Livre : Marrakech dans l’imaginaire cinématographique

Parmi les villes marocaines dont la cinéginie est indéniable, Marrakech occupe une place de choix. Par sa lumière, sa  couleur ocre, sa cité-jardin, la bonhomie de ses habitants, son africanité orientalisée, Marrakech a tous les ingrédients nécessaires pour séduire des cinéastes comme Hitchcock, J. Severac, Henry Verneuil, A. Robbe-Grillet et d’autres.

Le livre du professeur Youssef Ait hammou vient à point nommé pour mettre à jour les quelques 250 films, téléfilms, films publicitaires, dessins animés  qui ont fait de Marrakech, soit leur espace diégétique, soit le double des cités d’orient et qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à sa renommée dans l’imaginaire filmique.

 L’ouvrage ne se contente pas de compiler historiquement les films, mais il en donne également le synopsis et les thèmes clichés véhiculés sur la ville ocre. Et dans un premier temps, l’auteur synthétise ses remarques et observations dans une présentation fort intéressante dans laquelle il souligne que Marrakech est victime de stéréotypes ambivalents, allant des plus valorisants (l’espace, la lumière, les coutumes ancestrales…) aux plus dégradants (ville réduite à un simple corps érotisé, folklorisé sans aucune âme ni intelligence, un simple décor sans incidence sur la dramaturgie….). L’auteur qualifie cette image dégradante de la ville par les termes d’«imaginaire de la Hogra» et de «cinéma de la Hogra». Ces imaginaires sont en effet amnésiques face aux aspects de la civilisation millénaire du Maroc et fort bavards quand il s’agit d’exotisme, de folklore, de fossilisation, d’ensauvagement, d’indigénisation… L’auteur nous invite à nous interroger (peut-être aussi à nous indigner) sur la récurrence et la prédominance de ces clichés réducteurs soumis à la loi de l’uniformisation et de la dégradation. Il propose alors trois options : soit censurer et interdire ces films de la hogra, soit les analyser dans leurs contextes historiques, soit les contester au moyen de films anti-stéréotypes, à la manière des noirs américains aux USA.

Le livre nous donne également une typologie des regards portés sur la cité-jardin : regard plutôt érotisé des Français, regard violent des Américains, regard nostalgique des Allemands, regard mystique des Japonais. De plus, sur le plan chronologique, Marrakech a bénéficié de trois regards : l’un est précolonial dominé par le film Fantasia de G. Veyre ; l’autre, colonial qui l’enracine dans sa marocanité ; le troisième qui est post-colonial la soumet à une vision multiple mais orientalisante.

De ce point de vue, l’auteur avance un concept nouveau pour qualifier les films marocains tournés à Marrakech : le paradoxe marocain. En effet, dans ce paradoxe, les cinéastes marocains et marrakechis ont tendance à reproduire les mêmes clichés que les films occidentaux ou asiatiques, sans aucune  velléité ni de contestation ni  de proposition de contre-stéréotypes.

Selon Ait hammou, l’imaginaire prédateur (en littérature, en peinture, en cartes postales, au cinéma et dans le multimédia) a réduit Marrakech à un simple décor : une porte du désert, une cité de l’Orient, un village africain. A peu près 220 films ont été tournés à Marrakech avec une cadence de tournages lente au début du siècle dernier et beaucoup plus importante à partir du milieu des années 1990. Le climat politique y est pour quelque chose. Sur environ un siècle, avec 102 films, la France détient le record des tournages à Marrakech. Elle est talonnée par les Américains qui,  depuis 1956, ont commencé à ébranler la suprématie française. Les films marocains et les films allemands occupent respectivement les troisième et la quatrième positions. Viennent ensuite le Canada, la Hollande, l’Inde, le Japon, le Brésil…Marrakech est devenue le lieu d’une concurrence des images et des imaginaires.

En somme, le livre du professeur Ait Hammou interroge les regards du nord portés sur les cités impériales du Maroc et sur les villes du Sud. Regards dont on peut dire qu’ils sont, pour le moins, loin d’être innocents et enclins à la recherche d’une vérité complexe et plurielle. Il est sans doute temps d’élargir les propos de ce livre à l’ensemble des villes, lieux de tournage du Maroc afin d’abord de constituer une filmothèque de ces villes, ensuite de questionner, d’analyser, de critiquer et d’évaluer la portée tant symbolique, qu’économique et politique des tournages de films au Maroc.

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