Pour une profonde refonte de la loi sur les partis

Mise à niveau de la pratique politique

Pour assurer sa prospérité, une nation se doit de confier la conduite de ses affaires aux meilleurs parmi ses membres. Et pour ce faire, elle ne peut s’appuyer que sur le moins mauvais des systèmes que l’humanité ait inventé, à savoir la démocratie ; qui est devenue, dès lors, l’objectif à atteindre pour tous ceux qui aspirent à une meilleure gouvernance des affaires publiques. Or, le moteur de la démocratie n’est autre que les partis politiques qui, pour alimenter le pays par le meilleur de ce qu’ils comptent comme compétences, doivent eux- mêmes s’appuyer sur la démocratie.

La question qui se pose alors : les partis politiques marocains ont-ils tous une gouvernance et un fonctionnement démocratique? Les éléments de réponse à cette question se trouvent, d’une part, dans la contestation quasi systématique des élections dans presque tous les partis politiques, et d’autre part, dans la médiocrité patente de bon nombre de nos dirigeants politiques et dans l’indigence du débat politique ; que corroborent, par ailleurs, les appels réitérés du Souverain pour élever le niveau du débat politique, dont le dernier en date fut au cœur du discours royal prononcé, le 9 octobre 2015, à l’occasion de l’ouverture de la première session parlementaire de la dernière année de l’actuelle législature.

Certes, le niveau de démocratie dans les partis politiques, comme dans l’ensemble des organisations syndicales et associatives, est une problématiques sociétale liée au degré d’imprégnation de la Société tout entière de la culture démocratique, sauf que les partis politiques, en tant qu’avant-gardes, se doivent, dans ce domaine comme d’autres, de tirer vers le haut la Société et non le contraire.

La deuxième question qui se pose alors : pourquoi nos partis politiques souffrent-ils dans leur majorité d’un déficit démocratique? Nul besoin d’être fin observateur pour répondre à cette question tant les raisons sont nombreuses et évidentes;la principale étant, à notre humble avis, la perte de ce que le philosophe des lumières, Montesquieu, considérait comme l’un des trois fondements de la démocratie, à savoir : la vertu politique, les deux autres fondements étant la justice et la liberté.

Cette vertu politique, qui consiste en « l’amour des lois et de la Patrie », exige « une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre », c’est-à-dire le rejet de la cupidité et de l’ambition personnelle débridée.

En l’absence de vertu politique, la course pour les positions et les avantages devient l’objectif principal et ce, à tous les niveaux ; si bien que l’on ne s’émeut plus devant la quasi inexistence de débat démocratique et public sur les programmes et visions des uns et des autres. Le combat physique prenant souvent le pas sur le combat intellectuel.

Ainsi, à l’approche des congrès  s’ouvre, dans quasiment tous les partis,  une guerre de positions où les principes et valeurs, censés constituer le socle commun liant tous les militants, sont mis de côté et où tous les coups sont permis. Une guerre exténuante dont le parti sort, le plus souvent, divisé et affaibli et ce, d’une part, en perdant une partie de ses militants, les déçus de la course bien entendu, mais aussi les plus sincères et désintéressés, qui ne s’y retrouvant plus, préfèrent prendre leurs distances; et d’autre part, en se retrouvant sous les tirs nourris du camp des « perdants » qui, à quelques exceptions près, ne désarme pas et lance, quand il ne s’inscrit pas dans une entreprise de scission, un « mouvement réformateur » qui réduit le rendement du parti, en écorne l’image et contribue au désamour et au discrédit de la politique en général dans le pays. Le résultat est une dilapidation de ce capital immatériel que constituent les partis politiques, si essentiel à la bonne marche des institutions et à la stabilité du pays, et dont la préservation est on ne peut plus vitale.

La troisième question qui se pose enfin : que faire pour rendre nos acteurs politiques plus vertueux et partant faire accéder nos partis politiques à une normalité démocratique ? La vertu et les valeurs qui la sous-tendent se cultivant dans la durée et ne deviennent dominantes dans une Société ou dans un parti politique qu’au terme d’un long processus de maturation pouvant prendre des générations ; le Maroc qui a tant de retards à rattraper, ne peut, à l’évidence, dans un monde de compétition exacerbée et où tout s’accélère, prendre le risque d’attendre des générations pour voir ses partis politiques se mettre au diapason, pour s’acquitter convenablement de la cruciale mission qui leur incombe dans le développement du pays ; à savoir produire des idées et propositions en phase avec les projets de société dont ils sont porteurs et les aspirations des couches sociales qu’ils sont censés représenter ; ainsi que de permette l’émergence des hommes et des femmes à même de promouvoir ces idées et ces propositions. .

L’objectif prioritaire pour le pays devient alors de trouver les voies et moyens d’augmenter rapidement et efficacement le niveau de vertu de nos acteurs politiques. Sans minimiser l’importance des dynamiques internes de démocratisation, que nombre de militants s’évertuent à créer au sein de leurs partis; il n’en demeure pas moins que seule la loi est à même de permettre d’atteindre plus rapidement l’objectif visé. Mais seulement quand elle est bien faite, car tel ne fut pas le cas de la loi 36-04 du 14 février 2006 relative aux partis politiques, que nous avions été les premiers à appeler de nos vœux dès la fin de 1999, car nous l’estimions essentielle à « la nouvelle ère » qu’avait ouverte l’accession au Trône de SM le Roi Mohammed VI.

Au jour d’aujourd’hui, après dix années d’application et au vu du piètre état dans lequel se trouve le paysage politique marocain, la question qui se pose: pourquoi la loi 36-04 n’a-t-elle pas permis d’atteindre les très ambitieux et nobles objectifs qu’énonçait son propre préambule ?

La raison principale réside, à notre humble avis, dans l’absence dans ladite loi d’un dispositif organisant et encadrant la diversité et la pluralité dans nos partis politiques, le débat démocratique et surtout les élections menant aux postes de responsabilité; une absence qui a laissé la porte grande ouverte à tous les abus. Les élections organisées en amont, pendant ou en aval des congrès de nos partis sont, souvent, à mille lieux de respecter les conditions minimales à même d’assurer l’égalité des chances et une compétition loyale entre les différents candidats ; si bien que, paradoxalement, les conditions d’accès à un mandat électif dans une toute petite commune sont devenues autrement plus rigoureuses que dans un parti politique !

Au regard de ce qui précède, il devient, à nos yeux, plus que nécessaire de procéder à une profonde réforme de la loi 36-04 relative aux partis politiques pour en combler les très nombreuses et béantes brèches et mettre, ainsi, fin à l’entropie démocratique qui caractérise nos partis politiques et les empêche d’être ce qu’ils devaient toujours être : de véritables écoles de la démocratie et des espaces d’expression du génie marocain.

Parce qu’elle est aussi importante, sans exagération aucune, que celle de la Constitution, la réforme à mener gagnerait à associer toutes les forces vives du pays dans le cadre d’une commission nationale ad hoc, car il s’agit là d’une question qui conditionne l’avenir du pays et qui en fait, par conséquent, une affaire de la Nation, toute la Nation, et pas uniquement des partis politiques comme l’on a tendance à le faire croire.

Nous ne manquerons de revenir, dans de prochaines occasions, avec des propositions concrètes sur le sujet.

M’hammed Grine

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