Mohamed Sabila : un penseur à venir…

Mohamed Nait Youssef

L’ennemi invisible a emporté l’une des étoiles lumineuses de notre paysage culturel et intellectuel. Mohamed Sabila qui était à la fois écrivain, traducteur,  penseur, philosophe a passé l’arme à gauche un soir du  lundi 19 juillet à  Rabat. Il avait 79 ans.

Une plume éclairée et habitée par le questionnement mais aussi et surtout par les questions ardentes de la modernité et du modernisme qui ont été au cœur de son projet intellectuel. Lui qui avait  considèré la modernité comme «fatalité universelle» a mis le doigt dans ses  réflexions sur plusieurs thématiques et thèmes ayant  hanté l’âme de ses écrits, à savoir l’homme des temps modernes, l’angoisse, la médiocrité, le déchirement, la crise, le nihilisme ou encore le monde où nous vivons.

Un penseur actuel, Sabila était souvent à la quête de nouvelles pistes et des réflexions afin de trouver des réponses aux attentes de la société actuelle. Prolifique et prolixe, le défunt avait en outre, un cheminement de pensée et une démarche philosophique basés sur la critique  et la  déconstruction des paradigmes, de la doxa afin de s’ouvrir sur les horizons les plus vastes de la modernité. Par ailleurs, le philosophe a fait de la modernité, concept complexe, son cheval de bataille pour battre l’obscurantisme et les idées rétrogrades.

Covid-19 et les transformations de la société…

 Il ne faut pas surtout oublier que Mohamed Sabila figure parmi les  penseurs marocains et arabes qui ont cherché des pistes et des réflexions afin de trouver des réponses aux attentes de la société actuelle. Dans une interview accordée au journal Al Bayane, le penseur a mis l’accent sur les rôles que peuvent jouer les philosophes et la pensée pour sortir de la crise de la  Covid-19 ayant changé le visage de l’humanité. «Incontestablement, ces transformations qui ont eu lieu dans notre pays font partie des changements et mutations qui ont changé le visage du monde entier.

Ce sont en effet des transformations ou plutôt des mutations profondes qui créeront le monde de demain», a-t-il dit. Et d’ajouter «Pour ce qui est de la philosophie, certains philosophes ont essayé de penser et d’interroger l’essence et la profondeur de ces transformations, et ce, en recueillant les analyses économiques et les données afin de pouvoir façonner l’avenir et ses perspectives. En revanche, il  faut signaler que les philosophes n’ont pas contribué d’une manière assez suffisante à ce débat ou encore moins,  ils n’ont pas pu comprendre profondément ces transformations».

Selon lui, il y a des aspects et des transformations qu’on voit chaque jour dans les domaines politiques, économiques, sociaux… A cela s’ajoute des catégories dans la communauté scientifique qui est plus qualifiée pour comprendre ce phénomène, à savoir les spécialistes en virologie et les personnes  plus proches du domaine médical. «Il faut rappeler aussi que ces catégories dont les philosophes entrent dans des concurrences et des conflits pour comprendre la profondeur de ces transformations», a-t-il rappelé.

En outre, les philosophes essaient quant à eux de recueillir, dit-il,  le plus grand nombre de données et d’informations pour avoir une vision claire et globale sur ce  phénomène mondial. Chose qui a laissé les philosophes, selon ses dires,  dans un état d’incertitude devant cet événement inédit.  A vrai dire, le grand nombre des interventions, notamment dans la scène française que nous suivons mettent la lumière sur les aspects sociaux, psychologiques, politiques, démographiques. C’est-à-dire, les aspects concrets des transformations sans parvenir à des perceptions plus profondes et des solutions et perspectives plus précises.

La philosophie et la pensée : des issues salvatrices…

Cette pandémie est inédite dans l’histoire de l’espèce humaine parce qu’elle a touché toute l’humanité, explique le penseur.  En effet, ce virus a profité de l’évolution des moyens de développement surtout technologiques et logistiques (les avions, les trains, les bateaux…)  pour se propager dans les quatre coins de la planète, a-t-il fait savoir.  Or, il y a aussi une démystification des illusions et les mensonges qu’avait accumulés l’homme depuis des siècles, a-t-il affirmé.

Pourtant, ajoute Sabila, les grands philosophes et analystes de l’ère moderne ont affirmé que ces temps modernes évoluent  dans le cadre du désenchantement du monde. C’est-à-dire, la démystification des illusions et des auto-tromperies de l’humanité sachant que cette dernière essaye à chaque fois de paraître dans une image parfaite et une représentation angélique.

Pour Mohamed Sabila toujours, la philosophie et la pensée essaient toujours de comprendre la profondeur de ce phénomène et l’explication scientifique de l’enfermement de l’être humain sur lui-même pour fuir les dangers. Ces aspects d’entraide, de soutien peuvent se développer peut-être dans des périodes de prospérité mieux que dans des périodes difficiles et du malaise extrême, a-t-il indiqué.

Un nouveau modèle du développement lié au sens de l’Histoire

C’est une chose désormais évidente on ne pourrait pas évoquer la  modernité en dehors de l’universalisme voire  de l’ensemble des mutations sociales, politiques, scientifiques que vit chaque société. En outre, Sabila a appelé à ce que la culture ait une place prépondérante dans le nouveau modèle du développement.

«Quand on parle de l’humain, on parle aussi des niveaux et des fins multiples. Moi, vu mon champ de recherche, j’accorde une place prépondérante à la pensée dans son sens philosophique le plus large et dans le sens des grandes orientations», a-t-il rappelé. Et d’ajouter : «c’est vrai que notre modèle du développement ne peut pas se passer des données universelles, mais il devrait être lié aussi au sens de l’Histoire. En d’autres mots, il doit y avoir notre background culturel et notre vision intellectuelle afin de développer nos compétences et expertises».

Pour lui, un modèle de développement doit investir dans les domaines de la rénovation, de l’innovation et de la modernisation de la pensée. Ainsi, la modernisation et la rationalisation ne doivent pas se limiter uniquement dans les structures sociales et économiques,  mais ils doivent aussi atteindre le champ  de la pensée qui est très important. « Les choix de la modernisation dans le domaine de la pensée sont  une chose majeure, fondamentale et indispensable.

Toutefois, cette vision de ce modèle de développement devrait l’inscrire dans une perspective historique à long terme qui ne se limite pas à une simple réponse due essentiellement à la crise. Les choix de la modernisation dans les domaines de la pensée sont essentiels», conclut-il.

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