Le journalisme au défi de l’éthique

Vendredi 25 mars 2016, la Villa des Arts de Rabat a accueilli la quatrième et dernière manifestation de son cycle de conférences «Les journalistes parlent du journalisme et d’eux-mêmes» sous le titre «Le journalisme au défi de l’éthique : le verbe corrompu».

Cette rencontre a été animée par Abdallah Bensmain avec la participation de Jamal Eddine Naji, Directeur général de la Haute autorité de la communication Audiovisuelle (HACA) et Mustapha Bencheikh, représentant Abdeslam Aboudrar, Président de l’instance centrale de prévention de la corruption, absent pour des raisons indépendantes de sa volonté.

Prenant la parole au début de la rencontre, Jamal Eddine Naji a fait part à l’assistance de ses premiers pas dans le métier, des difficultés rencontrées tout en rappelant que si le rêve de tout journaliste est d’être «branché» sur le «fait», il lui  appartient, surtout, d’être, à la fois, «savant» en ayant une vue objective sur le fait mais aussi «artiste» en ce sens qu’il doit être capable de se projeter dans l’avenir.

Pour illustrer ses propos, l’orateur a évoqué Baudelaire, assimilant le journaliste à un flâneur qui doit être, à la fois, passif et actif. Passif en ce sens que tout évènement doit susciter chez lui la curiosité de l’enfant donc l’émerveillement et actif dans la mesure où il est tenu d’analyser l’évènement avec détails.

Le journaliste, qui doit donc épouser l’évènement, doit aussi être apte à considérer que toute manifestation est intéressante donc digne d’intérêt, tout comme il doit  être capable d’écouter et de raconter le monde.

Naji rappelle, néanmoins qu’en 2016, la situation n’est plus la même, puisque, grâce à internet, toute personne disposant d’un «smartphone» peut se considérer comme journaliste dans la mesure où elle est capable de «capter» l’évènement et de le «diffuser» immédiatement.

La logique ne serait donc plus la même. Le «flâneur» n’est plus  émerveillé. Il n’est plus ni «artiste» ni «poète» puisqu’il ne chercherait, désormais, que le «vendable».

En rappelant, enfin, que l’on ne peut pas exercer le métier de journaliste dans la haine, l’orateur invite les nouveaux arrivants à aimer leurs prochains et à être passionnés par leur métier et par sa valeur ajoutée par rapport à l’autre car ils ne grandiront que par l’écho que laissera leur travail chez leurs lecteurs.

Mustapha Bencheikh a , quant à lui, insisté sur la nécessité, pour le journaliste, de veiller à la vérification des faits énoncés avant de les publier et de respecter la vie privée des individus et le principe de préjudice en faisant montre de compassion avec les victimes et en étant conscient que la collecte des données peut, dans certains cas, causer des dommages à autrui.

Et le conférencier de rappeler, en outre, que l’information doit être obtenue par des moyens légaux.

Abordant le journalisme dit «d’investigation», l’orateur rappelle que ce métier qui recherche, souvent, l’information par des «infiltrations» serait à double-tranchant puisque le journaliste dit «d’investigation»  est obligé de s’auto-réguler et de s’auto-contrôler. Rappelant, enfin, que les médias sont tenus à l’impartialité, à la vérité, à la précision, à l’indépendance et à l’humanité, Aboudrar reconnaît que les journalistes ont un lourd fardeau à porter.

Prenant la parole, Abdallah Bensmain a évoqué la Charte de Munich de 1971 qui, dans ses grandes lignes, stipule expressément que le journaliste est tenu de respecter la vérité en ne publiant que des informations dont l’origine est connue, de ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, de s’obliger à respecter la vie privée des gens, de s’interdire calomnie et diffamation, de ne point accepter de recevoir une contrepartie financière pour publier ou taire certains faits et, enfin, de rejeter toute directive émanant des annonceurs.

Rappelant que, malgré l’existence de cette Charte, les codes de déontologie diffèrent d’un pays à l’autre, l’orateur s’interroge sur la manière de respecter les normes universelles quand chaque Etat se veut différent dans sa pratique et sur le droit à la spécificité réclamé par chaque Etat. Considérant donc que chaque pays aurait sa propre charte de déontologie, l’orateur estime qu’en ce cas, la vérité prendrait donc la forme du vase qui la contient.

L’orateur signale, enfin, que la profession serait gangrénée par la corruption mais que le sens de celle-ci diffère d’un pays à l’autre et rappelle que, pour certains organes de presse de notoriété mondiale, elle serait même à l’origine du sujet évoqué dans tel ou tel numéro et de la manière avec laquelle il a été abordé.  Autant de raisons qui poussent Abdallah Bensmain à rappeler qu’étant donné que la Charte de déontologie de la profession de journaliste ne serait, dans les faits, qu’un paravent derrière lequel se cacherait la presse, il est donc du devoir de chaque journaliste de veiller à sauvegarder son indépendance et sa dignité.

A l’issue de ces interventions, un débat passionnant a eu lieu entre les conférenciers et l’assistance composée, en grande partie, de futurs journalistes.

Nabil El Bousaadi

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