Le cinéma colonial

métrage au Maroc, Mektoub de J. Pinchon et D. Quintin. C’est une date charnière non seulement parce que c’est le premier film de long métrage tourné au Maroc mais Mektoub va ouvrir la voie à ce qui deviendra un genre cinématographique, le film colonial.

On peut parler, d’un véritable corpus, objet d’étude par excellence. D’abord par sa consistance. De 1919 à 1957 on peut compter plus de 50 films inscrits dans cette optique. Si l’on ouvre l’angle d’approche à l’ensemble des films tournés au Maroc, on arrive facilement à plus de 70 films : si Le fils du soleil ou Itto appartiennent au « genre » ; Othello d’Orson Welles fait partie du lot des films tournés au Maroc ! Il y a, en outre, tout un cinéma colonial espagnol dans le nord et dans le sud du Maroc qui n’est pas comptabilisé ici.

Une des conséquences structurantes  de cette embellie est la création d’un organisme public chargé de mettre de l’ordre dans cette activité et surtout apporter de l’aide administrative et logistique; il s’agit du Centre cinématographique marocain qui verra le jour en effet en janvier 1944. Mais, au-delà de cette mission administrative, le CCM passera à la production dès 1947 avec un court métrage documentaire, aux portes du monde saharien de Robert Varlay

Deux tendances se dégagent de cette production «coloniale» multiforme : des films qui «tournent» au Maroc comme décor, plateau à ciel ouvert où le Marocain est cantonné dans de la figuration, muet, presque sans image; et des films qui s’imprègnent de l’imaginaire local pour raconter des histoires impliquant des indigènes avec des acteurs locaux (l’actrice Itto Benlahcen dans Noces de sable).

C’est en outre, un cinéma qui a ses cinéastes emblématiques : Marie Epstein, Julien Duvivier… et surtout André Zwobada ; un genre qui a produit des titres mythiques, Itto de Marie Epstein et Jean-Benoît Lévy (1934), La septième porte d’André Zwobada (1947) ou encore Noces de sable d’André Zwobada (1948) conte romantique dans un pays imaginaire sur un commentaire de Jean Cocteau…

André Zwobada (1910-1994), producteur (il produira en 1966, le premier film d’Afrique noire, la Noire de… Sembene Ousmane !), a travaillé comme assistant réalisateur et comme acteur avec Jean Renoir… arrivé au Maroc, il contribue activement à la production locale avec des longs métrages de fiction mais aussi des documentaires. Je cite en particulier La symphonie berbère (1947) ; une production du CCM. Le film dit éloquemment, l’esthétique de l’époque. Après un court générique présentant le film comme une coproduction maroco-française, trois plans en ouverture donnent le ton et ce qui sera l’atmosphère du film ils permettent de signifier le lieu et d’annoncer le programme : d’abord, la Koutoubia majestueuse, ensuite le Haut Atlas comme horizon et le troisième plan s’arrête devant la Moumounia, prestigieux palace de la ville ocre. On est dans la carte postale, image idylique renforcée par le commentaire en voix off. Des protagonistes font leur apparition ; un jeune couple européen, suivi d’un responsable de l’hôtel. Les premiers marocains sont en costume traditionnel de garçons de l’hôtel. Ils portent les bagages pendant que le maître d’hôtel offre un bouquet de fleurs à la jeune femme. On comprend qu’il s’agit d’un voyage de noces. D’une image l’autre : on est dans l’héritage romantique de la fin du XIXe siècle. La rencontre de deux mondes est renforcée par la présence de l’automobile qui va traverser la Médina sur la route de la montagne, inscrite au programme. La présence de la voiture à la place de la calèche célèbre pour découvrir la ville de Marrakech instaure un rapport de forces culturel qui va être décliné le long du parcours. Comme le souligne le commentaire très volubile, au cœur de la médina où les autochtones sont des silhouettes mobiles, le bourriquot cède le chemin à son concurrent mécanique ; commentaire redondant avec ce que nous montre les images. La sortie de la ville sur la route de Tizi N’test, le plus haut col d’Afrique du Nord, offre l’occasion à un clin d’œil au génie civil français qui a ouvert la voie vers ces contrées reculées dans le temps et l’espace. Tellement reculées que le jeune couple se voit dans l’obligation de laisser la voiture pour terminer l’exploration à dos de mules…guidé par des «berbères». Le mot revient à plusieurs reprises. Le film est dédié au peuple amazigh ; le regard du couple est le prétexte pour organiser une découverte d’une communauté à travers des rites et des mœurs. Trois séquences vont être présentées : le souk hebdomadaire, la chasse et la célébration d’un mariage ; le regard est tantôt sociologique avec un brin d’ethnographie ; c’est le cas du souk où la caméra montre ce que le commentaire ne dit pas ; notamment quand elle s’arrête sur les métiers exercés par des juifs, décrits à partir de signes religieux mais parfaitement intégrés ; ou encore touristique avec la scène de chasse et puis carrément folklorique avec le montage de plusieurs danses berbères relevant de plusieurs genres ; mais apparemment réunies ici pour justifier le titre du film, «Symphonie berbère». La bande son est loin d’être synchrone avec les musiques jouées. Mais ce n’est pas là le but ; la caméra  est prépondérante ; elle est  plutôt documentaire et construit une vision à travers l’accumulation de détails, ici des pieds nus, là un regard… l’ensemble inséré dans des plans larges qui disent une harmonie séculaire.  On ne voit plus le couple. La symphonie fait oublier l’histoire (celle du couple) et tient lieu d’un nouveau récit, se réclamant, cette fois, de la grande histoire, celle d’une culture et d’un peuple orphelins d’images.

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