Le Voleur de bicyclette  de Vittorio de Sica

«La reproduction fidèle de la réalité n’est pas l’art».

André Bazin

C’est toujours un grand moment de cinéma de revoir Le voleur de bicyclette de Vittorio De Sica (1948). Le support sur lequel on le (re)découvre  s’éclipse dans une sorte de geste de révérence et d’estime rendu à ce monument, l’un des titres essentiels de l’école du néoréalisme italien.  Sa redécouverte ne relève pas d’ailleurs du simple rite cinéphile, elle relève plutôt de l’hommage.  C’est alors un signal culturel destiné aux nouvelles générations pour les familiariser avec le patrimoine cinématographique universel. La cinéphilie ne se crée pas ex-nihilo ; c’est une pédagogie permanente faite de filiation et de transmission. Des images qui dialoguent avec d’autres images dans une continuité historique.

C’est un moment clé de l’histoire du cinéma. Le voleur de bicyclette apparaît toujours dans les premiers rangs lors de différents sondages sur les meilleurs films de toute l’histoire. Il se dispute la première place avec Citizen Kane, les deux films passent pour des fondateurs de la modernité cinématographique. Le voleur de bicyclette est lié dans la mémoire des cinéphiles à un courant majeur de l’esthétique du cinéma; celui du néoréalisme. Or, ce n’est pas le film fondateur de ce courant, il en est la forme complète, l’emblème. Des films comme Ossessione (Visconti, 1943) serait plutôt le premier du genre, Rome ville ouverte (Rossellini, 1946), Terra trema (Visconti, 1948), Paisa (Rossellini 1948)…l’ont précédé sur cette voie originale. Vittorio de Sica, scénariste à l’origine a trouvé la synthèse idéale de ce qui fait la quintessence du néoréalisme: un cinéma de la critique sociale à partir de la description du réel.

C’est d’autant plus pertinent que Le Voleur de bicyclette s’inscrit dans une problématique toujours d’actualité aussi bien pour le cinéma que pour la télévision, à savoir le rapport des images et du réel. Le film de De Sica continue à nous toucher et à nous émouvoir au-delà de son appartenance à une réalité, bien ancrée dans un espace-temps, celui de l’Italie des années de la libération, celle du désarroi social et de la détresse humaine.

D’où tire-t-il alors sa force qui transcende les frontières géographiques et culturelles ? Ce n’est pas en tout cas l’intrigue; elle est minimale: un chômeur, un vélo et le regard de l’enfant. Et une quête: pour gagner sa vie le chômeur a besoin du vélo. On le lui vole. Il le cherche coûte que coûte sous le regard de son enfant.

Mais sa force n’est pas uniquement dans sa dramaturgie. Elle est tout simplement dans son appartenance à la planète cinéma. Son message n’arrive pas comme une finalité qui porte le récit ; il est plutôt dans le déroulement du récit lui-même. Ce n’est pas une destinée à laquelle on accède au terme d’une narration. Bien au contraire, le sens, l’émotion découlent du cheminement lui-même. «La thèse est d’autant plus irréfutable qu’elle ne nous est donnée que par surcroît» écrit André Bazin, l’un des critiques qui ont contribué à la théorisation du néoréalisme italien. Il ajoute: «c’est notre esprit qui la dégage et la construit non le film». A méditer au moment où déferle un cinéma qui porte l’ambition de revisiter la mémoire blessée.

Le Voleur de bicyclette nous offre en outre l’illustration rhétorique de ce qu’est une œuvre d’auteur : une vision du monde immédiatement traduite en structure de mise en scène.

Mohammed Bakrim

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