Nadia Essalmi: «que peut le connard virus contre l’écriture?»

Des écrivains à l’heure du Covid-19

Le Coronavirus, l’invisible, a déclaré la guerre à l’humanité. Cette dernière ne fait que tâtonner dans sa riposte puisqu’elle ne voit pas l’adversaire. Ne sachant pas où il se trouve, on nous a sommé de nous cacher. Peut-être ne retrouverait-il pas le chemin qui le mènerait vers nous! Mais dans notre hibernation, nous devenons fous à force de lui brouiller les pistes.

Attention, il peut lécher nos mains, peut-être même plonger dans nos yeux, s’accrocher à nos chaussures, coller aux denrées alimentaires achetées.

Quelle colle ce fantôme ! Nous savons toutefois qu’il adore la salive, elle lui permet de glisser vers nos poumons où il élie domicile en toute sérénité. Il veut être au chaud et écouter les symphonies jouées par les cymbales du cœur. Il ne faut surtout pas sous-estimer son intelligence ! Il commence par aménager le lieu pour sa famille, se met à forniquer et à se reproduire à l’infini. De toute manière, il n’a rien d’autre à foutre.

Même pour se nourrir, il lui suffit de tendre la main et décrocher un bout de poumon et le tour est joué. Pendant ce temps-là, l’être humain se bat par tous les moyens pour rejeter l’intrus qui grignote et sape ses bronches. Il tousse de toutes ses forces afin de le rejeter, de le cracher. La seule arme pour le détruire est d’utiliser les gros moyens disponibles. Le bombarder de paracétamol, en inonder son lieu de résidence, asphyxier ses poumons et déjouer ses tours et détours… Pendant que la guerre bat son plein, que faire pour charmer le temps afin qu’il ne soit pas trop long et trop lent ?

Quand l’annonce du confinement est tombée, ma première phrase était «Chiche, je vais enfin avoir du temps pour l’écriture!».

L’écriture est ma passion première dans la vie. Nous sommes nées pour ainsi dire dans la même bulle, autrement dit nous sommes jumelles. J’ai toujours écrit. Des papiers de toutes les tailles, pleins de mots sont parsemés un peu partout dans mon domicile, dans ma voiture, dans mon sac. Non, ce n’est pas une obsession, mais comme j’ai une mémoire d’oiseau alors il faut que je note tout ce que mon cerveau dicte sans mon consentement.

Il est difficile de se sentir enfermé. Difficile de réaliser que nos gestes deviennent limités, notre espace de vie plus étroit, de voir ses habitudes bousculées. Mais l’être humain à cette faculté de s’habituer et de s’adapter à toutes les situations, aussi contraignantes soient-elles.

Je vous avoue que la grippe me terrorise, car je suis une proie facile. Si Coronavirus me voyait, il ne me raterait pas. Je me cachais, et je me cachais bien. Je me suis sentie les deux premiers jours comme un lion en cage, à tourner sans arrêt entre les murs. Etant une personne qui souffre de l’hyperactivité, j’ai eu du mal à tenir sur place. Les premiers jours, j’ai dû faire des kilomètres chez moi, pourtant j’habite un appartement. L’envie d’écrire a subitement déserté mon cerveau.

Impossible de produire une phrase. L’angoisse de perdre ma plume me hantait au plus haut niveau. Comment vivre sans écrire ? Je me suis mise aux tâches ménagères, au rangement des placards, à la cuisine, à laver les rideaux, enfin tout ce que l’on fait rarement en temps normal. En plus de cela, je consommais à fond ma drogue habituelle, le sport. Ce dernier m’a dopée, éclairée et a aéré ma substance grise. Le fait de recevoir des échanges de vidéos, des blagues, des faits divers autour de ce connard virus m’a rendue ma bonne humeur.

L’humour est un remède exceptionnel contre le mal de vivre. La joie, le sourire, le rire revenaient petit-à-petit. Le train s’est remis en marche. Ma plume a déployé ses ailes et la voilà de nouveau inspirée. Bien entendu, l’appréhension de ce virus exceptionnel offre de la matière à la plume. J’ai entamé la description littéraire et humoristique de la situation peu joyeuse. Partager mes textes avec mes lecteurs et mes followers me donne le sentiment d’être utile, d’occuper les gens le temps d’une lecture me rend heureuse.

Rester chez moi devient un plaisir. Regarder parfois à travers ma fenêtre pour prendre le pouls de la rue. Constater qu’elle s’est vidée en cédant l’espace aux chats et aux chiens errants. Ces derniers se sentent enfin libres.

Plus besoin de s’enfuir au moindre son de pas. C’est au tour de l’être humain de se sauver au moindre bruit de toux. Le temps a redistribué ses cartes. Un petit rien du tout a dicté sa loi. Il a sifflé la fin de la course, la fin des guerres, a trôné le silence et a obligé le riche et le pauvre à se confiner.

L’humanité semble encore plus petite que le petit rien du tout. La guerre n’est certainement pas à armes égales. L’humanité se sauve, se cache pour se préserver du petit rien du tout. La mort est à l’affut. On croirait la voir au coin de toutes les rues. Elle est presque visible.

Elle guette les indisciplinés, et tous ceux qui tiennent tête au petit rien du tout.

Moi qui rêvais de jouer dans un film, me voilà servie. J’ai le sentiment d’être actrice d’un film de science-fiction.

Autre l’écriture, il y a la lecture. Les livres.

Des centaines meublent mes murs. Ils me rassurent. Il suffit de leur tendre ma main pour qu’ils me racontent mille et une histoires et m’ouvrent bien des portes secrètes pour m’évader vers d’autres mondes, là où la liberté n’a pas de frontières, là où le connard virus ne peut faire sa loi.

Gardons l’espoir du meilleur. Le printemps pointe son nez, il colorie indifférent la terre de toutes les couleurs.

La terre chante, la terre est soulagée, la terre est heureuse.

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