«Le FIFM c’est notre image mise en public»

Youssef Britel, réalisateur du film «La marche verte»

Al Bayane : Que pensez-vous du festival international du film de Marrakech et de sa quinzième édition ?

Youssef Britel : Le festival international du film de Marrakech est un rendez-vous annuel d’exception. C’est un rendez-vous professionnel à ne pas manquer. Aujourd’hui, la ville ocre est connue partout dans le monde par son festival de cinéma. Pour ce qui est cette édition, je trouve qu’elle est réussie, pour la simple raison que Francis Ford Coppola est présent ici, en tant que président du jury et c’est assez suffisant.

Certains professionnels marocains du cinéma ont un autre avis sur le Festival. Qu’en dites-vous ?

Il se peut que d’autres pensent le contraire. Moi, je ne suis pas de cet avis. C’est notre festival à tous, c’est notre image à tous. Par conséquent, nous devons tous participer pour que ce festival prenne de l’ampleur d’autant que c’est notre image qui est mise en public.

Pour sa 15e bougie, le Festival a choisi de rendre hommage au cinéma canadien. Quelle signification peut-on donner à cet hommage ? Connaissez-vous ce cinéma ?

Honnêtement, je ne connaissais pas le cinéma canadien. Je connaissais simplement quelques acteurs qui sont déjà connus et qui ont fait des films américains. Je connais des films qu’on pensait être hollywoodiens et pourtant, ils étaient Canadiens. Et justement, l’avantage de ce festival c’est de faire connaitre le cinéma d’ailleurs. Là, je vais avoir l’occasion de découvrir ce cinéma que je ne connais pas.

Votre film, « La marche verte », est présent au FIFM cette année. Qu’est ce que cela représente pour vous ? Et comment vous est venue l’idée de faire ce film ?

L’idée de la marche verte, je l’avais depuis très longtemps, il faut dire depuis que j’ai gagné le premier concours national du court métrage avec un film qui tournait autour d’un vieux qui s’est déplacé de la campagne à Rabat pour se faire soigner gratuitement simplement parce qu’il a participé à la marche verte.

C’est un événement qui était toujours présent dans ma tête et dans mon travail. C’est un sujet qui me tient à cœur et que je voulais mettre sur écran depuis le jour où j’ai pris un billet de 100dh et j’y ai vu une colombe. J’ai imaginé qu’elle sortait du billet et je me suis dis : «tiens ça peut faire une histoire de film». D’ailleurs, ça fait 2 ans que j’ai raconté l’histoire à Rachid El Oualy qui a joué avec moi dans le film. Je ne sais pas si on le remarque mais dans tous les court-métrages que j’ai faits, dans ce que j’ai écrit, réalisé et produit, il y’a toujours des petits clins d’œil de ce que je vais faire par la suite. Mais normalement, on ne s’en rend compte que lorsqu’on a un cv de réalisateur. Pour le moment, jeune homme que je suis, jeune réalisateur sans expérience, c’est encore tôt.

Pour la sélection du film au FIFM, on a fini le film très tard. On l’a envoyé alors que la sélection était finie. Quand les membres du jury l’ont vu, ils ont quand même décidé de le garder et de le mettre dans la catégorie hors compétition avec des grands noms de cinéma. C’est un plaisir et tout un honneur d’être présent au FIFM. C’est un honneur aussi d’associer mon nom au 40e anniversaire de la marche verte.

Que pensez-vous des productions Marocaines ?

C’est sûr que ça évolue mais il faut savoir aussi qu’il y’a un très grand problème au Maroc. Je pense que les gens qui décident de ce qui va être diffusé ou pas n’ont rien à voir avec le domaine cinématographique. Personnellement, je pense que l’idéal serait de mettre des professionnels dans le domaine pour porter un jugement adéquat. Pour décider à la place de tous les marocains, il faut être apte et à la hauteur. Soyons honnêtes, il y’a souvent des bêtises qui passent à la télé. Tout le monde le sait, le dit d’ailleurs, mais ça ne change pas.

Parfois, on a tendance à sous-estimer le public marocain. Voilà pourquoi je n’ai rien réalisé pour la télé, pourtant j’ai eu pas mal de propositions pour le faire. Je trouve que la majorité des œuvres télévisuelles sont des œuvres radiophoniques où on parle plus qu’autre chose. Parfois, on parle pour ne rien dire tandis que l’image est aussi importante que le texte. Par exemple, quand on parle d’une guerre dans un film, il faut la montrer avec des scènes, autrement, c’est de la radio.

Au niveau de la production, est-ce facile de trouver des producteurs ?

Partout dans le monde, ce n’est pas facile de trouver des producteurs. Au Maroc, c’est deux fois plus difficile. D’ailleurs, c’est ce qui m’empêchait de faire la marche verte. A chaque fois qu’on se réunissait avec des producteurs et qu’on racontait l’histoire du film, je remarquais des regards bizarres, des gens qui se disaient «mais qu’est ce qu’il est entrain de raconter ? ». Tout le monde doutait mais dans ma tête, j’y ai toujours cru. Et voilà que ça a réussi. Dans la vie, il faut toujours croire en soi. Le cinéma c’est l’un des métiers les plus durs au monde. Les gens croient que c’est plein de glamour mais s’ils viennent passer une seule journée avec nous, ils ne reviendront pas. Ça c’est Spielberg qui le dit.

Après la marche verte, que prévoyez-vous ?

L’histoire de l’indépendance du Maroc, car l’histoire du Maroc est une cinémathèque. On n’invente pas son histoire, donc quand on en a une, mieux vaut la mettre en valeur, surtout que la nôtre est honorable. On a 12 siècles d’histoires, ce que plusieurs n’ont pas. Le Maroc sera toujours un pays d’exception qu’on le veuille ou non et ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’histoire.

Récemment, il y’a eu l’interdiction d’un film. En tant que réalisateur, êtes-vous contre ou pour la sanction de l’art ?

Je suis contre la sanction des arts, et surtout quand il s’agit du cinéma car on ne pousse personne à aller voir un film. C’est plutôt les gens qui se déplacent et achètent un ticket pour pouvoir voir le film, donc c’est au spectateur d’en décidé. Et personnellement, même si je ne suis pas d’accord avec ce qu’on dit, je ferai du mieux que je peux pour le dire au moins.

On voit que vous travaillez toujours avec la même équipe, les mêmes acteurs. Pourquoi cette exclusivité?

On ne change pas une équipe qui gagne. J’ai les monstres du cinéma avec moi. Je ne peux pas les changer.

En quoi vos films sont-ils différents des autres ?

Dans mes films, je privilégie l’humain et je mise sur la joie et la tristesse. J’aime faire voyager le spectateur du rire aux pleurs et des pleurs au rire. J’aime faire sortir l’enfant en chaque personne, parce qu’il faut savoir que beaucoup ont le complexe de s’exprimer. Et pourtant, les émotions c’est tout ce qu’il y’a de plus beau, autant les vivres et partir au bout de ses émotions. Il ne faut pas avoir peut de s’exprimer.

En regardant des films, vous arrive t-il d’envier ce qu’a fait un réalisateur ?

S’il y’avait quelqu’un qui avait fait la marche verte avant moi, ça m’aurait marqué à vie. Ça allait vraiment me chambouler, parce que dans ma tête, j’avais tout imaginé pour ce film. J’avais envie de le faire depuis 9 ans. Et pour les gens qui s’attendent à un film des années 50 et 60, je leur dis à l’avance qu’ils vont être choqués. Il est vrai que cela fait partie de l’histoire du Maroc mais dans le film on ne voit pas que ça. C’est plutôt de l’histoire fusionnée avec de la fiction. Ce sont des destins qui se croisent pendant cette époque là. La marche verte va leur changer la vie. Ce n’est pas vraiment ce que tout le monde pense. Il faut voir le film pour comprendre.

La musique joue-elle un rôle important dans vos films ?

Oui. Dans tous mes films, je travaille avec le même compositeur, Mohammed Ouchama. C’est un petit génie. D’ailleurs, je vais faire un documentaire sur lui. Et puis, il y’a l’orchestre marocain royal qui joue dans le film. C’est la première fois que cet orchestre soit symphoniquement dirigé par un jeune marocain. On a revisité la music «Saout l’hassan» mais version 2015.

Et un film musical, cela vous tente t-il ?

Oui. D’ailleurs, on en a parlé, Carole Laure et moi. Elle est venue avec des chorégraphes et comme elle chante aussi, c’est faisable. Pour rappel, pour le film «Chaibia», les gens ont failli me faire douter, en me disant que la musique était forte. J’étais choqué parce j’aimais bien. Le thème est magnifique et je ne suis pas le seul à le dire. D’ailleurs, le film sortira le 16 décembre.

Pendant toute l’année, j’ai revu mon positionnement par rapport à la musique. J’ai fait beaucoup de recherches. Je regardais au minimum un film par jour ou 4 – 5 épisodes d’une série par jour. Donc, je peux dire aujourd’hui que je suis devenu conscient du coté musical. Et je me dis qu’au Maroc, rares sont les gens qui savent ou comprennent ce qu’est la musique d’un film.

Qu’est ce qu’écoute Youssef Britel comme musique ?

J’écoute un peu du tout, mais j’aime bien le Blues, Fun’k. Pour ce qui est marocain, j’adore Younes Megri. D’ailleurs, je vous donne un scoop. Il chante «Lili Twil» à la dernière nuit du départ à la marche et c’est magistral.

Si vous aviez l’occasion de collaborer avec un ou une artiste de renommée internationale, qui choisiriez-vous ?

Julia robert, Denzel Washington.

Omayma Khtib

*Notre envoyé spécial à Marrakech

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