Les festivals de cinéma: La crise ?

On peut reprendre en la paraphrasant la formule galvaudée «Trop de festivals tuent les festivals», pour décrire un état des lieux qui confine effectivement à la crise. Ce triste mois de novembre où à l’absence de la pluie nous assistons à un déluge de rencontres, de festivals et de manifestations cinématographiques, nous en offre un constat accablant.

De Martil au nord à Dakhla au sud, se tiennent chaque semaine au moins deux à trois «festivals de cinéma». La plupart avec jury et compétition officielle. Certains s’en sortent tant bien que mal, d’autres donnent plutôt l’impression de répondre à une obligation.

Pourquoi alors parler de crise avec cette effervescence qui devrait plutôt réjouir ? C’est en effet une image fausse qui ne reflète absolument aucune réalité culturelle ou professionnelle sur le terrain. Un observateur objectif ne manquerait pas de constater que depuis 2012, il y a un paradoxe qui dit à sa manière le malaise que traverse le cinéma marocain d’une manière générale. Un communiqué de la chambre marocaine des producteurs de films, l’organe historique de la profession, a même choisi de parler le langage de la vérité et tirer la sonnette d’alarme en appelant à agir : à «sauver le cinéma».

La question des festivals en est un des aspects. Alors même que nous assistons à une recrudescence du nombre de rencontres dédiées au cinéma, on relève la chute du nombre de spectateurs, à la fermeture continue de salles de cinéma. Et plus grave encore, l’augmentation du nombre des festivals est inversement proportionnelle au progrès de la cinéphilie. Celle-ci traverse l‘une de ses périodes les plus affligeantes; cédant le terrain à des lobbies venus d’ailleurs pour investir un champ juteux à l’image de la soi-disant fédération des festivals qui a mis à sa tête les nouveaux propriétaires fonciers du cinéma.

Certes, nous avions ici même soutenu l’idée généreuse de la multiplication des festivals à travers la carte du Royaume. C’était dans la continuité de la dynamique générale que connaissait ce cinéma en termes de production et d’arrivée de nouvelles générations. Le boom qu’a connu la production du court métrage a légitimé l’émergence de quelques rencontres dédiés à ce format. Et des villes qui n’avaient pas la possibilité de voir la production cinématographique de longs métrages ont vu la naissance de quelques manifestations offrant au large public l’occasion de voir des films de cinéma, et de rencontrer les stars nationales. Cette approche a connu son âge d’or entre 2005 et 2010.

Ce programme qui devrait s’intégrer à une démarche d’ensemble du cinéma marocain s’est vu dévoyé avec la création par l’ancien ministre de la Communication, en 2012, de la commission de subvention des festivals. Empêtrée dans une approche procédurale, et sans vision d’ensemble, la commission confiée à des non professionnels a été une vraie «fausse bonne idée». Sous-prétexte de vouloir démocratiser la subvention, elle a contribué à l’émergence d’une nouvelle variante de l’économie de rente. Les festivals ne sont plus créés parce qu’ils répondent à une réalité sur le terrain : émanation d’un ciné-club, ou encore, à un mouvement culturel dans la ville ou la région… Ils sont désormais créés d’en haut avec le seul soucide répondre à un cahier des charges.

Et du coup, nous avons assisté à une inflation de festivals qui courent derrière la classification absurde instaurée par le texte réglementant la subvention. Tout le monde cherche à intégrer la catégorie C ou la catégorie B… Des membres sérieux de la commission ont relevé l’artificialité des dossiers présentés où les chiffres et les sections sont gonflés dans le seul but de décrocher la cagnotte. Plus grave encore, c’est la réalité du terrain. En dehors des festivals historiques (le festival national du film) ou dotés de structures professionnelles (Marrakech), la majorité écrasante des festivals n’a pas de ligne éditoriale cohérente, ne dispose pas d’une salle de cinéma(les projections sont le dernier souci) et n’a pas de public.

La question du public est plus flagrante encore, elle est la traduction éloquente de l’échec de l’idée même d’un festival. Le public est une construction. Cette vérité simple n’est jamais appliquée. Au fur et à mesure des éditions, un festival est censé créé un noyau de cinéphiles et d’adhérents portant son idée. Hélas, ce n’est pas le cas ! Certaines manifestations programment des projections où le nombre d’organisateurs est plus élevé que le public présent.

D’autres encore laissent la porte du lieu qui accueille la manifestation ouverte, où l’entrée est non seulement libre mais ne se distingue pas du trottoir d’en face : enfants, badauds… On entre et on sort en pleine projection. La question du public est le constant le plus accablant de l’échec de cette «festivalite» qui s’est emparée du pays et a écrasé dans l’œuf toute velléité de cinéphilie.

Quant au bilan artistique, il est tout simplement catastrophique : la situation du court métrage en est la preuve. L’inflation de rencontres dédiées au court métrage a tiré celui-ci vers le bas.

Il est triste de relever face à ce tableau le silence complice des journalistes, critiques et intellectuels qui ce faisant, contribuent à la banalisation de la médiocrité et la mort de la cinéphilie. Du cinéma.

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