Mokhtar Chaoui, le Silence Blanc ou le cri d’une enfance

en nous faisant écouter les confessions tristes d’une jeune Choumicha aux pleurs rouges. Roman dédié à l’enfance violée, raconte l’histoire d’une rencontre inattendue. Une histoire qui côtoie le fantastique sans y entrer tout à fait. En un sens, un texte littéraire écrit aux mains d’une enfant pour nous raconter non pas seulement sa souffrance, mais la souffrance de toute une enfance abandonnée, violée et oubliée.

Ce roman, récemment publié, dérange et laisse libre cours à toutes les questions. Une narratrice (enfant) vétilleuse entoure l’action d’une inflation de questions, le récit et les dialogues tendent à se confondre, de même que les répliques des personnages. On ne peut pas, dans ce roman, séparer la réalité du rêve et le Moi de son double. Le Silence Blanc, brillamment composé, fonctionne comme une tragédie, une petite machine infernale. Récit dans lequel chaque détail concret est porté à ce point d’incandescence où se diffusent les vérités d’une société hypocrite.

Le réel ne se réduit pas à un fantôme. Il est le fondement de ce récit qui se partage entre la vérité et le vécu. Ramsès le chat renait encore une fois de ses cendres pour nous guider dans les ruelles étroites et sombres d’une enfance torturée. Pour cracher sur nos visages la vérité que la plupart d’entre-nous refuse.  Pas d’hypocrisie dans l’univers romanesque de Mokhar Chaoui. Il y a seulement la vérité qui dérange. La folie, la rébellion, la jouissance, l’amour sont désignés comme des valeurs. On ne peut pas séparer l’une de l’autre, car le monde tel que l’imagine Chaoui est un mélange de plusieurs mondes possibles. Pour passer d’un monde à l’autre, il faut franchir les frontières. Ce que fait Mokhtar Chaoui, c’est franchir les frontières et proposer à son lecteur, un texte purement réel, mais artistiquement métaphysique.

Le style de Chaoui, même s’il ne diffère guère de celui de ses dernières œuvres, incarne ici à merveille l’esprit créateur, novateur et moderne. Ce récit a pour tâche de nous rendre à la réalité. Car rares sont les romanciers marocains qui confrontent aux problèmes sociaux les plus brûlants. Ce roman s’attaque frontalement au problème de l’enfance. C’est un livre terrifiant, bouleversé, émerveillé comme un enfant. Il faut avoir de l’audace pour lire un tel roman. Oublier ce qu’on est pour renaître de nouveau au fond de chaque personnage.

Le Silence Blanc nous apprend à « décortiquer les sens de toutes les créatures et de saisir le langage commun ». (Le Silence Blanc p. 167) La mort et les cauchemars enfantent un rire blessant. Ils obligent Choumicha de quitter ses parents, haïr Sidi-Lalla, manger dans les poubelles, se balader avec Tobo, et vomir sur tout qui essaye de la violer comme ils obligent tout enfant abandonné de perdre son enfance. Mais, la mort a donné lieu à cette rencontre bizarre où l’écrivain (Michel Charme) trouve enfin sa muse perdue. A travers le regard d’une enfant, Mokhtar Chaoui critique à sa façon la situation affreuse de l’enfance dans un Maroc voilé.

Dés que le lecteur tombe sur un livre qui porte ce genre de titre, il ne peut pas s’empêcher de le feuilleter, et en général de le lire. On se réjouit à chaque phrase.  On se métamorphose dans la peau des animaux qui parlent tantôt comme des philosophes et tantôt comme des hommes de lettres. Le Silence Blanc est sans nul doute la plus fascinante histoire d’une amitié de cœur et l’esprit entre deux êtres humains si différents et si proches à la fois. C’est surtout une œuvre d’une grande humanité, disait Jean-François Gayrard.

Le romanesque de Mokhtar Chaoui refuse le mensonge, car son écriture est une nécessité, puisque la parole directe compromet ce qu’elle désigne. L’écrivain est toujours responsable de ce qu’il écrit. Il s’engage avec une audace pour accomplir son travail d’écrivain. La fiction de son roman joue un rôle d’ouverture et d’ébranlement des réalités avec un style ivre de beauté.

Laisser l’acte de la parole aux animaux est un signe que l’humanité commence à perdre sa sensibilité. En écrivant à la beckettienne, Mokhtar Chaoui déracine l’homme de ses sentiments, invente un nouveau monde où n’importe quel objet peut devenir quelque chose d’important.  Parler à travers un chien, un chat ou à travers une chouette est une stratégie intelligente pour se moquer de la conscience humaine. Tout le texte se construit sur la négation.  Car Le Silence Blanc raconte la mort, les souvenirs d’enfance, le corps et les amours malheureuses de la narratrice. C’est un texte où tout peut renaître. On retrouve là un pan de symbole, celui de la figure animale, si omniprésente chez Chaoui, et qui représente le rêve d’une fraîcheur originelle.

A chaque silence, le vent de la mort souffle froidement entre les lignes. Le texte paraît s’enfoncer dans un océan de pleurs, plonger dans le vide irrespirable. Ce sont là les souffrances d’une enfance, que Chaoui mêle à la echenozienne d’une angoisse et d’une mélancolie discrètes, mais profondes, parvenant à donner du plaisir avec la saveur du vide, avec le goût amer de l’amour perdu. C’est ce qu’on appelle la littérature, sans doute.

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