Morte

La mort est dans notre société une séparation dure et triste. Quand elle concerne une jeune fille dans des conditions dramatiques, elle devient insupportable. Les condoléances et la compassion ne peuvent occulter la responsabilité.

A ce niveau, rien ne sert de «cacher le soleil avec un tamis». Certes à des degrés divers, mais nous sommes tous responsables de ce drame. La société dans son évolution marquée par une stratification sociale de plus en plus prononcée par la pression de l’argent est responsable de la mort de Hayat. Les organisations de la société, institutionnelles, politiques, syndicales, caritatives… qui n’arrivent plus à guérir le mal et encore moins à le prévenir le sont aussi. Les personnes en charge ou non d’une autorité qu’elle soit paternelle, éducative, représentative ou gouvernementale le sont aussi. Ils en sont responsables, qu’ils soient au Maroc, en Hollande, au Canada ou ailleurs, avec la majorité gouvernementale ou dans son opposition, militant pour la bonne cause ou pour son contraire, se cachant derrière un réseau social ou s’exprimant à visage découvert.

Notre beau pays, dont la fierté pour sa jeunesse est reconnue, est-il devenu incapable d’assurer sa protection, son émancipation et la réalisation de ses ambitions ? La réponse par l’affirmation ne peut être acceptée car elle est fausse, tendancieuse et malsaine. La situation politique, économique et socio-culturelle, malgré toutes les tares qu’elles présentent et que l’on ne cesse de dénoncer, offre aux jeunes de ce pays de vivre, et leur jeunesse et leur parcours vers l’âge adulte. Difficilement, avec beaucoup de déceptions pour la plus grande majorité, mais cela est possible. Seuls diront le contraire, à des fins inavouables,les opportunistes de tout bord, de gauche comme de droite, les obscurantistes et les nihilistes, ceux qui n’arrivent pas à assumer la réalité pour dépasser leur aigreur, ceux qui mangent la soupe,mais par derrière crachent sur ceux qui les en fournissent. Ceux-là même qui useront d’amalgame, de mensonge et de diffamation pour confondre toute approche militante saine et résolue des problèmes de notre société avec la flatterie et l’éloge du pouvoir.

Un horizon politique qui s’abaisse, des conditions sociales qui s’aggravent, un sentiment de «hogra» donnent à l’attrait de l’eldorado des pays développés qui vieillissent une forte attraction malgré les difficultés économiques, la tension sociale, le racisme rampant et la xénophobie qui s’y développent. Par l’existence de passeurs attitrés et des réseaux organisés, la complicité par la corruption ou par intérêt, l’appel des sirènes de «lahrig» ronge la conscience et diminue les risques encourus. La responsabilité personnelle s’efface devant la probabilité, aussi minime sois-elle, de se retrouver de l’autre bord que celui des «damnés de la terre». Ce processus ne se fait pas en quelques heures, il mature pendant un temps certain dans l’esprit pour devenir omniprésent. Le passage à l’acte plonge la personne dans l’illégalité et le soumet à accepter l’inacceptable. D’autres personnes, plus outillés par leur formation et bénéficiant de certains atouts et de quelques subsides arrivent au même but. Fuite des corps et fuite des cerveaux pour la promotion de la personne dans une société à conquérir.

Notre société, elle qui encourage la flagellation au lieu du mérite, est sensible au malheur et le transforme immédiatement en cas social. Tombé par terre ou le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau ! Le débat faisant défaut, la communication officielle usant du principe «cachez moi cet événement que je ne veux voir», le deuil est porté par les «ultras». Un symbole est créé et des mouvements de masse font rejoindre Hayat Belkacem à Mohsine Fikri. Lahrig, la mendicité, la prostitution, tcharmil, autant de maux dont la société marocaine accouche autant que le processus démocratique, dans ses aspects politique, économique, social et culturel, est retardé dans sa mise en œuvre.

L’immigration clandestine est un fléau dont l’origine se trouve dans les inégalités sociales et les disparités entre les territoires et les états. Le néolibéralisme, quelle que soit la couleur politique qui le pratique, préfère des travailleurs précarisés; des travailleurs étrangers pauvres en situation trop précaire pour s’installer durablement plutôt que des «beurs» impossible à «mettre dehors» de leur banlieue natale. L’aliénation des âmes et des corps transforme la société en marché où le pouvoir de l’argent exerce sa libéralité aux dépens de la liberté. Le social n’est que normes du marché où la personne humaine est réduite au calcul d’intérêt dans une logique mercantile.

Un nouveau souffle démocratique est nécessaire non seulement pour redonner de la fraicheur dans un contexte qui se confine par les pets des uns et des autres qui s’ergotent sur leur beau plumage comme si le champ politique nationale a été réduit à une basse-cour. Il est aussi nécessaire pour rétablir cet équilibre qui prend soin de l’Homme, particulièrement des démunis et des moins favorisés, par la mise en œuvre de politiques publiques conformes aux dispositions de la constitution; notamment celles de son Titre II où les articles traitent des Libertés et des droits fondamentaux dont le respect et la mise en œuvre empêcheront notre Hayat à nous d’être qualifiée de Morte.

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