Le vote des étrangers, un droit en repli

A l’heure actuelle, on assiste à un véritable recul des droits civiques, civils, économiques, des étrangers de par le monde, à travers entre autres la publication de décrets austères sur l’entrée, le séjour et le travail des étrangers, l’adoption des politiques de quotas, des programmes politiques pour limiter l’accès des immigrés aux aides sociales (école gratuite, soins de santé gratuits…). Quid des droits politiques des étrangers, notamment le droit de vote ?Comment se positionne le Maroc sur cette question, sachant qu’il a élaboré en 2015 une stratégie nationale d’immigration et d’asile et que sa Constitution de 2011 octroie aux ressortissants étrangers le droit de «participer aux élections locales»?

S’il est un sujet sur les étrangers à l’origine de confrontations, de polémiques et de clivages dans la sphère politique à travers le monde, c’est bel et bien celui relatif à l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux ressortissants étrangers. D’ailleurs, le professeur français Etienne Balibar (2001) l’a qualifié comme l’une des questions les plus fondamentales pour la démocratie du XXIe siècle, et avec raison. D’une part,l’octroi du droit de vote et d’éligibilité, contrairement à l’intégration socioéconomique ou culturelle des étrangers, implique les fondements et socles de la souveraineté d’un Etat, entre autres la nationalité, la citoyenneté, la souveraineté… puisqu’en général, il est astreint à l’acquisition de la nationalité. D’autre part, le débat pour le renforcement des droits politiques des étrangers se heurte actuellement à un repli de plusieurs Etats démocratiques sur leur engagement vis-à-vis de cette population. En cause, plusieurs facteurs, dont le terrorisme, le nombre élevé de migrants, de demandeurs d’asile, qui dépassent parfois les capacités d’accueil de certains pays. Ce qui rétracte plusieurs Etats européens dans leur démarche d’accueil, d’intégration des étrangers et conforte d’autres dans leur position d’hostilité au principe de l’ouverture.

L’immigration : un cheveu sur la soupe?

Le débat sur l’immigration bat son plein en Europe, notamment dans le cadre des campagnes électorales. En 2016, 4742 personnes sont mortes en Méditerranée et plus d’un million de personnes ont demandé l’asile, selon Eurostat. Un chiffre qui en dit long sur les mouvements migratoires, notamment vers l’Europe. Etant donné les chiffres élevés de migrants et de réfugiés, la question de la gestion des migrants se pose avec acuité. Les Etats n’ont plus qu’un objectif en tête : gérer au mieux les flux migratoires. Un sujet qui ne manque pas d’alimenter les débats politiques, poussant certains à des «dérives protectionnistes et souverainistes» radicales dans leurs discours. D’ailleurs, dans ce cadre, plusieurs acteurs de la société civile dénoncent des discours politiques sur l’immigration incitant à la haine.En France, dans le cadre de la campagne présidentielle 2017, François Fillon, le candidat républicain, a requis des quotas d’immigration décidés chaque année par le parlement.Robert Ménard, maire de Béziers, a jugé récemment qu’il y avait trop d’enfants musulmans dans les classes de sa ville. Une déclaration qualifiée d’«incitation à la haine».

Si en Allemagne, la Chancelière Angela Merkel a décidé d’accueillir des réfugiés, dont le pic atteignait les 10 000 en décembre 2015, il n’en demeure pas moins que sa politique ne fait pas l’unanimité. Ainsi, dans le cadre d’un sondage en 2016, 56% des Allemands se sont prononcés en défaveur de la politique migratoire menée par leur chancelière. Certains foyers de réfugiés en ont pâti et ont été incendiés.

Le vote des étrangers : renvoyé aux calendes grecques ?

Généralement perçu certes comme un outil d’intégration, de lutte contre les discriminations,le communautarisme, le repli sur soi, le vote des étrangers connait toutefois, un certain recul sur la scène politique.Entre effet,  les actes terroristes perpétrés récemment en France ont introduit sur la scène politique le débat sur la déchéance de la nationalité française aux étrangers condamnés de terrorisme. Un débat qui n’est pas sans avoir une certaine incidence sur le droit de vote des étrangers puisque la nationalité ou la citoyenneté constitue en général l’une des conditions principales pour l’octroi de ce droit.

S’il a toujours été connu que la gauche soutient le droit de votes des étrangers, de plus en plus, on assiste à un certain repli et un changement de discours parmi les leaders des partis politiques de gauche en Europe. S’étant engagés lors des campagnes électorales à octroyer le droit de vote aux étrangers une fois au pouvoir, plusieurs se heurtent à des défis et abandonnent leurs promesses de campagne. Ainsi la 50e promesse de campagne de François Hollande parvenu en fin de mandat, n’a pas été réalisée. Et pour cause, plusieurs défis, notamment la nécessité d’une réforme constitutionnelle qui exige un référendum ou une majorité des 3/5e au congrès, sachant que la droite est farouchement opposé à ce projet.

Au sein de la Gauche, le droit de vote des étrangers jadis l’une des priorités majeure semble relégué au bas de l’échelle. Et pour cause, face aux défis sécuritaires, la crise économique, il ne constitue pas une urgence ni une priorité. « Le vote des étrangers ne représente pas une urgence, mais une revendication forte », déclarait Manuel Valls en 2012. « Le vote des étrangers ce n’est pas pour maintenant. Il n’y a pas de majorité constitutionnelle pour faire cela. Ce n’est pas la peine de poser des questions dont on sait qu’on n’a pas les moyens de les résoudre. Nous devons nous concentrer sur l’essentiel de ce que nous pouvons faire immédiatement avec la majorité dont nous disposons : le redressement des comptes du pays, la croissance», avait déclaré pour sa part Bernard Cazeneuve à l’émission «Questions d’info» en 2014.

Ce recul est également perceptible auprès des citoyens européens. Ainsi, en France, en 2016,après l’attentat du 13 novembre, ce sont 54% des personnes sondées se sont déclarées favorables au vote des étrangers aux élections locales et européennes, cinq points en dessous du soutien atteint en 2011 (59%). Le même constat est enregistré en Belgique. Si le pays a ouvert le vote aux étrangers lors des communales, les défis sécuritaires qu’a connus les pays avec l’attentat terroriste en mars 2016 a eu un impact sur le débat relatif à l’extension du droit de vote des étrangers aux régionales proposée par le parti socialiste. En 2016, selon le baromètre politique La Libre/RTBF/Dedicated,seulement 21% des Wallons sont favorables à la participation des étrangers au scrutin régional. A Bruxelles et en Flandres, seulement 32% y sont favorables. Au total, 54% des Belges ne sont pas d’avis d’accorder aux résidents non-belges le droit d’élire les députés régionaux.

Le Maroc, des avancées réelles

En Afrique, peu de pays octroient le droit de vote aux étrangers, un vrai problème pour accorder le droit de vote à leurs ressortissants ailleurs, dans le cas où la pratique de la réciprocité est exigée. Dans cet échiquier, le Maroc qui accueille se distingue, puisque sa constitution de 2011 donne le droit aux étrangers présents sur son territoire de participer aux élections locales, contrairement à plusieurs pays européens dont l’octroi du droit de vote aux étrangers requiert une réforme constitutionnelle. Dans son article 30, la constitution stipule que «les ressortissants étrangers jouissent des libertés fondamentales reconnues aux citoyennes et citoyens marocains, conformément à la loi. Ceux d’entre eux qui résident au Maroc peuvent participer aux élections locales en vertu de la loi, de l’application des conventions internationales ou de pratiques de réciprocité.» Toutefois, la question est absente des débats politiques et soulève plusieurs interrogations : Jusqu’où peut-on aller dans l’octroi des droits politiques aux étrangers au Maroc ? Le droit de vote des étrangers étant intimement lié à la nationalité, quid du code de la nationalité marocaine ? Toutes les conditions sont-elles réunies pour enclencher ce débat aujourd’hui au Maroc ? Après avoir adopté, une politique d’immigration humaine et en phase avec les droits de l’Homme, le Maroc est-il prêt à faire le pas pour traduire dans les faits les dispositions constitutionnelles à l’égard du vote des étrangers ? Le Maroc s’étant engagé pour l’intégration des étrangers, réclamer le droit de vote aujourd’hui ne serait-il pas aller plus loin et demander plus qu’il n’en faut ?

Selon  Romaric Hocine Ngbatala, responsable au sein de l’Association Afrique Culture Maroc (ACM) contacté par Al Bayane, «pour une intégration totale, le migrant doit participer à la vie de sa localité, de sa cité en tant que citoyen. C’est en lui attribuant le droit de vote qu’il pourra davantage se sentir chez lui et pourra transmettre ce sentiment à ses enfants». Si aujourd’hui, les efforts sont axés sur l’insertion économique de cette population et le vivre ensemble, cela ne doit pas empêcher de mener un débat sur l’octroi du droit de vote aux étrangers, souligne-t-il. D’ailleurs, pour lui, «vu que la constitution, loi fondamentale, prévoit des dispositions dans ce sens, on peut néanmoins s’interroger sur le manque de volonté des politiques qui auraient pu se manifester par des gestes forts allant dans le sens de la nouvelle politique migratoire lancée par le Royaume dans la direction du droit de vote des étrangers». «Avec les avancées que connait le Maroc en matière de migration, la question du droit de vote des étrangers ne doit pas être abordée uniquement par la Société civile mais aussi par les partis politiques, les syndicats, les acteurs de la vie politique et ce, de façon responsable  et non instrumentale,  permettant au Royaume de conforter sa position de leader dans ce domaine», insiste-t-il. Selon cet acteur de la société civile, «permettre aux étrangers au Maroc de réaliser ce droit c’est reconnaitre à ces personnes le droit d’exister et d’être considérés non comme des étrangers tolérés, mais comme des citoyens à part entière». Il s’agit selon lui que les pouvoirs publics aient une réelle volonté pour mettre en œuvre le droit de vote des étrangers au Maroc.

Danielle France Engolo

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Un tiers des pays dans le monde accorde le droit de vote aux étrangers

Selon Hervé Andrès, auteur d’une thèse de doctorat sur «le droit de vote des étrangers : état des lieux et fondements théoriques» en 2007, seul un tiers des pays dans le monde accorde le droit de vote aux étrangers. Et les cas de figures varient de la seule ouverture aux résidents communautaires à une ouverture totale. En Europe, sur les 28 pays membres de l’Union Européenne (UE), dix ont limité le droit de vote aux résidents communautaires européens, dont la France qui l’instaura en 1992. Quatre ont élaboré des dispositions permettant à certains citoyens non membres de l’UE de voter. Ainsi, au Royaume –Uni, certains citoyens du Commonwealth (Nigeria, Pakistan…) peuvent voter sur la base d’accords de réciprocité. Treize pays de l’UE accordent le droit à tous les résidents étrangers de voter au moins aux Municipales. Hors Union Européenne, deux pays, notamment l’Islande et la Norvège, se distinguent, en étendant ce droit à tous les étrangers peu importe leur origine, de même que certains cantons suisses. Aux Etats-Unis, souligne l’étude, quelques communes octroient ce droit, mais le sujet reste une pomme de discorde. En Amérique du Sud, en général, le droit de vote est reconnu à tous les étrangers, exception faite au Surinam qui le réserve aux Nationaux. En matière d’octroi de droit de vote aux étrangers, l’Asie, l’Océanie et l’Afrique se trouvent en bas de l’échelle. Seuls 9 pays africains sur 54 octroient ce droit. En Asie et Océanie, les pays favorables au droit de vote des étrangers et qui le pratiquent, se comptent sur le bout des doigts (Corée du Sud, Australie, Hong-Kong, Nouvelle Zélande…).

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