Le festival de trop

Annoncée pratiquement à la dernière minute, la nouvelle édition du «festival national du film documentaire sur la culture, l’histoire et l’espace sahraoui» (l’intitulé le plus long des festivals du monde !!) se  tient à Laâyoune du 19 au 22 courant dans une quasi discrétion.

Cela donne déjà une idée sur la pertinence d’une manifestation née sous des auspices idéologiques loin de toute considération cinématographique. Déjà la première édition avait été un échec aussi bien sur le plan artistique qu’organisationnel ; et le pauvre jury impliqué avait essayé de sauver les apparences et s’est contenté de timides recommandations appelant à une révision des critères qui président à la sélection des films inscrits au programme. Des films produits pour la circonstance alors qu’un documentaire suppose des années de travail et de recherche.

Sur le plan organisationnel et malgré l’expérience des cadres du CCM mobilisés dans de dures conditions, les observateurs objectifs ont noté d’énormes dysfonctionnements à tous les échelons de la vie d’un festival (accueil, hébergement, ponctualité…). Normal pour une manifestation pilotée à partir de la capitale en contradiction avec le principe même de la régionalisation. Un festival délocalisé, clé en main.

En fait, ce festival est une erreur. C’est une fausse bonne idée. Une initiative malheureuse de l’ancien ministre de la communication qui est parti d’un postulat erroné, dénotant sa méconnaissance du cinéma marocain. En effet M. Khalfi racontait à ceux qui voulaient l’entendre qu’il s’agissait pour lui d’agir pour «réconcilier le cinéma marocain et la cause nationale» (sic !).

   On sait que le sujet est récurrent et revient sous une forme ou une autre dans l’espace public. Aussi bien pour le court métrage comme pour le long, pour le documentaire comme pour la fiction, la question nationale est l’objet, implicitement ou explicitement, de traitement cinématographique diversifié. Faut-il rappeler, dans ce sens,  les documentaires réalisés dans la ferveur patriotique qui a accompagné la Marche Verte; je cite à ce propos le long métrage de feu Mohamed Lotfi, La Marche Verte (1975) et le court métrage portant le même titre de Souheil Benbarka.

Pour la fiction, il y a lieu de citer le très beau court métrage de Hassan Legzouli, «Quand le soleil fait tomber les moineaux», «l3adrej» (1999), entièrement tourné dans un village du Moyen-Atlas, avec les habitants jouant leur propre rôle. Beaucoup de jeunes de ce village sont des militaires mobilisés dans la guerre imposée au pays. L’un des moments forts du film est la scène de l’arrivée de deux représentants des autorités chargées d’informer une famille de la mort de ses deux enfants dans la guerre. Le tout filmé avec justesse et distance qui n’exclut pas l’émotion…

En fait, il ne  s’agit même pas de discuter cet argument fallacieux en faisant l’historique du cinéma marocain car nous sommes en face tout simplement d’un geste politicien dicté au ministre par des conseillers cherchant à pallier l’absence de programme par des propositions caressant l’opinion du ministre dans le sens de son idéologie. Sauf que ce faisant, ils ont repris à l’égard de la question nationale la logique de Basri qui avait fait tant de mal à la cause qu’elle veut servir en encourageant une forme d’économie de rente remise en question par les nouvelles orientations royales. Avec un nouveau fonds d’aide dédié d’une manière discriminatoire aux films sur le Sahara, on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération de «chasseurs de prime» pour reprendre une formule popularisée par feu Mostafa Mesnaoui.

Cette discrimination, toute positive qu’elle se veut être,  suscite l’ire des expressions culturelles autres que le hassani. Les Amazighs sont en première ligne pour revendiquer un fonds similaire. Et ils sont dans leur droit de réclamer une discrimination positive à l’égard des films documentaires sur la culture amazighe. Quand on ouvre la boîte de Pandore….

Le plus naturel aurait été de verser les dix millions de dirhams dans la cagnotte du fonds d’aide national qui gère l’avance sur recettes en le réorganisant pour instaurer une quatrième session dédiée spécifiquement aux premières œuvres et au documentaire.

Il est dommage que la profession ne soit pas suffisamment organisée et unie pour savoir dire non aux initiatives qui, in fine, lui sont nuisibles. Il fallait en 2012 dire non au livre blanc qui a engendré une année blanche de la production ; dire non à la mascarade des assises dont les résolutions sont restées lettre morte (la preuve, on se réunit encore pour adopter de nouvelles résolutions).

J’ai parlé d’une année blanche pour 2012, en fait, il s’agit de quatre années noires qui viennent d’être «consacrées» à Marrakech…et ce n’est pas les mirages de Laâyoune qui pourraient faire illusion sur un triste bilan.  Les chiffres des entrées de 2016 viendront conforter les uns ou démentir les autres.

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