PPS-USFP : La gauche, pour un nouveau logiciel

La rencontre de consultation entre les directions nationales du PPS et de l’USFP, mérite un arrêt sur image particulier. Elle a été une réussite politique totale ; elle constitue dans ce sens  l’un des événements majeurs de ces dernières années de la vie tumultueuse de la gauche marocaine.

Les deux partis ont également réalisé un formidable coup médiatique : ils sont sortis gagnants de l’opération. Pour le PPS, c’est une initiative qui a semé le doute et remis en questions les grilles de lecture de certains analystes pressés qui ont mal compris sa rencontre les jours d’avant avec son allié gouvernemental, le PJD. Sa rencontre avec l’USFP a achevé de déstabiliser ses détracteurs qui voulaient l’enfermer dans une case qui correspond moins à la réalité qu’à leur schéma préétabli sur le parti. D’autant plus que les deux protagonistes qui forment, au-delà des contingences, l’épine dorsale de la gauche au Maroc, n’ont pas joué à cache-cache en cherchant à camoufler  leur divergence du moment derrière une langue de bois stérile et circonstanciée. La production discursive émanant de cette rencontre,  en l’occurrence les interventions des deux leaders, le communiqué commun…étaient transparents et ne se laissent pas lire comme la Pravda d’il y a longtemps, c’est-à-dire offrant une lecture entre les lignes. La rencontre a donné lieu à un échange franc et fraternel…Le premier secrétaire de l’USFP n’a pas manqué dans son intervention de reproduire son discours à l’égard du chef de gouvernement…devant un parterre dont la moitié était acquise à la cause de l’actuelle majorité. Le but de la rencontre était justement de mettre à plat les divergences pour réhabiliter le patrimoine historique commun garant d’un avenir tout aussi commun au service du peuple, de la démocratie et de la nation.

Car  au-delà de tout calcul étroit, avec leurs retrouvailles dans le contexte actuel, les deux partis  ont envoyé un signal d’optimisme au peuple de gauche désarçonné,  ce n’est plus un secret, par non seulement  le chaos idéologique dominant mais aussi par le comportement de ses représentants historiques, leur division, et globalement par l’absence de repères et de références. La gauche va mal. Et c’est une réalité qui dépasse les frontières d’un seul pays. Le monde va mal. Tout s’écroule devant nous. Des Etats entiers sont en train d’être cassés ; des configurations idéologiques inédites prennent le devant de la scène. Les extrémismes sont en vogue.  La gauche a perdu la bataille des idées et se trouve à la traîne sur le plan politique. La social-démocratie qui a donné l’illusion d’avoir trouvé un compromis entre le travail et le capital affiche mondialement sa faillite. Sa  reconversion au néolibéralisme a signé sa chute partout. Des mouvements sociaux inédits avec les mouvements d’occupation de places publiques tentent ici et là de redonner espoir aux militants.

Face à ce tableau peu luisant, la gauche marocaine est invitée à sortir des positions politiciennes pour inscrire le débat au sein de cette vaste problématique. Pour la gauche, l’enjeu est crucial dans sa simplicité : se montrer à la hauteur du moment historique où il s’agit à la fois de protéger la nation contre les risques d’effritement,  de fragmentation et de consolider l’option démocratique contre les manœuvres de mainmise et de contrôle despotique. A partir de ce cadre des points sont à inscrire d’urgence dans l’agenda intellectuel de la gauche au-delà de la simple équation de la participation gouvernementale. Et en premier lieu une analyse sereine de l’étape actuelle et de ses priorités. Pour ma part, j’en vois deux à approfondir avec l’ensemble des forces de gauche. D’abord une juste appréciation du fait religieux et de ce que les médias appellent l’islam politique. Pendant longtemps, la gauche s’était enfermée dans une vision mécanique du sujet l’évacuant comme simple expression d’une détresse matérielle et morale, «l’opium du peuple» en quelque sorte. Or, l’expérience aussi bien dans la sphère musulmane que chrétienne révèle l’énorme potentiel dynamique et émancipateur du fait religieux capable de donner une énergie sans limite aux acteurs du changement. Gilbert Achar parlant de la dimension d’incitation propre à la religion et prolongeant la métaphore de Marx résume cette idée en écrivant que « la religion est à la fois l’opium et la cocaïne du peuple ». A cela s’ajoute la spécificité de la présence de l’islam au sein de l’espace public qui se distingue foncièrement du cas européen. Les anciennes lunettes empêchent de percevoir cette réalité.

Le deuxième point qu’il faudra aborder avec sérénité concerne la nature de la contradiction principale de l’étape actuelle qui ne se présente nullement comme un affrontement de bloc à bloc ; les conservateurs contre les modernistes comme tentent de le propager certains milieux intellectuels  de la gauche médiatique ou des activistes de la société civile, en plaçant la lutte sur des thématiques sociétales. En fait plus pour tenter de contrecarrer l’hégémonie des islamistes que pour faire avancer la question des droits. Je les invite ici à méditer l’exemple de l’impasse actuelle de la jeune révolution tunisienne ou le camp des modernistes s’est réveillé le lendemain de janvier 2011 sur la dure réalité conservatrice de la société tunisienne. « Il y a les tunisiennes de l’avenue Habib Bourguiba et il y a les tunisiennes réelles » reconnaît non sans amertume une activiste du mouvement féminin tunisien qui rend hommage à la révolution de les avoir réveillés à la réalité. Certes, il ne s’agit pas d’abdiquer devant la réalité ; néanmoins il faut la bien connaître pour la changer.

Les enjeux au Maroc sont davantage sociaux que sociétaux. Elargis au contexte internationaux ses enjeux prennent une autre dimension celle de sauvegarder notre cadre national et notre souveraineté. Les événements tragiques qui alimentent l’actualité attestent que l’impérialisme a atteint un tel stade de domination qu’il peut se passer des cadres étatiques classiques et s’accommodent très bien au chaos et au vide politique. Les dernières manœuvres étatsuniennes autour de notre intégrité territoriale sont une alerte à prendre au sérieux.

Face à cette complexité du monde, la gauche doit se doter d’un nouveau logiciel. Nous attendons de nos camardes une autre parole politique que celle qui se complaît dans la stigmatisation de l’expérience actuelle. Une autre parole politique porteuse de propositions concrètes à même de créer les conditions d’une alternative crédible, réaliste, inscrite dans une perspective d’utopie qui est notre horizon commun.

Mohammed Bakrim

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