«Le PMV, une réussite en amont …des efforts à faire en aval»

Al Bayane : Comment se porte le secteur des agrumes et primeurs ? Quelle en est la valeur ajoutée en termes d’export?

Ahmed Derrab : Globalement, les agrumes (oranges et clémentines) et les primeurs, notamment la tomate et d’autres variétés sont les deux principaux secteurs d’exportation des produits frais au Maroc. Ils exportent à peu près 1,3 million de tonnes par an, soit 500 000 à 550 000 tonnes pour les agrumes et 700 000 à 800 000 tonnes pour les primeurs. Leur chiffre d’affaires est d’environ 15 millions de dirhams.

Ces produits sont présents dans une trentaine de pays à travers différents continents. En effet, l’Union Européenne absorbe 75% des exportations de primeurs du Maroc. Quant aux agrumes, leur exportation sur le marché de l’UE représente environ 30 à 35%. Arrive en 2e position la Fédération de Russie, suivie d’autres marchés tels que les USA, le Canada et quelques pays du Golfe. Il faut également souligner que la surface totale réservée aux agrumes est de l’ordre de 110 000 hectares.

Dans quelle mesure le Plan Maroc Vert (PMV) a-t-il soutenu le secteur des agrumes et des primeurs ? Quel bilan en faites-vous?

Le PMV a réellement boosté le secteur, notamment au niveau de la production. On peut, aujourd’hui, se féliciter des réalisations opérées par le PMV lancé en avril 2008. Je rappelle que le secteur des agrumes est le premier à avoir signé un contrat programme dans le cadre du PMV, précisons-le, le même jour de son lancement, pour une période de dix ans (2008-2018). Ce contrat programme dédié à la mise à niveau de la filière a pour objectif d’atteindre une production totale de 2,9 millions de tonnes d’agrumes et un export de 1,3 million de tonnes à l’horizon 2018.

Cela fait huit ans que ce contrat programme a été signé. Où en est-on à ce jour?

Au niveau de la production, le PMV a été un véritable succès. Il a même dépassé un peu les objectifs. Au lendemain de la signature du contrat programme pour la filière agrumicole, les professionnels, regroupés au sein de l’ASPAM, se sont véritablement mobilisés pour expliquer aux producteurs les tenants et aboutissants dudit programme. Non seulement la campagne de sensibilisation est parvenu à faire adhérer les producteurs, mais l’Etat s’est aussi impliqué. En effet, le contrat programme prévoyait un certain nombre d’aides en faveur des producteurs. L’Etat a effectivement facilité l’octroi de ces aides, notamment la prime à l’investissement qui permet aux producteurs d’acheter les plants à hauteur d’une subvention de l’ordre de 50% de la valeur du plant, à condition toutefois, d’acheter les plants chez des pépiniéristes certifiés ; autrement dit, des pépiniéristes qui produisent des plants indemnes de toute maladie à virus. Cette prime à l’investissement était encouragée dans les  variétés que nous voulions surtout développer, c’est-à-dire les variétés d’agrumes qui répondent le mieux aux exigences du marché local et externe, qui sont productives et de qualité.

Le PMV, ou indirectement l’Etat, a également donné un coup de pouce en aval au secteur des agrumes via l’octroi d’aides pour permettre aux producteurs de s’équiper de systèmes de micro-irrigation. Vous n’êtes pas sans savoir que les cultures agrumicoles sont des cultures qui consomment beaucoup d’eau, soit 7 à 8000 m³ par hectare. Ce système de micro-irrigation permet d’économiser jusqu’à 40% de la consommation d’eau. Le Maroc ne dispose pas d’assez d’eau, surtout dans la principale région productrice d’agrumes, à savoir le Souss, qui représente 50% du total de la production et des exportations d’agrumes au Maroc.  La micro-irrigation est une technique qui permet une utilisation raisonnée et raisonnable de l’eau. Autrement dit, elle consiste à donner de l’eau au moment où il faut et juste dans les quantités nécessaires.

En plus, l’Etat a fait un énorme effort au niveau des aides pour l’acquisition de l’équipement en systèmes de micro-irrigation dans la mesure où il a octroyé des subventions à hauteur de 80 à 100%. L’équipement coûte très cher, entre 25.000 et 30.000 dirhams l’hectare. 100% d’aides profitent aux petits agriculteurs qui détiennent moins de 5 hectares et 80% aux producteurs développés.

En amont, des efforts ont également été consentis en matière d’encadrement et d’accompagnement technique des producteurs d’agrumes, notamment avec la création, il y a trois ans, de l’office national du conseil agricole (ONCA).

Il ne faut pas oublier que l’Etat a mis à la disposition des agriculteurs de nombreux terrains agricoles (SODEA/SOGETA), ce qui a donné du punch à la filière.

Qu’en est-il de l’accompagnement de l’Etat en termes de commercialisation des produits agrumicoles?

En aval, je crois que les professionnels du secteur et éventuellement l’Etat, n’ont pas accordé assez d’importance au volet commercialisation, et ceci, aussi bien à l’extérieur qu’au niveau du marché local. Ceci étant, aujourd’hui, on produit mieux, mais on a encore des difficultés à pouvoir écouler  la production dans de bonnes conditions et vendre à un prix rémunérateur qui puisse permettre à l’agriculteur de couvrir ses charges d’exploitation et de bénéficier d’une marge pour subvenir à ses besoins et ceux de sa famille.

Actuellement, au niveau de la production, nous sommes autour de 2 à 2,1 millions de tonnes par an. Nous avons atteint parfaitement les objectifs préétablis. Mais en termes d’exportation, nous restons à des niveaux de 500 000 à 600 000 tonnes, loin des 1.3 million de tonnes d’export fixé pour l’horizon 2018. Plus de 1,5 million de tonnes d’agrumes sont vendus sur le marché local à un prix qui n’est pas rémunérateur. Ceci s’explique par la multiplicité des circuits de distribution et du nombre important d’intermédiaires qui interfèrent entre les consommateurs et les producteurs et qui pompent la plus grande partie de la valeur ajoutée. Le consommateur achète aujourd’hui un kilo d’orange à 5 ou 6 dirhams et pourtant, le producteur l’a vendu à 1,5 dirham. Donc, l’intermédiaire gagne 300%.

La responsabilité est entièrement partagée entre les professionnels du secteur et le ministère de tutelle. Autant on peut dire qu’à l’amont, le PMV a été une vraie réussite, autant, les efforts déployés en aval laissent vraiment à désirer.

Que peut-on dire de l’organisation de la vente sur le marché local?

Les marchés de gros posent problème au marché local. Certes, une étude est en cours à ce propos, mais malheureusement les résultats se font toujours attendre. On doit réformer le système des marchés de gros pour l’adapter aux réalités et en faire de véritables havres de commercialisation et de développement.  Aujourd’hui, les marchés de gros ne sont pas structurés et ne vendent aucun service. En plus, on impose aux producteurs des conditions draconiennes sous forme de taxe, sans oublier aussi que les producteurs et les agriculteurs restent totalement écartés de ce circuit. Il faut les impliquer davantage dans l’organisation de cette structure.

Il est vrai que le ministère de l’Agriculture et celui du commerce travaillent ensemble pour mettre en place des marchés de gros typiques, mais pour l’instant, il n’y a rien de concret. L’idéal serait d’encourager les producteurs et agriculteurs à s’organiser en groupements ou coopératives de distribution et de commercialisation et leur donner la possibilité d’intervenir directement auprès des grandes surfaces.

Et sur le marché de l’export ?

Au niveau de l’export, beaucoup reste à faire. La production augmente, les marchés se rétrécissent et la concurrence devient de plus en plus rude. Nous devons revoir notre stratégie. Nous avons commencé à mieux gérer nos exportations et nous organiser depuis maintenant deux ans. Nous avons créé le Comité de coordination des exportations d’agrumes, en parallèle au Comité de coordination des primeurs qui travaillent avec les EACCE (établissement autonome de contrôle et de coordination des exportations) qui assurent la coordination et le contrôle technique des produits exportés. Ce contrôle technique doit veiller à ce que tout produit destiné à l’export réponde à certaines normes et standards techniques internationaux et européens  exigés. Il faudrait également assurer la coordination entre les exportateurs et les différents intervenants de manière à éviter la concurrence maroco-marocaine.

Je rappelle que ce Comité, qui regroupe les professionnels et l’Etat via les EACCE, est actif depuis trois ans déjà. Il a travaillé sur deux volets : premièrement, la régulation du marché qui consiste à n’envoyer sur un marché que la quantité qu’il faut en fonction des quantités et des prix fixés ; deuxièmement, sur les normes de qualité, parce que c’est le label Maroc qui est en jeu.

Ce travail de coordination et de régulation des marchés a commencé à porter ses fruits, en plus de l’effort fourni pour  consolider les positions du Maroc sur les marchés, se repositionner sur les marchés traditionnels, notamment l’Europe que nous avons un peu déserté pour aller en Russie et, éventuellement, rechercher de nouveaux débouchés. Aujourd’hui, il y a une réelle implication des professionnels et plus d’autonomie dans la prise de décision. L’Etat, de son côté, joue le rôle de juge ou d’arbitre.

Quelle place occupe la promotion des produits agrumicoles sur les marchés de l’export?

Une décision a été prise par l’Etat, en janvier 2016, pour que les EACCE soient aussi chargés de la promotion des produits agricoles à l’extérieur. Auparavant, cette mission a été confiée à Maroc Export. Seulement, cet organisme faisait de la promotion pour différents secteurs (poissons, textiles, produits agricoles…). La révision du texte de loi relatif aux EACCE leur donne la possibilité de travailler directement avec les professionnels. D’ailleurs, cela nous a permis d’initier une très belle campagne promotionnelle en novembre et décembre derniers sur la clémentine du Maroc au Canada. Cette campagne a donné de bons résultats, nous poussant ainsi à proroger la prochaine campagne 2016/2017.  Le même programme de promotion est en étude pour être adopté au niveau des autres marchés des USA et de l’Asie.

Qu’en est-il des relations Maroc-UE ? Quel a été le coût de la dégradation de ces relations pour les exportateurs? 

En ce qui concerne la relation avec l’UE, nous avons un accord agricole qui est signé. Les choses sont en train de s’arranger. En tant que professionnels, nous avons beaucoup d’efforts à déployer pour nous conformer aux exigences de l’UE. Cela nous coûte des sommes colossales et nous sommes conscients que c’est le prix à payer pour pouvoir nous maintenir et nous positionner. Il faut, par ailleurs, dire que les fruits et les légumes deviennent de plus en plus concurrentiels et que les pays comme l’Egypte ou la Turquie et d’autres viennent nous concurrencer, sans parler de notre concurrent traditionnel qui est l’Espagne.

Ce n’est pas facile, étant donné l’augmentation des prix de revient et des frais d’approche, à savoir toutes les charges liées à la logistique, au transport et à la distribution aussi bien sur le marché national qu’à l’étranger, sans oublier toutefois que les producteurs ne peuvent plus vendre à n’importe quel prix. D’ailleurs, l’agriculteur paie tout le gasoil, l’énergie, les cotisations sociales, les impôts, les pièces de rechange…. D’où la nécessité d’améliorer la production et augmenter les rendements pour pouvoir réduire les charges et améliorer le positionnement.

Il ne faut surtout pas oublier que s’agissant des fruits et légumes, nous travaillons sur du périssable et donc, des produits difficilement stockables et dont la durée de vie est limitée. Bien plus, les prix des produits agricoles ne sont pas garantis. L’Etat doit dans ce sens, garantir à l’agriculteur le prix minimum et une marge par rapport aux charges. Nous restons donc ouverts et disponibles à toute discussion ou proposition de la part de l’Etat.

Fairouz El Mouden

Le SIAM est l’occasion d’organiser des visites avec les producteurs, de renouer des contacts directs avec les fournisseurs et de voir les nouveautés sur le marché. C’est aussi l’occasion idoine, vu l’internationalisation du Salon, pour les exportateurs  de prospecter d’autres marchés et trouver de nouveaux clients.

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