«La qualité, moins chère que la non qualité»

Si la qualité des produits, considérée comme le maillon faible de la chaîne de l’agroalimentaire, connait depuis quelques années des améliorations au Maroc, pour Mounir Diouri, directeur général de Qualilab international, laboratoire spécialisé dans l’agroalimentaire, le Royaume accuse toujours un retard. Et pour cause, peu d’entreprises ont une réelle volonté en matière de qualité. Pour celles qui y adhèrent, notamment les sociétés exportatrices, il s’agit bien souvent d’un simple respect des exigences des donneurs d’ordre et des clients, en matière de certifications ou systèmes qualité. Mais pour l’expert, «la garantie d’une bonne qualité de produit n’est pas une question de normes ou de certifications mais plutôt d’engagement du producteur». Les propos.

Al Bayane : Que pensez-vous de la qualité des produits agroalimentaires au Maroc aujourd’hui ? Y’a-t-il un engouement aussi bien de la part des producteurs locaux que des entreprises exportatrices?

Diouri Mounir : La qualité au Maroc est en permanente amélioration et ce, depuis les années 2000. Il faut avouer qu’il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine en termes de qualité, aussi bien au niveau des systèmes que des produits. Les sociétés exportatrices sont plus à l’écoute de ces impératifs de qualité. Les producteurs pour le marché local sont en traîne mais différents organismes participent activement à cette démarche afin de mettre toutes les entreprises à un niveau dequalité respectant les standards internationaux.

Comment le Maroc est-il aujourd’hui classé par rapport à d’autres pays, notamment les pays concurrents?

Le Maroc a pris du retard au niveau de la qualité et de la certification par rapport aux pays de la région. L’alerte a été donnée à la fin des années 90, disant que les entreprises devaient se mettre dans une démarche qualité. La nouvelle dynamique du Maroc depuis le début 2000 a participé à prendre conscience de l’urgence dans ce domaine. Par ailleurs, les entreprises ayant adhéré à des systèmes qualité ont pu prendre de l’avance et ont des systèmes de très grande qualité.  Nous avons deux types d’entreprises: celles qui ont une exigence de leurs clients ou donneurs d’ordre et celles ayant plus une motivation interne d’amélioration. Les premières sont donc obligées de se mettre au rythme de la qualité de leurs clients ou donneurs d’ordre en termes de système qualité et de certification. Les deuxièmes sont plus dans une dimension de volontarisme et donc peu nombreuses. Je n’ai pas de chiffres exacts, mais par rapport à certains pays de la région, nous accusons encore un retard dans ce processus qualité. Le potentiel est bel et bien là, mais la motivation des intervenants est assez faible.

Quel est le coût de la qualité pour les entreprises marocaines spécialisées dans l’agroalimentaire?

C’est une question assez complexe. La qualité a un coût mais il reste très faible, voire négligeable par rapport au coût de la non qualité. Il faut savoir qu’avec de la qualité on est capable de réduire les pertes, les rebus, le temps de productions et d’augmenter la satisfaction des clients. Un retour ou un rappel de produit non conforme peut être fatal pour une entreprise dans le domaine agroalimentaire. Les clients sont en permanence à la recherche d’un produit sain, sûr, rentable et surtout qui justifie le prix à payer. Le défi, aussi bien du consommateur que du client, est d’avoir le meilleur rapport qualité/prix.

Quelles sont les procédures de mise en place d’une démarche qualité dans une entreprise ? Quelles sont les règles respectées par un laboratoire comme le vôtre ? Quels types d’analyses faites-vous ? En quoi consistent-elles?

Selon le référentiel à mettre en place, un diagnostic doit être réalisé. Les résultats de ce diagnostic feront l’objet d’un accompagnement de mise en place des procédures qualité exigées par ladite norme.

Le laboratoire de contrôle, comme le laboratoire Qualilab International, a une mission stratégique pour le suivi de la conformité des produits agroalimentaires des entreprises. Les principales règles à respecter par le laboratoire sont la connaissance des exigences des clients et surtout la maîtrise et la fidélité des analyses effectuées. Le laboratoire doit être accrédité pour les analyses effectuées. Celles qui sont effectuées sont essentiellement microbiologiques et des fois chimiques. Elles permettent de donner un avis sur la qualité des produits analysés et sur l’application des bonnes pratiques de fabrication et d’hygiène au sein de l’entreprise. Ce suivi est également une exigence réglementaire au niveau de la loi de l’ONSSA

Quels sont les principaux produits agroalimentaires qui doivent nécessairement souscrire à une démarche qualité et qui doivent subir les contrôles préalables nécessaires?

Tous les produits agroalimentaires doivent avoir une démarche qualité et surtout une démarche sécurité sanitaire. C’est clair que les produits à base de protéines animales sont les plus à risque, mais les produits d’origine végétale ne sont pas en reste. Le mode de conservation joue également un grand rôle dans la détermination des suivis sanitaires. Un produit qui doit être stocké sous température dirigée est plus à risque qu’un produit stable à température ambiante. La règle générale est de respecter la réglementation en vigueur et les bonnes pratiques de chaque produit. Une analyse de risque est complémentaire à cette démarche.

Le Maroc a introduit le système HACCP depuis quelques années. Au regard de vos activités, quel en est le bilan ? Quelle est votre évaluation?

L’introduction de cette démarche dans la loi de l’ONSSA est nouvelle mais l’application a, depuis plusieurs années,existé au Maroc. Le bilan est positif et les efforts sont soutenus par tous les intervenants. Le HACCP est une méthode d’analyse de risque pour maitriser tous les dangers potentiels dans la chaîne de production. La conviction des opérateurs d’y adhérer est en bonne voie, à l’image du développement du secteur.

Quand on parle souvent de qualité, on fait inéluctablement référence à la certification, normalisation et labellisation. Quelle est la différence entre les trois ? Sont-elles toujours garantes d’une bonne qualité d’un produit?

Les normes sont élaborées par des organismes spécialisés aussi bien au niveau national qu’international. «Une norme est un document, établi par consensus et approuvé par un organisme reconnu qui fournit, pour des usages communs et répétés, des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques, pour des activités ou leurs résultats, garantissant un niveau d’ordre optimal dans un contexte donné» (Guide ISO/CEI 2:2004, définition 3.2).

Au niveau international, l’organisme ISO (International Standard Organisation) s’occupe de leur élaboration. L’IMANOR (Institut Marocain de Normalisation) est en charge de définir les besoins et d’élaborer les normes au Maroc. Ceci est fait au sein de différents comités de spécialistes en fonction de la norme à élaborer. Une norme peut concerner une définition de critères pour un produit, une manière de faire, un critère d’acceptabilité ou une exigence à suivre. Les normes qualité font partie de cette démarche collégiale. La finalité d’une norme est de répondre à un besoin bien précis aussi bien de la part des opérateurs que des comités eux-mêmes.

La norme, c’est le code que l’on doit suivre, soit pour une labellisation, soit pour une certification. C’est sur la base des normes qu’on va attribuer un label, par exemple le label Halal. Pour une certification, là aussi, on va délivrer un certificat qui va attester que l’entreprise respecte toutes les exigences qui sont précisées au niveau de cette norme, exigences qui sont en rapport avec la mise en place d’un système de management de la sécurité sanitaire des aliments, dans le cadre des produits agroalimentaires.

La garantie d’une bonne qualité de produit n’est pas une question de normes ou de certifications mais plutôt d’engagement du producteur, surtout au niveau de la sécurité sanitaire des aliments. N’oublions jamais que ces produits doivent être exempts de tous risques sanitaires sachant qu’ils vont être destinés à toute la population dont une partie est à risque (enfants, personnes malades, personnes âgées et femmes enceintes).

 

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La qualité en souffrance !

La qualité souffre. Toujours en convalescence et peut-être même en «réanimation» ! Et ce, depuis des années ! Elle s’améliore mais ne guérit pas totalement ! Elle reste toujours le maillon faible du secteur de l’agroalimentaire !  Des efforts sont consentis, personne n’en dit le contraire. Toutefois, le «mais» demeure… Les tables des Marocains ne sont pas toujours totalement saines et les produits agricoles exempts de toute souillure !

Depuis quelques années, le Royaume s’est engagé à crever l’abcès, à améliorer la qualité des produits agroalimentaires. Un engagement qui a atteint sa vitesse de croisière avec la création de laboratoires spécialisés dans la qualité des produits agroalimentaires, la mise en place de l’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires (ONSSA), l’élaboration de codes officiels de qualité… Et pourtant, ces mesures n’ont pas sonné le glas des produits impropres à la consommation. Où le bât blesse t-il ?

Les bilans des contrôles qualité effectués par l’ONSSA laissent pantois. 620 tonnes de produits défectueux saisis en mars ! Mais les chiffres relayés ne seraient pas si horrifiques qu’ils en ont l’air. La réalité serait plus effroyable et pourrait faire tomber dans les pommes! Le marché de l’informel serait l’agent pathogène et le vecteur de la maladie. Malheureusement, il résisterait et échapperait jusque-là à tout contrôle.

Mais attention, ceux qui paraissent en santé, seraient également infectés. Et quelque fois, c’est le juge ultime de la qualité, le consommateur, qui serait à l’origine du diagnostic. Des odeurs fétides l’alertent dans des espaces huppés, des dates de péremption dépassées, des produits employés pour ressusciter la viande avariée… tout le met sur ses gardes ! Il est méfiant, qu’on se rende à l’évidence !Il achète, mais il soupçonne ! Il apprécie les efforts déployés par la «poignée» de producteurs consciencieux  en matière de qualité. Il les encense  peut-être, mais en veut plus et en voudra toujours plus. Une table très saine, des produits pas seulement certifiés, labellisés, mais de qualité et surtout à des prix alléchants. Il faudra continuellement assouvir sa soif. Courage, producteurs !

Danielle Engolo

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