Les rêves humains et leurs interprétations

Le monde du Julie Guégan

Par Noureddine Mhakkak

Le dialogue avec Julie Guégan est un voyage culturel dans les mondes des Lettres et des Arts. C’est-à-dire dans le monde de la poésie, de la prose, du cinéma, de la peinture et de la photographie d’une part et dans le monde de l’actualité aussi. Ainsi, nous allons parler des relations humaines, nous allons parler de l’amour, de l’amitié, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit et la connaissance de l’autre. Nous allons parler des villes, des livres, des films, nous allons parler de nous, de nos pensées, de nos réflexions, de nos passions, et nous allons parler de vous en tant que lecteurs. Des lecteurs fidèles qui nous lisent avec tant de plaisir.

Selon Bernard Asleyr : « Ne rêve pas ta vie mais vis tes rêves ». Comment Julie Guégan vie-t-elle sa vie ?

Lorsque j’étais petite, ma mère me parlait souvent du marchand de sable, ce personnage fabuleux qui laisse tomber du sable sur nos yeux pour nous endormir. Et chaque fois, cette histoire me rendait perplexe, ne parvenant pas à en comprendre le sens. Aujourd’hui, avec le recul, j’interprète ce geste comme le fait de couvrir notre réalité d’illusions. L’illusion d’être heureux, de gérer, d’être important, d’être libre…

Et comme tout le monde, j’ai vécu une grande partie de ma vie en mode semi-automatique, au rythme des distractions. Occupée, souvent pressée, courant partout, tout le temps, jusqu’à ce que je comprenne que je ne pourrais jamais tout obtenir de mes rêves. L’ère post-industrielle ne semble pas idéale pour la réalisation des rêves…

Alors il m’a fallu faire des choix notamment dans mon temps libre que j’ai consacré à chercher les moyens de vivre, « en vie ». Et non seulement pour mon propre bénéfice. Cette envie est venue de mes rencontres et surtout de l’envie d’aider.

À l’âge de 26 ans, j’ai débarqué à Bruxelles depuis Paris avec une valise en carton (c’est-à-dire « avec presque rien », s’en amusait mon colocataire belge) pour travailler à la Commission européenne. J’étais pleine d’envie de contribuer et je dois bien dire que je suis tombée éperdument amoureuse du projet et de mes collègues, venant de toutes les régions d’Europe et du globe. Tout me fascinait dans cet environnement multiculturel et dès les premières nuits, j’ai commencé à rêver de la manière dont je pourrais moi aussi être utile. J’avais vraiment conscience de la chance que je vivais d’œuvrer à quelque chose de plus grand que soi.

Alors j’ai cherché à agir de différentes manières. Et comme j’ai toujours rejeté les initiatives qui visaient une forme de discrimination, c’est sur le plan de l’engagement bottom-up (ndlr du bas vers le haut) que je me suis investie, et en particulier l’engagement des plus vulnérables, de ceux qui en sont actuellement les plus éloignés. J’ai développé cette croyance que le pouvoir du changement réside dans la périphérie. J’y mets donc mon énergie pour faire évoluer nos institutions.

Voici une partie de ma vie et de mon rêve. L’autre est occupée par mes enfants et mes animaux, avec lesquels je cherche à créer des souvenirs, et bien entendu mes amis, la famille et quelques hobbies.

Selon Paulo Coelho : « Il n’y a qu’une chose qui puisse rendre un rêve impossible, c’est la peur d’échouer. », et d’après lui aussi : « C’est justement la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante. ». Que pensez de cela ?

Je suis rêveuse et surtout j’ai compris que l’imagination est encore plus importante que la connaissance. Mais je ne suis pas utopiste.

Pour être menés à bien, les rêves doivent s’accompagner de réalisme, et donc de beaucoup de travail. Je ne crois pas en la vie simple, mais je ne la vois pas comme difficile pour autant. Il s’agit de mériter ses rêves !

J’ai de grands rêves. La solution que j’ai trouvée est de faire la paix avec mon arrogance et ma folie, de chercher les équilibres essentiels entre mon besoin d’être loin du sol et en même temps bien accrochée. Vous devez savoir que la seule chose qui compte dans nos actions est l’impact sur la société donc je me prépare chaque jour à mieux faire. Je me dis aussi qu’au pire, si j’échoue, j’aurai appris tellement sur mon chemin que j’en sortirai grandie et mes enfants aussi par ricochet.

C’est pourquoi il est vain de retenir ses rêves. Ils nous rattraperont au moment où nous nous lâcherons enfin et de toute façon ils ont tant à nous dire sur nous-mêmes. J’ai décidé très tôt que je ne serai pas dans la fuite, et même si cela implique un bon lot de « quoi qu’il en coûte », je sais que j’ai choisi de demeurer là où le rêve est possible. Là où mon cœur s’est mis à battre plus fort.

Je ne suis pas une marchande de sommeil, mais si je peux me permettre un conseil, c’est de cesser de chercher nos rêves « ailleurs », quand ils n’ont de sens qu’« ici ». J’invite d’ailleurs nos lecteurs à lire ou à relire l’Alchimiste de Paolo Coelho pour en être convaincus.

Selon Tony Hemery : « Laisse vivre tes rêves ; ils t’ouvrent la voie sur ce que tu vas réaliser » Que diriez-vous à propos de ces mots ?

Je pense immédiatement aux héros d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, aux livres de Weber et aux films qui naviguent entre réalité et rêves, comme ceux de Kubrik ou le fameux Eternal sunshine of the spotless mindde de Michel Gondry, et j’ai comme une envie de voyager moi aussi au pays des rêves …

Mais nous avons perdu de vue le rêve, parce que nous avons voulu le réinventer chaque jour. C’est un peu la raison d’être de nos naissances, de vouloir commencer quelque chose avec notre existence, seulement, tel que nous le disait René Char, il nous a manqué le testament avec l’héritage qu’on a reçu et nous avons reproduit pas mal d’erreurs et sommes tombés dans pas mal de pièges. Ainsi, nous avons eu l’arrogance de penser que nous savions mieux que nos ancêtres ce dont nous avions besoin

Pour autant, je ne veux pas céder au pessimisme ambiant et je me dis que nous avons simplement ôté le sable sur notre réalité et défait le travail du marchand de sable. Je crois que cette période de crises nous ouvre la voie des terres promises. Encore faut-il en comprendre les signes. Et donc les écouter.

Et comme nous le rappelle Saint-Exupéry dans Le petit Prince, on ne voit bien qu’avec le cœur, alors mettons-y du cœur, même si c’est le cerveau qui est le siège des rêves.

L’humanité est émergente en chacun de nous et nous sommes tous des meilleurs humains en devenir. Des post-homosapiens, qui savons bien mieux où est le vrai rêve, celui qui a le pouvoir de nous maintenir « en vie ».

Il y a une nouvelle histoire que l’on doit raconter à nos enfants. Après tout, n’est-ce pas l’amour qui fait soulever des montagnes ? Alors si le programme est de nous faire pousser des ailes, avec notre nouvelle réalité du dérèglement climatique, il va nous falloir beaucoup, beaucoup d’amour, pour fixer ensemble les causes plutôt que les symptômes.

« “Le bonheur est un rêve d’enfant réalisé dans l’âge adulte.” Selon Sigmund Freud. Quels sont les rêves de votre enfance ?

J’ai fait un rêve enfant, que les notes de musique s’organisent presque seules pour faire émerger une harmonie, qui serait un peu le socle commun de ses valeurs et principes. La partition de musique serait le lieu du rêve qui donnerait l’espoir et qui nous détacherait de notre impuissance apprise (comme nous le dit Martin Seligman). Et chacune des notes sur la partition, se rappellerait qu’elle fait partie de la même condition, blanche, noire ou double-croche et n’aurait pas peur du conflit à la source de l’harmonie. À tous et toutes, un rôle clair, l’envie d’en finir avec l’hypocrisie et des limites, une vraie maîtrise de ce qu’elles sont ou ne sont pas. C’est parce que les notes de musique savent qu’elles ne font pas de miracle seules, qu’elles adhèrent à leur besoin inhérent d’inclusion et de collaboration. C’est aussi ce fait de contribuer qui les met le plus en joie. Oui, des notes de musique bien différentes mais utiles. Derrière tout ça, le musicien, en toute humilité, présenterait une œuvre qui bouleverserait, du cœur jusqu’à la tête en passant par les mains, tous les hommes de la planète.

Je partage cette vision, comme beaucoup d’autres autour de moi, qu’il y a tant des beautés à découvrir dans le partage, l’être ensemble et l’ouverture. Et l’adulte que je suis rassure l’enfant en moi : « Si on doit commencer quelque part, alors je suis au bon endroit ».

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