«Les distributeurs n’acceptent pas de distribuer le livre écrit en amazigh»

Le livre amazigh a connu, selon le chercheur et écrivain Ahmed Assid, une véritable explosion vu le nombre d’ouvrages édités chaque année par rapport aux années 60 et 70 jusqu’aux années 90. Selon lui, pour qu’il y ait un public de lecteurs, il faut qu’il y ait bien évidement une distribution équilibrée. Assid n’a pas manqué de rappeler ainsi que le grand acquis des écrivains en amazigh réside dans la normalisation de la langue amazighe, c’est-à-dire que les écrivains écrivent aujourd’hui avec des normes.

Al Bayane : Lors d’une conférence organisée, vendredi 10 février par le Ministère de la Culture dans le cadre de la programmation du Salon International de l’Edition et de Livre, sous le thème «Le patrimoine culturel amazigh au service de la diversité culturelle au Maroc», vous avez parlé de cet aspect universel qui caractérise la spécificité de la culture amazighe. Pourriez-vous en dire plus?

Ahmed Assid : Depuis la nuit des temps, les amazighs ont été toujours ouverts sur le monde, les autres cultures et les autres civilisations. Ce qui explique bien entendu cette lutte sans merci contre les envahisseurs. Ils ont refusé à un moment donné de l’Histoire que les étrangers occupent leur terre, mais n’ont jamais été contre les cultures, les religions et les civilisations. Preuve en est l’échange qui a eu lieu en Afrique du Nord en général et au Maroc en particulier. Car notre pays a été toujours considéré comme un carrefour de civilisations et de cultures.

Or, il faut le rappeler, elle avait commencé en tant que conscience sociale et intellectuelle depuis l’Independence. Et aujourd’hui, elle s’oriente vers ce qui est universel dans la chanson, dans la production littéraire, dans la production artistique et aussi dans la production académique. Les amazighs sont conscients de ce passage de l’enracinement vers l’universalité. Ils considèrent que leur culture n’est pas une identité clause, une identité enfermée sur elle-même. Elle a toujours été une identité ouverte sur le monde. Raison qui justifie la place de la culture amazighe et sa prise en considération de sa vision au niveau de l’Art, ais également et surtout, dans la pensée académique. Bref, il y a toujours ce regard de l’universel qui est trop sensible aux valeurs humanistes.

Puisque nous sommes au SIEL, comment se porte le livre amazigh?

Le livre amazigh a connu une véritable explosion vu le nombre d’ouvrages édités chaque année par rapport aux années 60 et 70 jusqu’aux années 90. Aujourd’hui, on peut dire qu’on est en train de vivre une véritable renaissance du livre amazigh dans un contexte qui est marqué par un débat national sur la gestion rationnelle de la diversité. Il suffit de dire que l’alliance des écrivains en amazigh a publié 113 ouvrages dont le roman, la nouvelle, la poésie et le théâtre.

Par ailleurs, cette alliance encadre plus de 36 jeunes écrivains. C’est un phénomène qui n’a jamais existé auparavant. Quant à l’IRCAM, il a dépassé aujourd’hui les 300 ouvrages dans les domaines de la littérature, l’art, l’anthropologie, la linguistique, la pédagogie, la traduction, l’enseignement, l’histoire et l’environnement et tout ce qui est informatique. On peut dire qu’il y a une explosion de production dans le domaine du livre amazigh, mais il reste toujours des entraves à étudie, notamment au niveau de la distribution. On a un véritable problème de distribution puisque les producteurs du livre amazigh n’arrivent pas à convaincre les distributeurs d’adopter ses livres pour les distribuer.

Car ces derniers n’acceptent de distribuer que ce qui est écrit en français ou en arabe sur l’amazigh, refusant de publier le livre écrit en tifinagh et en amazigh. Je pourrais vous dire que l’IRCAM lui-même a eu des difficultés pour distribuer ses livres pour la raison liée à la langue d’écriture citée plus haut. L’IRCAM produit des livres qu’il arrive à vendre dans le Salon du Livre ou dans les rencontres culturelles. Et dans ce sens, il serait judicieux de rappeler que l’IRCAM est en manque d’un distributeur. Un livre qui est produit et qui n’est pas distribué, qui n’existe que dans un point de vente, demeure un véritable problème.

Pour qu’il y ait un public de lecteurs, il faut qu’il y ait absolument une distribution équilibrée. Le grand acquis des écrivains en amazigh, c’est qu’il y a normalisation de la langue amazighe, c’est-à-dire qu’ils écrivent aujourd’hui avec des normes. Il y a 20 ans, chacun écrivait l’amazigh comme il le voulait.

Aujourd’hui, les règles de grammaire et de conjugaison, comme celle de la segmentation sont claires, et chacun est obligé de respecter ces règles parce qu’il existe une institution de normalisation qui a réalisé le travail académique. Aujourd’hui, puisque l’amazigh est une langue de l’école, l’écriture en amazighe est beaucoup plus correcte qu’avant.

L’IRCAM a célébré mercredi dernier le 14e anniversaire de la reconnaissance officielle de la graphie Tifinaghe sous le thème : «Tifinagh entre authenticité et innovation». Pensez-vous que cet alphabet a donné plus de visibilité à la culture amazighe?

Ce que tifinagh a donné à la culture et à l’identité amazighes, c’est d’abord le symbolise la profondeur historique, une authenticité de l’identité nationale sur le territoire marocain puisque cette graphie date de 4.000 ans. Il est gravé sur les rochers de la terre marocaine et nord-africaine.

Aujourd’hui, il symbolise l’identité visuelle du pays puisque toutes les institutions officielles portent maintenant cet alphabet aux cotés de l’alphabet arabe et latine. Des études ont prouvé que l’alphabet tifinagh est le plus facile à apprendre par les enfants parce qu’il a des voyelles, et d’un autre côté, les lettres ne changent pas alors que l’alphabet arabe change. Et d’ajouter, la reconnaissance nationale de cet alphabet depuis le 10 février 2003 qui a été accepté en tant que graphie officielle de transcription et d’enseignement de l’amazigh; il a aussi été reconnu sur le plan international par l’institut ISO Unicode qui est l’Institut de la normalisation des alphabets en 2004. Et puis en 2010, il a été adopté par Windows8 et en 2016 par Facebook. On peut dire que cet alphabet a réalisé beaucoup d’acquis depuis 2003 jusqu’à aujourd’hui.

Mohamed Nait Youssef

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