Les indigènes en marche vers la Cour suprême pour leurs terres

Brésil

Des milliers d’indigènes en tenue traditionnelle étaient en marche mercredi après-midi à Brasilia vers la Cour suprême qui doit rendre un jugement crucial sur leurs terres ancestrales.

Quelque 6.000 membres de 170 tribus, beaucoup portant des coiffes en plumes et brandissant des arcs et des flèches, sont partis vers le siège de la plus haute juridiction brésilienne, espérant faire pression sur ses 11 juges.
Il s’agit de la plus importante manifestation d’indigènes jamais organisée au Brésil, selon l’Association des peuples indigènes du Brésil (Apib) qui coordonne la mobilisation.

Depuis dimanche, des milliers d’autochtones au corps souvent peint ont dressé des tentes, chantant et dansant près des édifices modernistes du palais présidentiel, de la Cour suprême et du Parlement.

Ces rassemblements chatoyants se tiennent pour l’instant dans le calme, les organisateurs ayant appelé les manifestants à ne pas s’affronter à la police anti-émeute qui se trouve sur les lieux.
En juin, des manifestations pour leurs terres d’indigènes avaient dégénéré. Trois manifestants avaient été blessés, de même que trois policiers, par des flèches.

La décision de la Cour pourrait ne pas être connue dans la journée, ni même cette semaine.
Les juges doivent confirmer ou rejeter la « thèse temporelle » qui ne reconnaît comme ancestrales que les terres qui étaient occupées par les indigènes quand a été promulguée la Constitution, en 1988.
Or de nombreuses tribus ont été déplacées lors des soubresauts de l’histoire brésilienne, notamment sous le régime militaire (1964-85). De retour sur leurs terres, celles-ci réclament la protection du statut accordé aux réserves, auquel est opposé le puissant lobby brésilien de l’agronégoce.

« Pendant la dictature militaire, l’Etat a vendu nos terres à des fermiers. Ils nous ont expulsés, c’est la raison pour laquelle nous n’étions pas là » en 1988, a expliqué à l’AFP Ana Patte, une militante de l’ethnie Xokleng.
« Ils nous ont tués comme si nous étions des insectes dont ils devaient se débarrasser pour faire des cultures (sur nos terres) ».

C’est en tranchant sur le cas spécifique d’une réserve de l’Etat de Santa Catarina (sud) — décider si la « thèse temporelle » s’y applique ou non — que la Cour suprême rendra un jugement qui concernera par ricochet des dizaines, voire des centaines, d’autres réserves objets de litiges depuis des années.

Le président Jair Bolsonaro a déjà averti que surviendrait « le chaos » si la « thèse temporelle », favorable aussi aux activités de déforestation et de prospection minière illégales, n’était pas confirmée par la Cour suprême. Il a affirmé par le passé qu’il ne cèderait jamais 1 cm2 de terres aux indigènes.

« Si la Cour suprême accepte la +thèse temporelle+, cela pourrait légitimer la violence contre les peuples indigènes et exacerber les conflits dans la forêt amazonienne et d’autres régions », a averti Francisco Cali Tzay, rapporteur spécial de l’ONU pour les droits des peuples indigènes.
« Tout le Brésil est un territoire indigène », a déclaré à l’AFP Tai Kariri, 28 ans, chef de la tribu Kariri, dans l’Etat de Paraiba (nord-est), « nous avons toujours vécu là ».

Les manifestants protestent également contre ce qu’ils estiment être des violations systématiques de leurs droits depuis la prise de fonction en janvier 2019 du président d’extrême droite.
« Ce gouvernement attaque les peuples indigènes », déclare à l’AFP Syrata Pataxo, un chef de 32 ans des Pataxo, tribu de l’Etat de Bahia (nord-est).

« Aujourd’hui toute l’humanité appelle à la protection de la forêt amazonienne. Mais le gouvernement veut que notre forêt, le poumon de la planète, soit remplacée par les cultures de soja et l’extraction d’or », dit l’indigène dont le corps est peint de motifs élaborés.

Jair Bolsonaro soutient un projet de loi qui ouvrirait les terres indigènes à l’exploitation des ressources naturelles.
Deux autres propositions de loi sont décriées par les tribus comme encourageant « les invasions » de leurs terres. L’une prône la régularisation des occupations illégales de terres par des orpailleurs, bûcherons ou éleveurs.

Pour les défenseurs de l’environnement, la protection des terres indigènes est aussi le moyen d’enrayer la destruction de l’Amazonie, victime d’une déforestation record sous Bolsonaro.
Les quelque 900.000 indigènes du Brésil représentent 0,5% des 212 millions d’habitants et leurs terres s’étendent sur 13% du territoire de l’immense pays.

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