Pr.Taieb Chkili: «L’école doit être le creuset des valeurs citoyennes»

Cycle de débats de la Fondation Ali Yata sur «la question éducative»

Animée par le Pr. Taieb Chkili, la première session d’un cycle de débats sur la question de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, organisée par la Fondation Ali Yata a eu lieu, samedi au siège national du PPS à Rabat, sous le thème de  «l’école marocaine».

A l’ouverture de cette rencontre, le modérateur de la session, Ismail Alaoui, président de la Fondation Ali Yata, a tenu à rendre hommage au Pr. Taieb Chkili, «un ami et un camarade » qu’il connait de longue date pour avoir marqué «par ses hautes qualités» toutes les actions qu’il a accomplies dans tous les domaines en «homme de terrain, d’action et d’organisation, un éducateur et un créateur».

Natif de Marrakech, Taieb Chkili s’est distingué depuis son jeune âge par son dynamisme citoyen en parallèle de ses études de médecine, qu’il a brillamment réussies à Toulouse par l’obtention de son titre et d’une médaille d’or.

Dans le cadre de ses activités sociales, il avait créé le club cinématographique de Marrakech et avait rejoint le parti, à l’époque interdit, en 1961.Au cours de son séjour en France, il avait pris part à la création d’un groupe de soutien à la cause palestinienne.

A son retour au Maroc, il avait participé à la Marche verte en qualité de coordinateur de toute la logistique médicale mobilisée à cette occasion.

Il s’est ensuite occupé de l’hôpital des maladies mentales de Salé, qu’il transforma d’un lieu d’internement des malades en un hôpital digne de ce nom. Il a également supervisé la construction de l’hôpital des spécialités.

En 1967, il avait été élu député du PPS au parlement avant d’être désigné président de l’Université Mohammed V.

Chkili a été ensuite désigné doyen de la faculté de médecine, poste qu’il occupa pendant sept ans, avant d’être nommé ministre de l’éducation nationale et de la formation, période au cours de laquelle il avait introduit plusieurs réformes. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et de travaux de recherches sur divers sujets.

A la fin de cet hommage à un homme exceptionnel, le président de la Fondation Ali Yata, Smail Alaoui, a remis un présent symbolique au Pr Taieb Chkili en reconnaissance de ses activités et de ses recherches.

Ismail Alaoui a ensuite annoncé l’organisation de deux autres sessions dans le cadre de même cycle de débats : l’une le 21 avril sur «la formation professionnelle» et qui sera animée par Anass Doukkali et l’autre, le 28 avril, sur l’enseignement supérieur et qui sera animée par Omar Fassi Fihri.

Prenant la parole, le Pr. Taieb Chkili a remercié la Fondation Ali Yata d’avoir programmé ce cycle de débats consacrés à «la question éducative» et de l’avoir invité pour animer cette première session sur l’école marocaine, étant donné que le sujet est d’actualité et la grave crise que connait le secteur dure depuis une longue date. Il est en effet temps d’en finir, a-t-il annoncé d’emblée, et a appelé à une solution à cette crise que personne ne conteste.

De tous temps, de nombreux savants et philosophes ont souligné l’importance de l’éducation dans la vie des nations comme l’avaient soutenu Ibn Khaldoun, Ibn Hazm, Maimonide et plus tard en France, tous les grands penseurs du siècle des lumières : Diderot, Voltaire, Jean Jaques Rousseau, Montesquieu, a-t-il dit.

Tous ces grands noms de la pensée humaine ont cultivé chacun à sa manière les fondements de l’éducation et son rôle majeur dans la vie des nations, a-t-il expliqué.

Et c’est pour en rappeler l’importance pour le Maroc que la Fondation Ali Yata consacre tout un cycle de débats à la question de l’éducation et de la recherche scientifique, répondant parfaitement à Paul Dupouey qui écrivit en 1991 : «une société sans débat éducatif ne peut être qu’une société totalitaire ou mourante», a-t-il noté.

Depuis le siècle dernier et avec notamment l’expansion de la mondialisation et de la compétition entre les pays et la généralisation des moyens numériques dans les méthodes d’organisation du travail, dans les techniques d’éducation et de formation, l’école est devenue un espace aux finalités multiples, une institution aux responsabilités expansives.

Une telle évolution des concepts et des finalités a entrainé un intérêt qui n’est plus théorique, mais un sujet à la fois extraordinairement sensible, posant aux décideurs des problèmes de choix du système éducatif et en même temps, un sujet de débat où se télescopent les convictions idéologiques, les préoccupations politiques, les intérêts catégoriels, voire les calculs politiciens, a-t-il relevé.

Au Maroc, la question de l’éducation en général et du système éducatif, en particulier fait l’objet depuis plusieurs décennies de débats qui n’en finissent pas quant à ses orientations sociales, ses modes de gouvernance, ses méthodes pédagogiques, ses approches didactiques, ses résultats quantitatifs et qualitatifs et globalement, son degré d’efficience culturelle et sociale.

Cette vision se retrouve dans cette citation de Sa Majesté qui disait : «parler d’éducation c’est parler de l’avenir, du développement, de la culture et du savoir, et c’est en fait parler des enfants d’aujourd’hui et des citoyens de demain, d’autant que l’éducation constitue le socle de tous les progrès, le rempart contre toutes les formes d’extrémisme, qu’elle est également le ciment de cohésion sociale et de l’égalité des chances».

Dès les premières années de l’indépendance du Maroc, a-t-il rappelé, la question de l’éducation s’est imposée de façon cruciale, le pays souffrait de l’analphabétisme qui touchait quelque 80 % de la population. Seuls 11%des enfants en âge de scolarisation fréquentaient le système scolaire, déjà éclaté et multiple.

Pour y remédier, plusieurs réformes parcellaires ont été proposées, qui ont permis, tant bien que mal, de réaliser dans un contexte très difficile de grands progrès, un contexte marqué par des hésitations quant au choix du modèle à développer. Les convictions idéologiques, les oppositions politiques et les problèmes pratiques en rapport avec la nécessité de concilier la rareté des ressources humaines compétentes avec l’absence de continuité dans les modes d’organisation, avec les incertitudes sur les choix linguistiques et sur le degré de priorité à accorder à ce secteur tout aussi budgétivore que ses résultats ont tardé à apparaître.

Aujourd’hui, plus personne ne conteste l’échec du système éducatif marocain : tant les résultats quantitatifs sont décevants avec à peine 7 millions : seuls 15% des enfants entre 3 et 5 ans suivent un enseignement préscolaire de qualité, moins de 8 millions d’enfants sont scolarisés tous niveaux confondus contre près du double en Algérie, moins de 750000 étudiants dans le supérieur contre 1,5 toujours en Algérie, un taux d’analphabétisme autour de 30% des personnes entre 25 et 65 ans.

Sur le plan qualitatif : moins d’un tiers des élèves de première année du collège maitrise les fondamentaux scolaires (lecture, écriture, calcul).

Ce constat, ajoute-t-il, concerne également le très grand nombre d’abandons sans orientation et sans formation avec plus de 280000 enfants chaque année, le taux encore très bas des bacheliers chaque année (à peine la moitié des candidats), les abandons de près de 40% des étudiants dès le premier semestre des études supérieures dans les filières à accès ouvert, près du tiers des diplômés chaque année de la formation professionnelle souffrent du chômage et du sous-emploi, un taux de chômage autour de 25% des diplômés de l’enseignement supérieur.

Selon Pr. Taieb Chkili, ces résultats obtenus malgré l’allocation de 6 % du PIB, soit 60 milliards de DH chaque année au système éducatif, contrastent de façon flagrante avec :

  • Les évolutions institutionnelles du pays et les acquis démocratiques contenus dans la Constitution de 2011, dont le bon fonctionnement exige des citoyens conscients de leurs responsabilités nationales et politiques. Les difficultés constatées dans la mise en œuvre de cette belle avancée constitutionnelle sont directement et indirectement liées aux résultats éducatifs obtenus, notamment dans les domaines de la citoyenneté, de la responsabilité politique de chacun et de la qualité des responsables de l’Etat et des territoires, hommes politiques, élus nationaux, responsables locaux, société civile….
  • Les progrès concrets et parfois spectaculaires réalisés sur les plans industriels avec naissance de l’aéronautique, de la construction automobile, du développement de l’électronique, la mécanique, la pharmacologie, l’agro-industrie, offshoring, etc…, des secteurs qui sont certes aujourd’hui les premiers postes exportateurs du pays, mais qui restent peu créateurs de richesses et d’emplois et loin de répondre aux impératifs de la compétitivité de l’économie marocaine en l’absence d’une politique volontariste de développer un écosystème de recherche-développement et d’innovation, levier indispensable pour pérenniser ces secteurs, pour améliorer la valeur ajoutée des produits fabriqués et pour gagner la bataille de la compétitivité internationale.

Repenser le modèle de développement

Pour le Maroc et comme l’ont fait tous les pays qui, comme lui, ont visé leur émergence et sont passés de pays manufacturiers à des nations émergentes, le Maroc devrait repenser son modèle de développement actuel basé essentiellement sur la compétitivité-coût, grâce aux bas salaires et aux aides fiscales, a estimé Pr. Taieb Chkili.

Selon lui, le modèle de développement institutionnel, économique et social à concevoir et à mettre en œuvre devrait être en mesure de contribuer à l’édification d’un réel Etat de droit , gagner la bataille de la compétitivité internationale dans le cadre du choix judicieux du Maroc d’intégrer son économie dans l’économie mondiale en signant notamment 55 accords de libre échange avec des pays européens, africains et nord-américains et avec lesquels il est toujours déficitaire. Pour ce faire, a-t-il dit, le Maroc se doit d’opérer une grande transformation de l’ensemble des secteurs de son système éducatif en se fixant comme objectifs :

  • la généralisation d’un enseignement préscolaire de qualité accessible à tous et partout. Le développement des neurosciences et les progrès réalisés en matière de compréhension du cognitif et du cerveau humain ont montré la nécessité de développer un tel enseignement préscolaire, devenu obligatoire pour les enfants à partir de 3 ans en France, a-t-il déclaré.
  • la refondation de l’école avec la conception de nouveaux curricula, de nouvelles méthodes pédagogiques novatrices et des approches didactiques qui prennent appui sur le savoir numérique sûr et l’ouverture de l’école sur son environnement, le tout dans le cadre d’une grande réforme de la gouvernance du système, levier d’engagement, d’émulation et de responsabilité,
  • l’urgence de donner la priorité à l’attraction des meilleurs éléments parmi les bacheliers pour en faire les générations futures d’enseignants et de leur assurer une formation théorique et pratique de qualité ainsi que des conditions décentes de travail, d’épanouissement et de reconnaissance sociale,
  • reprendre la réforme de l’université avec une réelle autonomie, source d’initiatives, de motivation, d’émulation, d’engagement et de responsabilité et développer un enseignement supérieur plus cohérent, plus éclaté et plus efficient
  • tracer une stratégie cohérente de formation d’une nouvelle génération d’enseignants-chercheurs de standards internationaux pour assurer le remplacement des départs à la retraite, pour améliorer les taux d’encadrement et pour développer une recherche-développement et des activités d’innovation, sources de valorisation des produits marocains, levier d’amélioration de la compétitivité et d’attractivité de nouveaux investissements basés sur la valeur ajoutée des produits et sur la pérennité de leurs activités mettant à l’abri des délocalisations attirées par les pays à bas coût et des avantages fiscaux.

Au cours du débat qu’a suscité ce riche exposé, le Pr Taieb Chkili a répondu à diverses questions, tout en soulignant la nécessité de développer la réflexion autour notamment du problème du financement, de l’identité et des différentes dimensions cultuelle et culturelle et surtout de la langue ou des langues d’enseignement et de l’enseignement des langues.

Il s’est longuement arrêté sur les verrous de la gouvernance et des ressources pour pouvoir avancer dans le traitement du dossier, estimant qu’il n’y a plus de temps à perdre dans ce domaine.

M’barek Tafsi

Related posts

Top