dans son premier recueil de nouvelles Rires et insignifiance à Casablanca paru aux éditions La Virgule. Dans sa «nouvelle» liminaire, le narrateur, qui s’assimile à une pomme de terre, mêle l’exercice d’admiration littéraire à la réflexion sur la création et tout ce qui peut l’empêcher, l’angoisse du doute et l’auto-humiliation. D’emblée, une fine complicité et une souriante sympathie sont nées entre l’auteur en herbe − la pomme de terre − et tous les aspirants écrivains qui sont les lecteurs.
Leçon de choses de Rires et insignifiance à Casablanca, nouvelles de Issam-Eddine Tbeur
Construites avec une méthode aisée et une expression enjouée qui a horreur des outrances, ces nouvelles dressent les limites de la géographie psychologique des personnages dont la peinture ne cesse de gagner au fil du texte en vérité et en profondeur. Tel est le cas du jeune étudiant si fan de son auteur favori qu’il échoit à la fin avec ses frères de condition, des fanatiques, dans la nouvelle Moins que zéro . Ces fanatiques, encore eux, sont prêts à voir La barbe du prophète partout ; ainsi en est-il de l’usage de l’imagination chez les religieux que l’auteur se propose de pourfendre. La nouvelle Seul l’émerveillement est permis débat du sujet ô combien inoffensif des vicissitudes politiques en vigueur dans le royaume, mêlées, il est vrai, aux relents du nitrate d’ammoniaque s’il vous plaît (relevons le langage à défaut de relever le niveau de nos politiciens). Les livres sont presque partout présents dans ces nouvelles. Dans La vieille du Don Quichotte, le personnage de Fadma est immolé en signe d’identification du héros, un digne descendant du personnage de Cervantès. Dans Les hirondelles de Casablanca, le commissaire divisionnaire Mahmoud devait résoudre sa pensée divisée entre ses velléités idéalistes d’étudiant et les exigences de sa profession face aux doux anars échus dans son commissariat un dimanche jour de derby ; la solution lui vient de l’arbitre du match qui commet une erreur d’appréciation imputée à son pouvoir discrétionnaire. Dans La maison de la mer, comme son titre ne l’indique pas, le narrateur, qui rate dans sa jeunesse son bateau, s’embarque dans une vallée de bière pour un voyage long courrier qui durera toute une vie. Ce n’est pas tout !
C’est dire combien le rire, moyen sûr de téléportation, permet d’appréhender l’insignifiance du monde dans ce recueil profond et doux. Le style-vision y est essentiellement poétique dans des scènes de dimension sonore, visuelle et olfactive d’une création douée d’une forte individualité. La satire, doublée souvent d’une ironie impitoyable à l’endroit des nantis comme du protocole humiliant du Makhzen, donne la mesure de ce talent à la plume décidée et à l’écriture malicieusement irrévérencieuse. Un style, encore une fois, précis et aigu, étincelant et léger. Le petit Oscar de Günter Grass ne va plus se cacher dans les larges jupes de sa grand’mère, il n’est pas un nain : c’est un géant, un écrivain d’un talent certain.