Latifa Mintbeh, la gardienne de la «blouza»!

Oujda, Capitale de la culture arabe 2018

L’action associative occupe la majorité de son temps. Elle se considère comme militante, vouée à la préservation de la tenue traditionnelle oujdia, «la Blouza». Sa devise : «Ne jamais battre en retraite quels que soient les obstacles».

«La vie se prend à bras le corps. Il n’y a pas de place pour les losers», dit-elle. Depuis son enfance, alors qu’elle était encore au primaire à l’école Ibnou Adari, Latifa se projetait déjà dans l’univers de la couture. Un monde qui la fascinait. La majorité de son temps, on l’apercevait en train d’assembler les tissus, surfiler les contours d’une chemise ou faire des coupes.  En été, lors des grandes vacances, alors qu’elle avait à peine 15 ans, la petite fille du quartier historique dit «Village Toba», opposait un niet catégorique à l’offre de sa famille de les rejoindre à Saïdia, préférant passer ses vacances chez sa tante maternelle, Malika, qui était couturière de blouza. «Je vivais  presque dans l’ombre de ma tante. Je voulais à tout prix lui ressembler et apprendre le b.a.-ba du métier», affirme-t-elle.

En fait, son appétit d’apprendre la couture n’avait pas de limites. Tout en poursuivant ses études en gestion commerciale au Lycée technique Omar Ibn Abdelaziz, elle décida d’aiguiser davantage sa passion pour les habits traditionnels, en se rendant fréquemment chez Léyah, une juive marocaine, qui habitait à proximité du siège central de la poste et qui dispensait des cours de couture. «C’était une dame d’une créativité et d’une imagination fabuleuses qui n’épargnait rien pour nous initier à l’art de la couture», déclare Latifa à Al Bayane.

Après un diplôme en techniques de comptabilité, elle intègre une manufacture de confection, toutefois elle n’apprécie pas la routine et le formalisme dicté par le management. Elle décide, par la suite, de créer son propre projet dans le garage de la maison familiale. Au début, elle commence à tailler des caftans, des jellabas… Pour attirer la clientèle, la jeune oujdia, qui a un vrai sens du marketing, veille durant les fêtes familiales à inviter les invités dans sa propre confection.

Débordante d’audace et d’inventivité, Latifa va ainsi donner un nouveau look à la cape (Abaya) portée par les femmes uniquement à la maison, en y apportant sa touche artistique singulière.  «J’ai créé des capes de femmes assorties aux capuches. Mon idée consistait d’abord à offrir un coup de jeune aux habits traditionnels, afin que les femmes puissent les porter en dehors de la maison».

Grace à sa copine d’enfance, Fatima Kheir, qui vivait en France, Latifa fera connaissance avec Hélène Leroy, « une styliste française douée», indique-t-elle.  «Grâce à elle j’ai pu aiguiser mes compétences en la matière. Dès lors, j’ai commencé à confectionner des caftans d’un savant mélange. C’était des caftans combinés aux chemises. La finalité était de trouver une alchimie parfaite entre tradition et modernité», avance-t-elle.

Pour Latifa, tout chamboula en 1998 quand elle fut conviée à une cérémonie de mariage de sa cousine à Rabat. «Les invités étaient énormément fascinés quand j’ai porté une blouza oujdia qui appartient à ma mère», avance-t-elle. «C’est à partir de ce moment-là que l’idée de faire renaitre cette tenue traditionnelle a commencé à me tarauder l’esprit», ajoute-t-elle. Selon notre interlocutrice, le déclin de la blouza a été causé par plusieurs facteurs exogènes, notamment l’infiltration du marché marocain par des habits provenant de l’orient et la propagation d’une culture plus au moins conservatrice, sans omettre aussi la concurrence des produits à des prix cassés.

En 2003, son époux tombe malade. Cet événement imprévu et malheureux ne fait que renforcer sa personnalité et sa détermination pour concrétiser ses objectifs. «En quittant mon domicile, je tenais à être souvent élégante. Je faisais le porte-à-porte des entreprises et des établissements pour que je puisse vendre mes produits afin de subvenir aux besoins de ma famille», révèle-t-elle.

L’idée de développer la «Blouza», de lui donner une nouvelle vie, ne l’a jamais quittée. En 2005, elle décide d’organiser un défilé de mode dans une villa au quartier Zenkout à Oujda en tenant à y introduire quelques modèles de Blouza, enjolivés par des couleurs décoratives.

Ce passage réussi lui inspire l’idée de bâtir en décembre 2011 l’«Association orientale pour le développement» en dépit de quelques hésitations manifestées par son entourage immédiat. «Il faut dire que cette institution n’aurait pas pu voir le jour sans le soutien inébranlable de mon époux, ma sœur Jamila et ma chère amie Soumia Kassmi…».

«Les débuts furent difficiles, mais un voyage de mille lieux commence toujours par un premier pas, comme le dit l’adage», déclare notre modéliste.  Il faut dire qu’au début, elle s’est heurtée à une certaine résistance passéiste qui s’explique par la présence d’une mentalité refusant l’innovation. «Les anciennes coutières refusaient de prendre part à nos défilés de mode, alors que les jeunes modélistes avaient délaissé complètement ce patrimoine traditionnel. C’était un véritable dilemme», note-t-elle.

Connu pour son esprit de challenge, elle organise en 2014 un défilé de mode au niveau régional. Elle y expose tous les habits traditionnels de l’oriental et donne une place de choix à la blouza.

«Cet habit a vu le jour à Oujda depuis des siècles, avant même de s’exporter en Algérie. C’est une composante fondamentale de notre identité. Quand je contemple ce vêtement, cela me rappelle ma mère, ma famille…Bref, ça provoque un sentiment de nostalgie dans mon for intérieur. Et je suis davantage animée par une grande motivation de le faire renaitre encore une fois…», confie-t-elle.

Des efforts, enfin récompensés

Selon notre interlocutrice, la région regorge  de plusieurs modèles de ce vêtement ancestral. Comme première étape, elle a mobilisé toutes les anciennes coutières de la région dans une coopérative. Le but escompté étant de compiler leur savoir-faire tout en leur inculquant les nouveautés du métier, que ce soit en matière de stylisme ou de modélisme. Ce qu’on appelle dans le langage moderne le «Knowledge management», laisse-t-elle entendre.

L’aura de la fille de l’Oriental va encore prendre de l’ampleur en 2015. Elle organise, notamment à l’échelle nationale la 1ère édition du festival blouza en y associant toutes les régions du Royaume. En 2016, ce festival prend une nouvelle orientation, puisque différents modélistes et designers représentant des pays africains sont appelés à prendre part à cette manifestation artistique.

Le festival s’élargit davantage en 2017. Il est marqué par la participation des pays du Sud de la Méditerranée, en l’occurrence l’Espagne et le Portugal, outre la Guinée-Bissau. Durant la même année, ses efforts sont enfin récompensés; elle décroche le premier prix National des Meilleurs Artisans (catégorie : l’habillement-accessoires). Sa coopérative est également désignée en tant que meilleure association. Ce qui lui vaut le soutien de la Fondation Mohammed VI. Une véritable consécration!

La gardienne de la Blouza Oujdia doit sa réussite à sa vision de la vie. «La vie doit être affrontée avec optimisme et détermination et ce, en faisant preuve d’un esprit de défis, sinon on risque de rater le départ», conclut-elle.

Khalid Darfaf

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