Le programme électoral du PPS n’est pas un catalogue de promesses mais une vision politique

Entretien avec Abdelahad Fassi Fihri

Le PPS a présenté, avant l’Aïd en son siège à Rabat, son programme électoral pour les échéances de 2021. Pour connaitre les grandes lignes du programme, et en décliner les importants messages, Al Bayane a demandé à Abdelahad Fassi Fihri, ancien ministre de l’Aménagement du Territoire National, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la Ville, et membre du bureau politique du PPS, de jeter un faisceau de lumière sur sa quintessence. Il s’y est  livré sans détour. Entretien.

Propos recueillis par Karim Ben Amar

Quelles sont les modalités et la méthode suivie pour préparer le programme électoral du PPS?

 Réponse: Ce qu’il faut souligner, c’est que le programme électoral du PPS est le fruit d’un effort militant , un « ijtihad » avec tout ce que ce mot signifie. Ce programme a été préparé après un travail d’écoute de divers pans de la société, mais aussi à travers la concertation et la consultation d’un certain nombre d’experts dans un certain nombre de domaines. Nous avons essayé, pour élaborer ce programme, d’avoir une démarche participative fondée sur une série de rencontres, tant au niveau régional que national, sur des sujets aussi divers que l’éducation, la protection sociale, le système sanitaire, les questions culturelles, les questions politiques et la démocratie.

Au PPS, il est de tradition de présenter un programme électoral aux électeurs à l’approche d’échéances électorales. Mais ce qu’il faut retenir de ce programme, c’est qu’il ne s’agit pas d’un catalogue de promesses ; il s’agit de propositions qui ont leur cohérence et qui forment une vision de l’action gouvernementale pour les cinq années à venir, avec ses priorités et les défis qui doivent être relevés. On y retrouve des orientations majeures qui, selon nous, doivent inspirer le programme gouvernemental ; mais également des mesures précises et chiffrées, à caractère opérationnel. Ce qui en fait un programme à la fois ambitieux et réaliste, donc mobilisateur. Ce travail vient dans le prolongement de l’effort permanent du PPS  d’être une force de propositions, fidèle à son identité de gauche progressiste et socialiste, soucieux de la justice sociale, soucieux de la souveraineté nationale dans tous les domaines, soucieux des intérêts de la Nation et défenseur du peuple travailleur et des populations vulnérables et déshéritées. Mais en même temps, le PPS est aussi un Parti qui analyse le réel tel qu’il est, loin de toute pensée figée et dogmatique, avec le souci de prendre en compte toutes les évolutions, tant au niveau international qu’au niveau de notre pays et qui aujourd’hui connaissent une accélération vertigineuse.

Ce programme tire les conséquences de la crise du Covid-19, avec ses incidences sanitaires, économiques et sociales. Cette crise qui a également révélé des atouts, notamment les valeurs de solidarité et des capacités d’adaptation et d’innovation, qui ont permis jusqu’à un certain point de développer une résilience sociale face à la dureté de la crise. Notre  tient compte de la situation économique du pays. Il tient  compte de la crise de confiance qui existe dans la société entres les citoyens et les institutions, et plus particulièrement les partis politiques ; l’un des enjeux majeurs de la prochaine mandature, c’est justement de rétablir cette confiance sachant que la solution n’est pas dans l’abstention ou dans le refus de participation.

Le programme du PPS tient compte aussi des évolutions qu’il y a au niveau international et la crise que nous avons actuellement avec un certain nombre de pays européens concernant notre intégrité territoriale, sans oublier les enjeux géostratégiques dans la région. Notre programme prend donc en compte toutes ces considérations pour faire des propositions pour la prochaine mandature. Il conviendrait que tous ceux qui, sans nuance et sans différenciation, ne ratent pas une occasion de s’acharner à discréditer le politique auront l’objectivité et l’honnêteté de reconnaître cet effort qui, bien entendu, reste perfectible et soumis au débat et à la critique.

Quelles sont les orientations fondamentales du programme et ses axes majeurs?

Elles sont au nombre de 5.

Le premier point concerne, tout d’abord, la nécessité de construire une économie forte, inclusive, créatrice d’emplois décents, au service du développement et de la souveraineté nationale sur tous les plans.

Le deuxième point traite justement des questions de souveraineté nationale qui sont apparues aujourd’hui comme des questions majeures; souveraineté sanitaire, souveraineté économique et industrielle, souveraineté énergétique, sécurité alimentaire….Ce sont aujourd’hui des questions fondamentales qui conduisent à réviser certains paradigmes du modèle mondialiste, qui avaient été érigés en dogme.

La troisième orientation découle du fait qu’ aujourd’hui , tout le monde constate que les théories libérales et néolibérales faisant du marché le régulateur suprême et unique de l’économie , se sont effondrées ; par conséquent , notre programme souligne que nous avons besoin plus que jamais que l’État joue un rôle majeur à la fois pour le redressement de notre économie et assurer les conditions de l’émergence mais aussi pour la concrétisation effective de la solidarité et de l’équité sociale et spatiale. L’Etat doit donc jouer pleinement son rôle de stratège et de régulateur ; mais il doit également agir en tant qu’acteur direct à travers notamment un service public fort. C’est pourquoi nous pensons qu’il doit  garder la pleine maîtrise de secteurs stratégiques. Et dans notre programme, nous soulignons quels sont ces secteurs stratégiques où il ne doit y avoir aucun désengagement de l’Etat.

La quatrième orientation est d’une grande importance puisqu’elle définit ce que nous considérons comme des priorités absolues : l’éducation, la santé, la culture, l’écologie, la lutte contre les disparités sociales et spatiales….

La cinquième orientation fondamentale c’est que la question de notre intégrité territoriale est la cause première de tout notre peuple; Notre objectif suprême est sa consolidation, sa préservation et son parachèvement bien entendu en liaison avec l’exigence d’un front intérieur fort, fort par sa vitalité démocratique, par ses capacités économiques, par sa justice sociale, par l’extension du champ des libertés et des droits.

Comment est structuré votre programme et quels en sont les axes?

Nous  avons fondé notre programme sur trois axes :

– La construction d’une économie forte, inclusive, créatrice d’emplois au service du développement de la souveraineté ;

– L’humain au cœur des politiques publiques ; cette formulation existe dans nos programmes et nos documents de congrès depuis 2011;et nous nous félicitons de la retrouver dans le nouveau modèle de développement ;

– Le renouveau de l’élan démocratique, l’essor des droits et libertés  et la mise en œuvre des provinciales de la gouvernance démocratique conformément à la Constitution de 2011.

 Ce qu’il faut souligner, c’est qu’il s’agit là d’un tout , cohérent. Et c’est notre originalité ; pour  bien le montrer, je vais vous donner quelques exemples qui , je pense , nous différencie sur la scène politique :

– Nous pensons que l’essor de la démocratie, le renforcement de la construction institutionnelle, l’essor des droits et libertés, sont une condition pour l’efficacité et l’efficience des politiques et des programmes économiques et sociaux. La démocratie n’est pas un luxe  dont on pourrait se passer, comme le pensent certains, pour aller plus rapidement vers l’émergence économique. Bien au contraire.

– Nous pensons qu’il n’y a aucune contradiction entre les objectifs sociaux d’investissement dans l’humain  et de satisfaction des besoins sociaux d’une part et les objectifs économiques et financiers liés à la compétitivité et à la rentabilité , d’autre part . – les politiques sociales ne doivent pas être vues comme des dépenses, mais comme des investissements qui , tout en répondant à des besoins sociaux, ont un retour sur investissement , préparent l’avenir et ouvrent de réelles opportunités    de croissance et de développement de filières économiques et industrielles ;

– dans notre programme, nous insistons beaucoup sur le soutien à l’entreprise nationale ; mais en même temps , nous insistons sur la nécessaire renonciation à la logique du low-cost et la reconnaissance des droits des travailleurs ; pour nous , la compétitivité de l’entreprise ne doit être mise en opposition avec des salaires décents , le respect des normes de protection sociale , l’amélioration de l’hygiène et de santé au travail, l’institutionnalisation du dialogue sociale….

Je pourrais multiplier les exemples ; et cette vision cohérente des 3 axes de notre programme  est inhérente à notre positionnement de parti enraciné à gauche, démocratique et réaliste.

Pouvez-vous nous donner quelques orientations ou propositions fondamentales, si possible concrètes et chiffrées sur le plan économique ? Et qu’en est-il du financement?

Réponse : Je vais souligner quelques unes de nos propositions, en étant très sélectif.

D’abord, nous pensons que nous devons tout faire pour atteindre dans les meilleurs délais une croissance durable et prolongée de 6 pour cent par an. Et là , ce n’est pas une promesse lancée à l’emporte-pièce, mais un objectif que nous pensons réalisable ; et nous définissons les conditions pour pouvoir l’atteindre : maintien de l’investissement public à un haut niveau ( au delà de 200milliards de dirhams par an ) , levée des obstacles à l’investissement productif à travers notamment la lutte contre les pratiques  rentières et la corruption, développement de la compétitivité de l’entreprise dans le respect de ses obligations sociales et écologiques, incitations à l’investissement dans les secteurs porteurs à haute valeur technologique  , exploitation de toutes les opportunités offertes par la transition énergétique et la croissance verte …

–  Comme déjà souligné, le rôle de l’État est primordial. On a besoin d’un État fort, notamment à travers un secteur public, rationalisé et géré de manière démocratique. Aujourd’hui on parle beaucoup de la réforme du secteur des entreprises publiques. Il nous a donc paru essentiel de souligner dans notre programme que, certes, il y a des évolutions et des réformes à  entreprendre dans le secteur des entreprises et établissements publics, un effort de rationalisation est nécessaire. Mais nous mettons en garde contre une réforme inspirée exclusivement par des préoccupations de rationalisation financière sans prendre en compte suffisamment le fait que les entreprises publiques doivent être le bras armé de l’Etat , totalement alignées sur les objectifs économiques et sociaux de la politique gouvernementale ; C’est pourquoi , nous avons indiqué les secteurs dans lesquels l’État doit absolument garder la maitrise et ne pas s’en désengager : les phosphates; le secteur financier car l’Etat a besoin d’un bras financier fort ; le transport ferroviaire et aérien ; l’énergie ; pour ce dernier domaine absolument essentiel , nous pensons que la privatisation de ce joyau de notre industrie qu’est la Samir a mis en péril notre indépendance énergétique et nous a posé  et continue de nous poser des problèmes très importants sur divers plans , tant industriel que social . Nous  sommes pour que l’Etat prenne ses responsabilités en sauvant la Samir à travers par exemple une prise de participation majoritaire, pour la restructurer, la moderniser … et en faire un outil de notre indépendance énergétique.

-Par ailleurs, nous  avons formulé une série de propositions pour que l’État vienne en appui aux entreprises nationales, dans le cadre d’un pacte social où l’entreprise prend des engagements en matière de préservation de l’emploi moyennant la garantie de l’Etat pour l’accès au financement. Le soutien de l’Etat passe aussi par l’incitation à consommer national, par la protection de notre économie à travers une révision des accords de libre échange et la lutte contre la concurrence déloyale  et les pratiques de dumping.

-Nous pensons qu’il n’y a aucune possibilité d’émergence sans véritable politique industrielle orientée vers la satisfaction des besoins intérieurs du pays et en développant progressivement une vision intégrée qui va de la formation et l’éducation jusqu’à la production en passant par la recherche scientifique et l’innovation  , pour aboutir à un tissu de pme innovantes et compétitives autour de champions nationaux .

Voilà donc quelques propositions et orientations de notre programme économique, sans être exhaustif.

Vous posez la question du financement ; c’est une question essentielle sur laquelle nous avons beaucoup travaillé en consultant nombre d’experts ; je me contenterais de parler de la fiscalité.

Notre mot d’ordre, c’est de mobiliser notre potentiel fiscal. Les estimations de nombre d’experts sont que notre potentiel fiscal peut atteindre près de 20 pour cent de notre PIB, soit 300 milliards de dirhams. Aujourd’hui, nos recettes fiscales, les bonnes années, atteignent difficilement 150 milliards de dirhams (146 en 2020). Les marges de progrès sont donc très importantes, moyennant une orientation vigoureuse et une volonté politique forte. Nous pensons qu’il est même possible d’aller vers un allègement de la pression fiscale sur l’investissement productif et l’entreprise dans un certain nombre de domaines porteurs ainsi que sur la classe moyenne tout en élargissant l’assiette et , en fin de compte , augmenter les recettes fiscales . Il faut  une orientation et une volonté politique forte de doubler nos recettes fiscales, qui représentent le principal moyen de financement du budget de l’Etat. Nous avons toutes une série de propositions qui vont dans le sens de l’équité fiscale et qui permettent d’augmenter les recettes. La encore, justice fiscale et rentabilité financière du système vont de pair et ne sont nullement contradictoires.

Que signifie votre mot d’ordre : mettre l’humain au cœur des politiques publiques?

Cela signifie que la finalité de toutes les politiques publiques doit être de relever le niveau du peuple et de répondre à ses besoins fondamentaux tant matériels que moraux ; les secteurs de l’éducation, de la santé, de la culture, …ont des priorités et constituent des investissements qu’il ne faut pas regarder sous un angle étroitement comptable, avec le seul souci des équilibres financiers et budgétaires. Il faut cesser de considérer la protection sociale et les systèmes d’aide uniquement comme un moyen de corriger les effets négatifs des politiques plus ou moins libérales et marquées du sceau de l’austérité. Au contraire, la protection sociale doit être considérée comme un moteur du développement qui ouvre des opportunités de croissance tout en permettant d’avancer vers la société solidaire. C’est pourquoi nous avançons des propositions très concrètes pour réussir le défi de la généralisation de la protection sociale dans les 5 ans à venir ; d’autant que ce chantier est structurant car il est lié à la lutte contre l’informel et à l’état de droit sur le plan économique. Il implique la réforme du système de santé  et la consécration du droit à la santé aussi bien à travers la prévention (où il faut investir massivement) que l’élargissement de l’offre de soins, avec la priorité absolue accordée à l’hôpital public et au renforcement de l’encadrement sanitaire de la population.

Nous insistons sur l’investissement dans la formation, l’éducation et la recherche scientifique. L’école publique est la priorité et  aussi bien dans la santé que l’éducation, la valorisation et la reconnaissance des droits matériels et moraux des ressources humaines sont les points d’entrée essentiels de toute réforme et de toute avancée.

Nous proposons de mettre en œuvre un projet Maroc culture consacrant le droit d’accès à la culture et les droits culturels de la population.

Bien entendu, la promotion des droits des femmes est pour le PPS une question essentielle à l’aune de laquelle on peut juger des progrès de notre société.

Notre programme est inclusif puisqu’il comporte des propositions relatives au troisième âge , aux personnes à besoins spécifiques , aux migrants …

Nous préconisons également un pacte pour la jeunesse, qui pourrait être le grand titre de notre programme.

Un point que je voudrais souligner : nous faisons un lien très fort entre la question sociale et la question écologique. En effet, mettre l’humain au cœur du développement, c’est améliorer le cadre de vie des populations dans nos villes et nos campagnes ; et nous avons des propositions très précises en matière d’aménagement du territoire et de planification écologique, de rénovation de notre urbanisme, de promotion du monde rural et des zones montagneuses, de préservation de nos équilibres écologiques.

La question de l’emploi n’est pas en reste puisque nous disons au PPS qu’ il faut absolument intégrer dans le marché de l’emploi des catégories qui en sont exclues , notamment les jeunes et les femmes dont le taux d’activité reste faible .La politique de l’emploi doit être accompagné par un vision et une politique de revenus, la revalorisation de salaire en la liant à la productivité et la croissance.

Il faut assurer aux catégories qui ne vivent que de la solidarité nationale, un revenu minimum de dignité.

Qu’en est-il de la gouvernance et de la démocratie?

C’est une question qui revêt une grande importance. Il faut, pour répondre efficacement aux défis économiques et sociaux, et engager un cercle vertueux de progrès dans ce domaine, élargir la démocratie ainsi que le champ des droits et des libertés. Il faut mettre en œuvre les principes constitutionnels adopté en 2011, dans une véritable démarche d’avant-garde.

Il faut donc réhabiliter la politique au sens noble du terme. Les Partis ont leurs responsabilités mais tous les secteurs de la société et de l’État sont concernés pour rétablir cette confiance dans les Institutions. Cela passe bien sûr par un gouvernement fort, homogène, engagé dans une démarche de réforme profonde, respectueux des principes constitutionnels de partage des pouvoirs, allant résolument vers la décentralisation, vers la régionalisation, reconnaissant pleinement le rôle des assemblés élus, dans des démarches de contractualisation, de partenariat avec l’État. Le nouveau modèle de développement et le pacte qui en découle ouvre des perspectives véritablement de progrès pour notre pays et nous adhérons globalement à ses orientations et ses principes, aussi bien sur le plan économique que sur le plan social. Bien entendu ce nouveau modèle de développement doit s’appuyer sur une réforme politique en profondeur qui passe par ce que nous appelons au PPS un souffle démocratique nouveau. Ce nouveau modèle de développement réussira s’il refuse toute approche étroitement technocratique, s’il laisse libre cours au pluralisme  et à la confrontation démocratique des programmes partisans, s’il renforce la construction institutionnelle telle qu’elle est prévue par la Constitution de 2011.

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