au téléphone «ça encourage à continuer…».

Mourad El Khatibi

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