La question de la migration prend désormais des proportions aberrantes. Il n’est plus possible de faire cavalier seul. Généralement critiqués de mener une politique incohérente et solitaire en matière de migration, les pays européens concernés par le phénomène migratoire, les pays africains et les autres Etats membres de l’ONU veulent désormais se tendre la main pour résoudre cette problématique devenue transfrontalière. Mardi 20 février, les Etats membres de l’Organisation des nations Unies, excepté bien évidemment les Etats-Unis, ont lancé une série de négociations qui devront aboutir à la signature du Pacte mondial sur les migrations en décembre 2018 au Maroc. Mais au regard des enjeux politiques et économiques liés à la migration, ces négociations s’annoncent bien plus complexes.
Depuis mardi dernier, les négociations pour le «Pacte mondial pour des migrations sécurisées, ordonnées et légitimes» ont été lancées. L’objectif est d’aboutir à un pacte relatif à la migration qui sera signé et entériné par les différents pays lors du Sommet mondial de la migration que le Royaume accueillera les 10 et 11 décembre prochains. Dans ce cadre, ce sont six rounds de négociation qui sont prévus, à New-York, un par mois, jusqu’au mois de Juillet. Selon le projet de texte de cet accord, l’objectif ultime est de favoriser et surtout accroitre la coopération entre les Etats sur les migrations internationales et à tous les niveaux. Ce texte détaille également les fondamentaux et les principes sur lesquels reposera le pacte qui sera signé formellement au Maroc, notamment la «souveraineté des Etats», «la compréhension mutuelle», «les responsabilités partagées», sans oublier l’«unité de vues».
Tout comme l’Accord de Paris, le Pacte mondial sur la migration souligne qu’il n’est pas possible pour «une nation d’affronter seule le phénomène migratoire». Aujourd’hui, le nombre de migrants dans le monde est estimé à 258 millions, soit 3,4% de la population mondiale. D’ailleurs, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a souligné que contrairement à la question des réfugiés, la gestion du phénomène migratoire ne peut être centralisée à l’ONU. Elle nécessite l’implication de tous les Etats et surtout de développer une stratégie pour «gérer de larges mouvements de migrants». Dans ce sens, le projet de texte du Pacte détaille 22 mesures concrètes, entre autres collecter des données, fournir des papiers d’identité aux migrants en situation irrégulière, accorder un soin particulier aux femmes et enfants, fournir aux migrants un accès aux services sociaux, empêcher toute discrimination…Si les Etats reconnaissent aujourd’hui qu’ils ne peuvent résoudre tous seuls la question de la migration, les points de vue divergent toutefois sur la question. Certains sont très sensibles sur la question, à l’exemple de la Belgique. Ce qui augure des négociations ardues et complexes.
Qu’est ce que le Pacte mondial pour les migrations?
Le 19 septembre 2016, les Nations-Unies ont adopté la Déclaration de New-York pour les réfugiés et les migrants. Dans le cadre de cette déclaration, l’assemblée générale de l’ONU a décidé d’élaborer un Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. En d’autres termes, le Pacte a pour objectif d’améliorer la gouvernance de la migration, de faire face aux défis liés aux migrations contemporaines et de changer les points de vue sur les migrants et la migration, en renforçant le fait qu’ils contribuent au développement durable. Ce Pacte, qui devrait être signé lors de la Conférence intergouvernementale sur les migrations internationales, sera le premier accord négocié entre les Etats, sous la conduite de l’ONU, avec pour objectif de traiter tous les aspects des migrations internationales, selon une approche globale et exhaustive. Sur la base de la déclaration de New-York, le Haut-commissaire aux réfugiés a été mandaté pour proposer un Pacte mondial sur la migration dans son rapport annuel de 2018. Un pacte qui doit reposer sur la définition d’un cadre des réponses à apporter et les actions à mettre en place.
Les Etats-Unis se retirent du Pacte
Après le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris, c’est sans surprise que les pays membres de l’ONU ont accueilli en décembre 2017 son retrait du Pacte mondial pour les migrations sûres. Et pourtant, c’est à New-York sur son sol, il y avait un auparavant que 193 pays membres de l’ONU avaient décidé de développer un Pacte mondial pour les migrations. En effet, le retrait des Etats-Unis de ce pacte avait été décidé par le président américain, Donald Trump, qui a jugé le pacte d’«incompatible» avec sa politique migratoire. «La déclaration de New-York comprend plusieurs dispositions qui sont incompatibles avec les politiques américaines d’immigration et de réfugiés et les principes édictés par l’administration Trump en matière d’immigration», avait déclaré le communiqué de la mission des Etats-Unis auprès de l’ONU. Si l’ONU prône une solution mondiale à la migration, les Etats-Unis préfèrent camper sur la souveraineté américaine sur la question. «L’Amérique est fière de son héritage en matière d’immigration et de son leadership dans le soutien aux populations migrantes et réfugiées à travers le monde. Aucun pays n’a fait plus que les Etats-Unis et notre générosité perdurera, mais nos décisions sur les politiques d’immigration doivent toujours être prises par les Américains et seuls les Américains. Nous déciderons de la meilleure manière de contrôler nos frontières et qui sera autorisé à entrer dans notre pays. L’approche mondiale est juste incompatible avec la souveraineté américaine», avait déclaré dans le communiqué, l’ambassadrice américaine aux Nations Unies, Nikki Haley. Une décision fortement critiquée à l’ONU, au niveau des ONG et des pays membres de l’ONU. «Le multilatéralisme reste le meilleur moyen pour faire face aux défis mondiaux», avait rétorqué le porte-parole du chef de la diplomatie slovaque, Brenden Varma. A noter que ce retrait a été annoncé alors que le Conseil de sécurité de l’ONU avait entamé plusieurs réunions en novembre 2017 sur la gestion migratoire, notamment avec l’exode massive des Rohingyas de Birmanie vers le Bangladesh et les informations relatives à un marché d’esclaves en Libye.
Les recommandations des ONG pour un Pacte réalisable et efficace
Si la décision de l’Assemblée générale de l’ONU de développer un Pacte mondial pour les migrations a été fortement saluée par les organisations impliquées dans le fait migratoire, celles-ci estiment toutefois que l’efficacité de ce texte dépendra de certaines conditions que doivent prendre en compte les négociateurs et les différents Etats. L’Organisation internationale pour la migration (OIM) estime dans ce sens que le Pacte pour les migrations est un processus qui offre à la communauté internationale l’occasion d’apporter une contribution majeure à la gouvernance mondiale des migrations, mais à certaines conditions. Il faudra entre autres s’assurer que les principes qui sous-tendent des migrations internationales sûres, ordonnées et régulières s’appuient sur les normes, règles et principes internationaux pertinents. Il faudra par ailleurs reconnaitre dans leur globalité tous les aspects des migrations internationales qui nécessitent une coopération entre les Etats. Le Pacte, loin d’être parfait, devra être réalisable. Il devra indiquer les lacunes qui subsistent dans les engagements et accords et identifier les obstacles et les difficultés découlant de ces lacunes. Le Comité international de la Croix-Rouge (Cicr) a pour sa part demandé aux Etats de prendre en compte trois engagements concrets dans le Pacte sur les migrations, notamment «ne pas baisser le barre», permettant ainsi de protéger la sécurité et la dignité des migrants. Le Cicr appelle également les Etats à prendre en considération les besoins des migrants en matière d’assistance et de protection. Ce sont ces besoins qui doivent être les facteurs déterminants pour orienter les réponses nationales et mondiales. Enfin, l’ONG demande aux gouvernements de prévenir les déplacements forcés dans les conflits armés et autres situations de violence.
Danielle Engolo
Le Maroc, hôte de la CIM 2018