Hiba devait se marier. Elle s’était préparée à ce tournant de sa vie depuis quelques temps avec une grande minutie.
Certes, ce n’était pas la première fois qu’elle allait convoler en justes noces ; mais son grand espoir est que cette fois soit la bonne ; et qu’elle pourra ainsi réaliser son rêve, celui de fonder une famille.
La première fois qu’elle s’est mise en couple légalement, elle a été battue attachée à un arbre lors des « sept jours d’abricot », par cela interrompues. Si la seconde fois couronna une relation d’amour, elle va être pour elle le début de la pente vers l’enfer du monde interdit. Elle s’en est sortie avec une cicatrice sur le bras et la perte de ses illusions. Jamais deux sans trois se disait-elle.
Hiba est un enfant de l’amour, sauf qu’il a été conçu en dehors des normes régissant la procréation dans notre société. Elle est née suite à une relation hors du mariage comme il y en a tant. Une relation d’amour qui va cesser juste après sa naissance, par décision de sa mère.Celle-ci, femme de caractère, vivait comme elle l’entendait. Lors de sa grossesse, elle avait supporté les regards et les remarques de son entourage ;mais après l’accouchement, n’arrivant plus à comprendre son amant et père de sa fille, à cause de ses ambiguïtés, elle a décidé de s’en séparer.
Hiba a été scolarisée par sa mère dont la rigueur éducationnelle frisait la maltraitance. Il faut dire à sa décharge qu’elle connaissait le contexte dans lequel elles vivaient, les menaces encourues et que ses conditions étaient difficiles.
Sa présence à l’écolene fût pas de tout repos. Les enfants avec lesquels elle partageait la classe n’étaient pas des chérubins. Ils prenaient le plaisir de remuer dans son esprit des questions dont elle n’avait pas de réponses alors.
La mère fuyant les remparts au sein desquels elle se sentait prisonnière, le père en geôle pour cause de commerce illicite, Hiba est alors prise en charge par sa grand-mère paternelle.Elle devenait sa « Cosette ». Enrôlée dans un travail de « garçon à tout faire », elle se confrontait avec la réalité de l’exploitation des enfants, la corvée à merci et l’abus des attouchements inconsidérés.
Dans ce monde où la malice et la délinquance se confondaient, la personnalité de l’enfant se forgeait pour l’essentiel dans la souffrance de l’incompréhension, celle du manque et de la punition injuste et celle du détournement. Elle trouvait dans le chapardage le moyen de rendre la monnaie à ses accapareurs dont sa famille en premier lieu. Elle s’est rendue compte qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même et sur sa capacité de s’en sortir des embarras de toute sorte dans laquelle elle se trouvait impliquée. Sa bonne étoile,à laquelle elle croit toujours, lui permettait de se remettre debout après toute chute.
Le retour de la mère, moins pesante car malade, lui permit de s’inscrire dans l’état civil et d’avoir enfin un patronyme grâce à la diligence d’un compagnon de sa mère, toujours épicurienne.
Pour son bien et pourassurer son avenir,la famille décida de la marier à un jeune du douar. Elle fugua suite àla maltraitance de son jeune conjoint. De l’avis de son époux, qui s’exprimait lors du châtiment, ce traitement devait la rendre plus docile et plus obéissante à son commandement.
Dégourdie et forte, Hiba se prit en charge en usant de sa force de travail. C’est alors qu’elle fût sensibilisée à la solidarité, à l’amitié et à l’ouverture sur l’autre. Elle voulait avoir pignon sur rue et se trouva un logement indépendant. Par le fruit de son labeur dans les maraichages, elle arrivait à prendre soin de sa mère alitée.Hiba est maintenant une belle jeune femme qui assume complétement son être qu’elle cachait des rayons brulants du soleil en s’enveloppant de la tête aux pieds.
Epanouie,elle a une relation banale avec son père, et éprouve un sentiment d’amour immense pour sa mère, malgré la dureté des rapports qu’elle eue avec elle durant son enfance.Les difficultés qu’elle a rencontrée lors de son devenir l’ont rendue plus circonspecte dans ses rapports avec l’autre ; mais cela ne l’empêcha pas de faire la connaissance de celui qui allait devenir son second époux.
Elle aménagea chez lui, dans la maison de ses parents, tenant le domicile au mieux qu’elle pouvait. Son mari, pour égayer ses heures tardives, s’adonnaità la boisson et à l’usage de plantes psychotropes. Désargenté, il lui suggéra d’aller chercher l’argent là où elle pouvait le prendre. Elle devenait une marchandise pour les autres autant qu’elle était un objet pour lui. Dans le trouble de ses émotions, sur la pente des concessions accordées, elle fût happée par la vénalité des rapports jusqu’au trop plein qui amena la discorde.
La séparation conflictuelle n’arrêta pas pour autant le commerce du corps avec ses stigmates et ses contradictions. C’est dans cette ambiance qu’elle s’acoquina avec son futur prétendant. Ce dernier se pacsait plus facilement qu’il ne s’engageait dans un processus de légitimation de la relation engagée. Cela répondait à ses besoins sans entraver sa liberté. Cette asymétrie dans le comportement devenait très vite source de conflits où apparaissaient les bleus sur le visage, voire du travail pour le dentiste. Au fil du temps, l’appréciation de l’autre emportant la balance, la décision du mariage fut négociée auprès de la famille.
Les papiers furent préparés selon la procédure et la date fut fixée en raison des disponibilités des uns et des autres. Au moment définitif, un argument moral, venant du passé de débauche, empêcha la conclusion du contrat.
Hiba se retrouva tel Sisyphepoussant le rocher jusqu’au sommet d’une colline du Tartare, qui, une fois tout en haut, dévalait à nouveau la pente éternellement…
Croyant toujours à son étoile, ravalant ses sentiments de déception et d’amertume, elle sortit pour se fendre dans la foule en liesse à l’occasion de la célébration de la fête du Trône.