Open the door !

Hors champ : Le cri du cinéma à la face du monde

Le cinéma témoin de son temps : un film qui nous vient du Kosovo en donne une éloquente illustration dans un grand moment d’humanité et de cinéma. Babaï de Visar Morina, première œuvre de ce jeune kosovar aborde en effet un sujet qui secoue aujourd’hui l’Europe avec l’actualité des réfugiés syriens mais qui est en fait récurrent à travers l’exemple du mouvement migratoire déclenchée par les guerres des Balkans.

Si les médias dominants nous inondent d’images de ses masses anonymes qui tentent de franchir les frontières du nouvel apartheid économique qui divise le monde, le premier avantage du film de Visar Morina est de sortir le sujet de l’abstraction des chiffres et des statistiques. Il est un formidable contre-champ au traitement que réserve la télévision où le réfugié, l’immigré n’est jamais une réalité mais une image qui nourrit le spectacle servi en boucle pour capter l’attention au service des spots publicitaires. Aborder la question de l’immigration s’avère en effet une entreprise ardue tant le sujet est saturé par des clichés et par des écrans qui voilent. Le rôle du cinéma est de déconstruire ce que cette machine infernale a produit comme ravages au niveau du formatage du regard. Babaï ouvre une brèche sur cette voie avec une fiction qui part d’une histoire simple d’un père et un fils pour finir par embrasser l’universel en dévoilant les multiples barrières qui séparent les hommes de leur rêve ou tout simplement des autres hommes. Le film situe son récit dans les années 90 du siècle passé. « Nori, âgé de dix ans, et Gezim, son père, vendent des cigarettes pour gagner leur vie. Sans aucun contact avec la mère de Noriet préférant tourner de façon radicale le dos au passé, Gezims’apprête à fuir le pays seul, sans son fils, lequel tente par tous les moyens de le retenir. À la suite d’un accident, Nori est conduit à l’hôpital. Quand il en sort, il réalise que son père est parti pour de bon… En colère et obstiné comme seul un enfant peut l’être » Nori part sur les routes à la recherche de Gezim » ; il parvient à le rejoindre en Allemagne après un parcours à travers les frontières de l’Europe. Des passages que le cinéaste n’hésite pas à filmer comme « une rencontre de troisième type » : ces fantômes qui passent sont en fait des extraterrestres. Confirmation quand le père et le fils sont confrontés « dans le pays d’accueils » à une multitude d’obstacles que le film signifie en multipliant les plans saturés de barrières et de portes fermés. La scène phare étant celle où le père dans l’incapacité de faire entrer son fils dans un centre d’accueil s’en prend aux murs de barrières et de barbelés en criant « open the door » : cri résonnant comme un mot d’ordre des parias des temps modernes lancés à la face des maîtres du monde. Le point cinéphilique paroxystique est atteint par le film dans des plans où il convoque des citations au néoréalisme italien avec l’image du père humilié, du vélo et de l’enfant : un clin d’œil au chef d’œuvre Le voleur de bicyclette. Une manière pour le film d’asseoir son inscription dans un cinéma à connotation sociale mais aussi de signifier la permanence de l’exclusion. Les exclus vivant le même parcours tragique.

L’autre film de la compétition officielle Virgin Mountain de Dagur Kari (Islande) est un bijou d’humanité. Il donne au festival un premier candidat sérieux au prix de la meilleure interprétation masculine.

Mohammed Bakrim

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