Les passions humaines et l’amour des autres

Le monde de Julie Guégan

Par Noureddine Mhakkak

Le dialogue avec Julie Guégan est un voyage culturel dans les mondes des Lettres et des Arts. C’est-à-dire dans le monde de la poésie, de la prose, du cinéma, de la peinture et de la photographie d’une part et dans le monde de l’actualité aussi. Ainsi, nous allons parler des relations humaines, nous allons parler de l’amour, de l’amitié, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit et la connaissance de l’autre. Nous allons parler des villes, des livres, des films, nous allons parler de nous, et nous allons parler de nous, de nos pensées, de nos réflexions, de nos passions, et nous allons parler de vous en tant que lecteurs. Des lecteurs fidèles qui nous lisent avec tant de plaisir.

Selon Björk Gudmunsdottir : « Tout doit être fait avec passion. ». Pourriez -vous nous parler de la passion d’amour à travers des films que vous avez déjà vus ?

J’ai de nombreux films en tête autour de la passion amoureuse ! Je commence par l’amour qui détruit et fait mal, pour aller petit à petit vers la passion tendre et une forme de vérité que je cherche à suivre.

Dans les films que je m’apprête à évoquer, l’illusion d’un amour puissant, véritable, qui renverse tout, prend le pas sur la logique et le rationnel. Finalement, c’est presque pathologique, et me vient l’envie de les sauver d’eux-mêmes. On sent qu’ils se détruisent dans cette passion et ça fait peur, ça grise, bref des tas d’émotions sont transmises. Pour moi, qui me voit comme une combattante, ces histoires me parlent car elles me donnent envie de me lever, de prendre parti et d’agir.

Ainsi, j’ai envie d’évoquer les « Nuits Fauves » de Polanski.  L’un de mes films fétiches. Il parle de décadence humaine avec une sensibilité à fleur de peau qui me touche. Se perdre dans l’autre, pousser les limites, tout cela avec une recherche d’esthétique fascinante. Emmanuelle Seigner est féminine, libre et possédée à la fois. C’est le paradoxe, et tout ce que j’aime. Je l’ai vu de nombreuses fois, on y découvre toujours d’autres vérités sur la complexité de la nature humaine. J’aime être stimulée ainsi, que l’on m’amène à changer de regard, à me transformer aussi un peu.

En outre, je suis de la génération Lars Von Trier, alors quand l’envie me prend, je me plonge dans son univers fou et décalé et j’en prends beaucoup de plaisir. L’un de ses films les plus marquants restera pour moi « Breaking the waves ». C’est sans doute l’une des plus grandes histoires d’amour de tous les temps. Je ne crois pas qu’on puisse en sortir indemne tant il est troublant.

Ensuite, me vient en tête « Les amants du pont neuf » de Leos Carax. Ex-aequo avec le fabuleux « 37°2 le matin » de Jean-Jacques Beineix. Vous allez dire que j’aime les personnalités perdues, fragiles mais au fond, au-delà de ces caractéristiques, ce que je recherche, c’est la fusion des âmes. Que je retrouve aussi dans « L’été meurtrier » de Jean Becker ou « Noce Blanche » de Jean-Claude Brisseau.

L’amour est l’annonce d’une perte pour les protagonistes, et j’aurais presque envie de les suivre dans leurs chutes ! Et puis, non…je réalise que ce n’est pas ce que je veux. Je ne cède pas à la tentation d’une souffrance qui ferait vibrer, qui donnerait une sensation de vivre. Et je leur préfère des films plus doux, plus tendres, plus romantiques. Alors, la vraie fille que je suis se retrouve dans des jolies histoires, à l’eau de rose. Comme les films d’Alexandre Jardin, « Fanfan » ou « le Zèbre ». C’est la passion aussi, mais c’est mignon. Ça fait du bien. On aimerait trouver un amour aussi serein.

Une forme d’idéal se trouve entre les deux genres. Entre passion et tendresse. Quelle serait alors l’histoire qui me ressemblerait le plus ? Je crois que c’est lorsque deux personnes se retrouvent autour d’une même passion, leur donnant à jamais des conversations stimulantes. Je cite : Beauvoir et Sartre, …Je rêve de trouver mon partenaire de projet. Celui qui sera à même de comprendre ma passion, mes choix, mon besoin de faire les choses à ma manière. Mais au-delà de moi, j’ai besoin que l’autre m’inspire, que je l’admire profondément, à travers sa personnalité, sa force, son intégrité et sa bienveillance. Étrangement, je ne suis pas en quête, mon petit doigt me dit, que le travail je dois le poursuivre sur moi, d’abord.

Et si cet homme arrive… par magie, alors je pense que tous deux nous nous porterons vers une réalisation, qui sera plus importante que nous-mêmes. Je cherche un film qui rendrait cette description moins abstraite aux yeux de nos lecteurs, et je pense à « Camille Claudel » de Bruno Nuytten. D’ailleurs, j’adore sculpter.

On peut considérer la passion comme un sentiment positif selon Denis Robert « “Il vaut mieux se perdre dans sa passion que perdre sa passion. ». Qu’en pensez-vous ?

Dans le cas de Camille Claudel et d’Auguste Rodin, on voit bien que la passion a été prolifique et donc positive. Auraient-ils réalisé autant de chefs-d’œuvre, s’ils étaient restés loin de l’autre ? Évidemment, si on s’intéresse à leur couple, nous voyons rapidement qu’il n’y avait pas grand-chose de sain entre eux. Mais je ne vois pas d’intérêt à fouiller leur intimité car ce qui compte pour moi c’est d’aller vers une passion qui porte et non celle qui dévore. Un amour qui grandirait avec l’admiration que l’on a pour l’autre, ses combats, ses valeurs et ses principes. Un amour qui respecterait et qui encouragerait. Libre et dont le soin et les limites seraient au cœur.

Pour les meilleures choses, j’accepte de patienter. J’ai tout fait très vite jusqu’ici. Pour l’amour, le véritable, je veux prendre le temps.

Cher Noureddine, votre citation nous dit aussi autre chose. Elle nous parle de se perdre plutôt que de perdre. Et je reconnais bien là mon parcours de vie. Je ne suis pas quelqu’un qui s’arrête devant l’épreuve. Surtout, je ne me fige pas devant les jolis rêves. Dans le passé, la passion a pu m’emporter. Cela m’a appris qu’en toute circonstance, il faut garder un œil grand ouvert sur le sol.  Mais globalement, jamais de ma vie, je n’ai hésité à me perdre pour vivre mes passions. Je me qualifie même de cobaye. Alors, imaginez ma pauvre maman comme elle a souffert avec moi. Je me souviens comme dès le plus jeune âge, il fallait que je parte à l’aventure.

Jusqu’ici j’ai été quelqu’un qu’il était difficile de faire plier, d’épouser, ou même de donner un contrat à durée indéterminée. J’ai besoin de maintenir le contrôle sur la personne que je souhaite devenir car j’ai beaucoup d’idées et une vision très claire. Mais comme je vous le disais dans un précédent article, j’ai compris que la rigidité est un vilain défaut, et à travers ces postulats je vous montre que je ne vais pas au bout de mes principes. Je rejoins Sartre lorsqu’il nous rassure sur notre liberté en nous disant que nous sommes de facto libres. Que notre existence est ce qui précède notre essence, et donc que je ne dois pas avoir peur de me plonger dans la société, sans filets. J’ai eu souvent peur quand j’étais petite, mais je dois laisser le passé où il est, maintenant que j’ai fait tant d’efforts pour l’assimiler. Il n’a pas à revenir, désormais, sans que je ne l’y invite. Le temps des boulets accrochés à ma cheville est fini. Ils m’ont trop tiré en arrière pour rien.

Je me raccroche à qui je suis. Et j’en reviens à ce qui m’intéresse. Je suis à la fois curieuse et très inspirée par les parcours de vie. J’ai toujours eu ce besoin d’admirer ceux qui font des grandes choses. Je dois dire, que ce sont les valeurs qui m’inspirent. Je me passionne pour des histoires un peu rock n’roll. Et c’est vrai, que dès petite, j’avais besoin de poser des questions aux adultes qui nous visitaient. Ceux qui m’attiraient par leurs valeurs, leur excentricité, leur grand humanisme aussi. Ceux qui n’en avaient pas grand-chose à faire du qu’en-dira-t-on. C’est tout un travail de devenir cela, on me dit parfois de mes vidéos qu’elles manquent d’authenticité, que j’y suis superficielle. C’est difficile à attendre, moi qui ne suis pas comme ça du tout dans la vie.

Kierkegaard nous dit qu’on est l’être en devenir et j’aspire donc combler le fossé entre ce que je suis et je ce que je veux être. Petit à petit, j’espère donc que l’être en devenir représentera mes valeurs profondes et mes aspirations. Le jour où plus personne ne me dira que j’ai l’air superficiel sur ma chaîne YouTube est le jour où j’aurais réussi. J’y travaille avec toi Noureddine !

Je crois vous l’avoir déjà dit, j’ai vraiment eu des ancêtres incroyables, et quelque part cela oblige. !

La relation avec les autres est une passion positive selon Henri Duvernois « La passion, c’est l’amour des autres… ». Quel est votre avis à ce propos ?

Alors sans réfléchir, en lisant votre question, je pense immédiatement à trois livres, qui ont tous eu une grande importance pour moi :  La Vie Devant Soi de Romain Gary, L’Écume des jours de Boris Vian et La fée Carabine de Daniel Pennac. Des histoires de vie en communauté, tout en poésie. Car c’est un art le vivre-ensemble, et mon objet de recherche depuis tant d’années désormais.

Si Boris Vian était là aujourd’hui, il nous dirait sans doute à sa manière combien nous inspirons tous de la pitié, avec nos mentalités post-industrielles. Combien aujourd’hui elles nous conduisent droit dans le mur.  Il fallait qu’on produise, qu’on bouge partout et qu’on soit occupés. Et alors, on n’a jamais travaillé autant qu’aujourd’hui. Surtout, pour quoi faire ? Si le résultat de nos labeurs consiste à détruire un peu plus la planète chaque jour, je pense qu’il serait bon de commencer à ralentir.

Je rêve d’un monde où plus personne (et plus aucune espèce !) ne se sente seule, démunie et abandonnée de notre société. Et ce qui serait amusant, d’après moi, c’est de faire tout ce travail de deuil collectif, très profond et intense, dans la joie et la légèreté que m’inspirent ces ouvrages. On trouverait amusant de regarder en face nos illusions et de les voir partir, pour enfin ne plus se prendre la tête !  Derrière une apparente simplicité, on masquerait la complexité. J’ai envie qu’on se dise qu’on s’est trompés, que ça arrive, mais que nous devons nous arrêter là maintenant. En fait, je refuse qu’on ne réagisse pas. Alors à mon petit niveau, j’essaie d’élever les consciences.

D’après Robert Sabatier « Le rire sucre les larmes ». Que diriez –vous à propos de ces mots ?

Que vous parlez à une convertie ! Je suis une grande adepte du yoga du rire. Avant de commencer une réunion très sérieuse, je m’amuse à amener la salle avec moi dans une séance de fou-rires. Cela décoince, libère les tensions, et c’est fou comme de rire ensemble peut rapprocher les gens. Je sais que le corps guérit l’esprit et qu’il peut nous faire aimer quelque chose, comme d’ailleurs nous le faire détester.

Quand je suis triste, je fais appel à mon corps. Je cours, je saute partout, je souris, je ris… Et je trompe ainsi mon cerveau ou mon cœur qui pleure. Le rire est du sucre, parce que c’est si bon. Une fois qu’on a commencé, on a qu’une envie, c’est de continuer. Quelle joie de s’entourer d’amis ou de collègues avec lesquels on peut rigoler !

Entre temps, j’avoue, j’ai lu Kundera, Ionesco, Desproges… Et qu’est-ce que j’ai aimé ça.

Selon cette citation « L’optimiste rit pour oublier ; le pessimiste oublie de rire. ». Parlez-nous de ces deux visions du monde.

 Pendant longtemps, j’ai eu l’impression que le rire se mérite. Tant que j’avais des émotions toxiques, je ne pouvais pas vraiment me lâcher à rire. Au fond, je l’aurais vécu comme une offense à moi-même et à ceux que j’aime.

Aujourd’hui, je pense que c’est un leurre. Comme je le disais plus haut, je crois qu’on rit encore plus lorsqu’on est des humains humbles.

J’ai des tas d’amis avec lesquels j’adore rire, mais surtout j’ai mes refuges. Des espaces qui sont pour moi des promesses de bains de rire. Et alors, je me tourne vers Louis de Funès, Coluche, Bourvil, Raymond Devos, Jim Carrey, Robin Williams, Ben Stiller, François L’embrouille… Pour ces acteurs-là, je l’avoue, je suis très bon public. Il ne m’en faut pas beaucoup pour que j’explose de rire littéralement.

Mais je continue la réflexion sur les conditions du rire. Vous savez, j’ai été « trop » toute ma vie. « Trop » heureuse, « trop » libre, « trop » folle, « trop » sage, « trop » différente, « trop » moi… C’est ainsi que l’on me qualifiait autour de moi et que l’on me voyait. Or le regard qui nous est porté petits nous définit longtemps, et même à l’âge adulte.

J’ai conscience que comme beaucoup, j’ai donné beaucoup de pouvoir aux autres. Je pense même sincèrement que je suis allée chercher dans ma vie des personnes qui s’aimaient un peu trop, pour compenser le fait que je ne m’aimais pas tant que ça. C’est normal, puisque j’étais « trop ». Il fallait qu’on me gère. Comment aurais-je pu me rassurer moi-même ? Je n’en étais pas capable. Or, la confiance en soi, c’est déjà se faire confiance.

C’est donc lorsque j’ai entrepris d’accepter ce que j’étais et de voir qu’on pouvait même m’aimer pour ça, et en reconnaissant à la fois ma singularité et ce que cela pouvait apporter à notre société, que j’ai trouvé la paix et la confiance.  Aujourd’hui, je suis libérée du besoin que l’on me tienne la main.

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