«Le champ culturel s’est transformé en un cercle dogmatique»

Mohamed Sektaoui, directeur général d’Amnesty-international Maroc, souligne dans cet entretien à Al Bayane que le phénomène du terrorisme n’a épargné aucun champ… Pour lui, le champ culturel s’est transformé en cercle dogmatique ou en un terreau fertile pour la propagation des idées figées et radicales, ajoute-il. Pour lui, le plus important, c’est qu’Il faut œuvrer dans le sens à mettre en place une véritable politique publique ayant pour objectif d’instaurer « une sécurité culturelle».

Al Bayane : Amnesty international Maroc vient de lancer un appel aux intellectuels marocains pour constituer un front culturel, pourquoi une telle initiative ?

Mohamed Sektaoui : La recrudescence de la violence et des actes de terrorisme non seulement dans la zone du Proche-Orient mais également en Afrique nous interpelle à plus d’un titre en tant qu’intellectuels et militants des droits de l’homme. Toutefois, je dois souligner que le phénomène du terrorisme n’est pas réduit seulement à des actes criminels. En fait, le plus grave, c’est qu’on assiste aujourd’hui à l’émergence de ce que l’on pourrait appeler un terrorisme intellectuel et culturel. Un phénomène qui a envahi l’espace universitaire et le champ médiatique, censés être un forum de discussions et de débats libres, loin des idéologies discriminatoires et autres idées ségrégationnistes.

Qu’est-ce vous entendez exactement par le terrorisme culturel ?

En fait, quand une personne, quelle qu’elle soit, monopolise le débat et prétend détenir la vérité absolue au nom de la société, tout en essayant à imposer aux individus sa vision du monde, on est là devant une logique restrictive qui ne fait que conforter le fanatisme. Ce qui nous préoccupe le plus, c’est le rôle néfaste joué par certaines chaînes satellitaires dont les émissions incitent les jeunes à épouser des idées extrémistes… Des cheikhs instrumentalisent la religion en émettant des fatwas étranges, ce qui constitue une invitation claire à la violence.

Autrement dit, on est devant un champ culturel qui favorise l’exclusion, le non-respect du pluralisme et de la diversité culturelle et les valeurs universelles des droits de l’homme. Bref, le champ culturel s’est transformé en cercle dogmatique ou en terreau fertile pour la propagation d’idées figées et radicales. Le rôle de l’intellectuel est d’une importance capitale dans ce combat. C’est le combat de la raison contre l’intégrisme. Evidemment, l’approche sécuritaire est importante, mais n’est point, à elle seule, suffisante.

Qu’est-ce vous proposez comme alternative ?

Il faut œuvrer dans le sens à mettre en place une véritable politique publique ayant pour objectif d’instaurer «une sécurité culturelle». Tous les intellectuels éclairés sont concernés par cette bataille. Cela dit, le changement des mentalités ne peut se faire qu’à travers l’engagement des intellectuels éclairés, afin d’entamer «une rupture épistémologique» avec les modes de pensée archaïques.

Pourquoi vous avez choisi le Salon international de l’édition et du livre (SIEL) pour lancer cette initiative ?

Le SIEL constitue un carrefour pour les intellectuels, non seulement marocains, mais aussi pour ceux provenant d’autres pays de l’Afrique et du Moyen-Orient. C’est un kaléidoscope d’idées, voire un forum de débats et d’échanges. Pour nous, l’enjeu consiste à réussir cette initiative qu’il faudrait élargir à l’ensemble des pays arabes. Pour l’heure, notre initiative a trouvé un écho très favorable auprès des intellectuels marocains.

Votre appel pour la constitution d’un front culturel est-elle destinée également aux religieux ?

Les religieux qui partagent les valeurs humaines et les principes des droits de l’homme tels qu’ils sont reconnus universellement sont les bienvenus.

Je dois rappeler que notre participation au SIEL est placée sous le thème « l’art au service de la paix ». Ainsi, nous avons décidé en collaboration avec le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) d’organiser une cérémonie de commémoration en hommage à la photographe Leila Alaoui, décédée au Burkina-Faso, suite à une attaque terroriste meurtrière.

Khalid Darfaf

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