Le mince miroir des quatre éléments de la vie

Le monde de  Julie Guégan

Par Noureddine Mhakkak

Le dialogue avec Julie Guégan est un voyage culturel dans les mondes des Lettres et des Arts. C’est-à-dire dans le monde de la poésie, de la prose, du cinéma, de la peinture et de la photographie d’une part et dans le monde de l’actualité aussi. Ainsi, nous allons parler des relations humaines, nous allons parler de l’amour, de l’amitié, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit et la connaissance de l’autre. Nous allons parler des villes, des livres, des films, et nous allons parler de nous, de nos pensées, de nos réflexions, de nos passions, et nous allons parler de vous en tant que lecteurs. Des lecteurs fidèles qui nous lisent avec tant de plaisir.

Dans cette interview vous allez nous parler des quatre éléments de la vie citée par les philosophes, les écrivains, les poètes et les artistes. Qu’en pensez-vous ?

De la même manière que le héros tout seul n’existe pas, aucun de ces quatre éléments ne peut s’épanouir sans la présence d’un autre. Cette vision holistique, qui vient du mot grec, holè, signifiant totalité, je l’ai adoptée grâce à ma collaboration avec les anglo-saxons, qui sont plus avancés que les latins sur le sujet. Avec eux, j’ai pu assimiler ces principes que l’on trouve aussi exposés dans la philosophie de Hegel, Platon ou Rousseau et qui conduisent au rapprochement avec la nature, que je revendique. Notamment, au travers de son imitation plutôt que de sa domination.

Cette approche est devenue tellement importante pour moi, que je participe actuellement à un travail de réflexion au sein des institutions européennes qui vise à amener la vision holistique dans la manière dont les politiques sont réalisées. Ainsi, j’utilise les quatre éléments afin d’illustrer en quoi ce changement serait bénéfique.

À cette fin, nous pouvons prendre n’importe quel élément. Commençons par le feu.

Si nous voulons profiter des bienfaits du feu, nous devons l’accompagner de l’air, de l’eau ou de la terre. La présence d’au moins un élément permet en premier lieu sa création. Elle permet aussi de servir de garde-fou, pour assurer une forme de maîtrise. Tel que nous pouvons le voir actuellement en Grèce, l’épanouissement du feu peut avoir des répercussions catastrophiques. 

Dans notre monde plutôt libéral, et c’est un euphémisme, je pense qu’il est essentiel de mettre en place les garde-fous dès le départ. Nous devons fabriquer les moyens d’optimiser les bénéfices en évitant au maximum les conséquences délétères, par exemple, lorsqu’une politique fera du bien à certains mais occasionnera des ravages sur une population en particulier. Avec une vision holistique, l’objectif est de faire en sorte que toutes les conditions soient réunies afin que le maximum de scénarios soient envisagés dès le départ, réduisant ainsi le risque sur l’ensemble des populations (humaines ou non).

Alors bien évidemment, ce ne sera jamais parfait, et on ne pourra jamais éviter les erreurs. Il y aura toujours un risque que le feu se dirige vers un endroit que nous n’aurions pas anticipé. Mais, ce que je veux dire, c’est que l’approche que nous sommes désormais de plus en plus nombreux à promouvoir, reste le seul moyen de répondre aux problèmes complexes de notre époque. Je vais utiliser l’eau, pour vous donner un exemple concret.

L’illustre poète Rumi, nous rappelle que notre espèce humaine vient de l’eau et en ce sens, il nous invite à considérer l’océan comme notre maison. Malheureusement, cette vision n’est pas partagée par tous, et il est bien triste de constater que la majorité d’entre nous semble avoir oublié nos origines.

Alors, évidemment, lorsqu’on croit comme moi, qu’aucun élément n’existe seul, on refuse la simplification ou de tomber dans le piège du jugement. Ce serait bien trop facile. Mais ces leçons sont très importantes et elles nous invitent à changer vraiment nos manières de faire qui nous conduisent droit dans le mur comme nous pouvons le voir avec la crise climatique.

Ce qu’elle nous recommande, c’est de ne plus faire de la politique pour la gloire, mais pour le bien. Et lorsqu’on constate que nous ne faisons pas suffisamment le bien, alors nous avons l’obligation de commencer à penser autrement. Il s’agit désormais de mettre autour de la table l’ensemble des éléments qui nous permettront de dessiner un meilleur futur pour tous. Pour moi, cela commence par l’envie d’amener chacun à contribuer aux discussions essentielles sur notre vivre ensemble et la manière de l’améliorer. Comme nous le disait Cicéron, « personne dans la nature ne manque totalement d’expertise ».

Selon Gaston Bachelard : « L’amour devient famille ; le feu devient foyer. ». Parlez-nous du symbole du feu dans votre parcours culturel, et pourquoi pas, personnel aussi ?

Avant de répondre à votre question, laissez-moi vous dire que j’ai été beaucoup inspirée par Gaston Bachelard, à l’époque où je me destinais à une carrière scientifique. Je pense d’ailleurs que ma passion pour l’observation et ma quête plutôt obstinée de compréhension, montrent que je n’en suis pas totalement sortie. Ceci étant dit, je n’ai lu que Le nouvel esprit scientifique, mais il m’a beaucoup marqué.

Votre question est fascinante, comme d’habitude, et qu’elle est belle cette citation, merci Noureddine de nous la faire découvrir !

Je pense que vous savez désormais que je crois aux vertus d’une vie saine pour l’esprit et le corps, ainsi que la nécessité d’être en harmonie avec soi et le monde…

Alors, le mal pour moi est représenté par les flammes de l’enfer, le feu. À parler de l’enfer, le lien est évident avec Orphée, et vos chants Noureddine, que j’ai eu la joie de lire récemment en français puis traduits et lus en anglais sur ma chaîne YouTube. Peut-être nos lecteurs se souviennent-ils de ce mythe, dans lequel Orphée obtient une dernière chance de revoir sa belle Eurydice, à condition qu’il ne se retourne pas pour la regarder avant sa sortie des Enfers ? Il y a des tas d’interprétation quant à la raison pour laquelle finalement il se retourna et la perdra à jamais. De mon point de vue, c’est le rapport à l’Amour qui est le plus intéressant. Et l’Amour, ce sont aussi les flammes de la passion, que nous devons maîtriser si nous ne voulons pas nous perdre et le perdre.

Un jour, un homme très sage m’a dit que la passion était le feu le plus facile à éteindre, et qu’une fois maîtrisé, il ne restait finalement qu’à laisser émerger le nouvel Amour dans la forme d’une relation apaisée. Mon interprétation de l’histoire d’Orphée est que la passion doit se gérer à deux. Si seule une des parties est prête aux concessions nécessaires, alors le feu, qui flambe tout sur son passage, mettra un jour fin à la relation. Chacun doit, en conséquence, prendre part à la danse et à la cérémonie d’extinction. Je la vois comme un rituel primitif, autant réfléchi, car enrichi des nombreuses connaissances de nos ancêtres, qu’intuitif. Est-ce le rôle du mariage que de permettre ce passage ? Je me pose la question, moi qui n’ai jamais sauté le pas.

Orphée aurait j’en suis convaincue aimé gérer sa passion mais ce n’est pas si facile, surtout sans préparation et sans une forme de coordination. Au fond, penser que gérer la passion est facile est un peu comme affirmer que nous devons nous sentir des adultes responsables. Or, nous savons bien que pas mal de ce que l’on est vient de notre héritage culturel ou génétique et que l’épreuve est difficile vers l’acceptation totale.

C’est pourquoi je crois en une société du soin, qui nous encouragerait à nous assumer et à gérer nos flammes au mieux, tout en sachant que cela est loin d’être facile, que nous tombons tous régulièrement, et qu’il s’agit de nous aider à nous relever, un peu comme lorsqu’on soufflerait avec soin sur des braises.

Selon Jay Lee : « À travers le mince miroir de l’eau, les esprits de l’air et de l’eau se confondent ». Pourriez-vous nous parler du symbole de l’eau dans la vie culturelle et dans votre propre vie à travers vos histoires quotidiennes ?

Comment évoquer l’eau sans parler de nous-mêmes, qui en sommes constitués à environ 60%, et l’importance que cet élément revêt pour nous ? Plusieurs réflexions me viennent en tête.

D’abord, il est vain de mettre un frein ou des barrages à l’eau qui coule en nous. J’ai bien essayé la déconnexion qui nous évite de céder au lâcher prise. Mais comme bon nombre de personnes qui ont observé les ravages sur le corps et l’esprit, j’ai compris que ce que nous devons plutôt chercher est la non-résistance. Il s’agit même de l’une des leçons essentielles de Paul Gilbert, dans son ouvrage intitulé L’esprit de compassion. Le principe, nous dit-il, est de conscientiser le fait que nous faisons partie du flot de la vie et que notre but est de nous laisser aller. Certains vous diront par exemple que nous réaliserons tous un jour ou l’autre notre destin. La question essentielle est plutôt en combien de temps, 10, 20, ou 30 ans ? Tout est écrit, et surtout tout s’inscrit dans l’eau. Notre eau.

Lorsqu’on y résiste, le risque est de provoquer en nous une forme de disharmonie qui est pire que la disharmonie avec autrui. Lorsque nous résistons à notre destin, nous provoquons des réactions en chaîne, notamment des peurs, des angoisses qui n’auraient pas de fondements autrement dans notre réalité. L’une des réactions néfastes que j’ai pu constater est notamment avec l’eau que l’on trouve à l’extérieur de nous-mêmes. Lorsqu’on se met à en avoir peur, à la craindre, alors nous devons y voir un signe que quelque chose n’est pas assez fluide en nous. Or, nous savons combien l’eau est source de vie, de bien-être mais également de joies !

Une autre leçon surprenante sur l’eau me vient des travaux de recherche du docteur Masaru Emoto. Dans les années 90, il a mis au point une méthode d’observation par la photographie des cristaux d’eau gelés. Au travers des différentes expériences, durant lesquelles il soumettait les cristaux d’eaux usées, stagnantes ou sans impuretés, à diverses informations (photographies de paysage ou de personnalités par exemple, mais aussi prières, musique, pollution, mots), il a pu observer les effets de la pensée et des émotions sur l’eau.

Je conclurai par évoquer une facette de ma vie intime, à savoir ma grande passion pour les ponts. Dès que je le peux, je voyage pour aller en découvrir de nouveaux. Une des plus grandes joies de ma vie est d’apprécier les prouesses technologiques extraordinaires qui nous permettent de passer juste au-dessus de l’eau. J’ai d’ailleurs entrepris de partager mes photographies de pont sur mon compte Instagram.

Passons maintenant à l’autre élément de la vie, qui est la terre. Parlez-nous de votre relation avec la terre au sens large du terme.

Puisque j’en étais restée à ma passion pour les ponts, je propose de continuer en revenant à leur objectif principal qui est bien entendu de permettre la jonction entre deux terres. Pour une personne passionnée de collaboration, il est évident que le symbole du pont (ou du viaduc, pas de jaloux !) est évocateur pour moi. L’une de mes séries préférées est d’ailleurs Bron (Le Pont ou The Bridge), une série policière suédo-danoise passionnante. En toute bonne adepte, je suis bien entendu allée visiter le fameux pont Oresund, mis en service en 2000 et qui relie les villes de Malmö en Suède et de Copenhague au Danemark sur une distance de près de 8 kilomètres. Il possède l’un des plus longs tabliers suspendus par haubans au monde et je vous assure que sa traversée est mémorable. Je pourrais vous évoquer d’autres ponts, comme le pont de Normandie ou les ponts du 25 avril, et Vasco de Gama à Lisbonne, ou encore le passage du Gois permettant l’accès à l’île de Noirmoutier, que je trouve assez incroyables. Mais nous allons surtout passer à un autre sujet, en évoquant mon attachement à la terre de mes ancêtres, la Bretagne.!

Mon nom Guégan viendrait du celte, signifiant combattant, il est aussi l’un des noms les plus répandus en Bretagne. Selon mon grand-père, notre famille serait originaire de la ville de Guingamp, située dans le département des Côtes-d’Armor.

Selon Joseph Joubert : « Il n’y a pas de musique plus agréable que les variations des airs connus. »

Après une telle citation, comment pourrais-je ne pas évoquer la magnifique salle symphonique de Copenhague construite par le célèbre architecte français et lauréat du Nobel d’architecture en 2008, Jean Nouvel ? Inaugurée en 2009, j’ai eu la chance d’assister à un concert il y a quelques années. Tout en bois et béton, atypique par son asymétrie prononcée, il est un lieu extraordinaire pour écouter les plus beaux airs.

Je conclurai notre interview par rappeler l’importance de l’air, que l’on respire, non pas sous un angle écologique, mais plutôt sous l’angle de la maîtrise, comme je l’avais déjà suggéré avec l’élément du feu. Une chose est évidente, nous sommes un peuple, qui a pour la plupart souffert de l’absence du père. Dans notre société patriarcale, l’homme a souvent été absent de la maison pour travailler et ramener suffisamment d’argent utile au soin et à l’éducation des enfants. Cette absence a eu pour conséquence que certains d’entre nous ont du mal à se poser des limites car beaucoup s’accordent à dire qu’elles viennent principalement du père, tandis que le soin viendrait plutôt de la mère. Ce que je cherche à souligner en lien avec votre question sur l’air, est combien nous pouvons retrouver notre maîtrise, simplement en apprenant à focaliser notre attention sur notre respiration. Quelques minutes par jour et le tour est joué. On compte pour s’aider, et l’apprentissage est encore plus simple. Grâce à cette pratique, notre vie semble gagner en équilibre, et il devient bien plus facile de s’imposer des limites.

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