Migration
Par El Mehdi Imehda – MAP
Le Maroc est devenu, à la faveur de sa position géostratégique et d’une politique migratoire humaniste, une terre d’accueil pour nombre de migrants de différentes origines, notamment subsaharienne. En choisissant de s’installer au Royaume, ces derniers se retrouvent en situation d’immersion linguistique. Loin d’être une stratégie ou un choix didactique, il s’agit bien d’une réalité factuelle.
Amara, un Guinéen installé à Tanger depuis une douzaine d’années, personnifie l’importance de parler la langue locale pour favoriser l’intégration au sein d’une société donnée.
« Sincèrement, je me sens bien dans mon milieu de travail et je parle la darija avec tout le monde », a confié Amara à la MAP dans un dialecte marocain correct. A son arrivée au Maroc, en 2009, ce trentenaire voulait se rendre en Europe, dans un « pays de merveilles » qui devait lui assurer ainsi qu’à ses enfants une vie de rêve.
Au fil du temps, Amara a été marqué par l’accueil chaleureux de ses voisins et la convivialité des espaces de la perle du nord et a décidé d’y rester et d’y trouver un travail. Grâce à sa maîtrise impressionnante de la darija, il arrive maintenant à se socialiser parfaitement avec tous les collègues avec lesquels il travaille dans l’un des nombreux supermarchés de Tanger.
Il lui a fallu moins d’un an pour apprendre les bases du dialecte marocain, une « langue » dont la maîtrise est essentielle pour vraiment connaître le pays.
« Je n’aurais pas pu vraiment connaître le Maroc sans mes compétences en darija », a-t-il relevé, soulignant l’importance de la maîtrise de la langue locale pour mieux connaître les Marocains surtout les unilingues.
Laetitia T. (39 ans, Ivoirienne) n’a pas eu l’opportunité d’apprendre la darija contrairement à son fils qui a été inscrit dans une école marocaine où il a appris l’arabe avec les professeurs et la darija avec ses camarades de classe.
« Mon fils traduit tout pour moi (…). Chaque fois que je vais au marché ou dans un service public, mon fils m’aide à comprendre », a-t-elle lancé.
Comme beaucoup de commerçants de la région du nord n’utilisent pas le français ou encore moins l’anglais, l’apprentissage de leur langue devient « pratique et utile ».
Pour le sociolinguiste Hicham Boughaba, professeur à l’Université Abdelmalek Essaâdi à Tétouan, si le nouvel arrivant ignore la langue locale d’un pays d’accueil, il risque d’éprouver des difficultés d’intégration dans la structure sociale.
Dans une telle situation, il est impératif d' »acquérir suffisamment de connaissances linguistiques pour pouvoir approcher les habitants et interagir avec eux au quotidien », a-t-il estimé.
S’agissant de la relation entre la langue et la pensée, M. Boughaba a évoqué l’hypothèse de Sapir-Whorf, expliquant que « notre langue conceptualise notre monde qui est différent de celui des autres ».
Dans le même sens, l’universitaire a indiqué qu’un « nouvel arrivant, qui est censé s’ouvrir à une société différente, doit être réceptif à une perception différente du monde », tout en développant une pensée avancée sur des concepts qui n’existent pas dans sa propre culture.
Grâce à sa situation géostratégique et à sa stabilité politique, le Maroc est un « exemple vivant » de ce que peut être un carrefour. Depuis le début du XXIè siècle, il est devenu un pays d’accueil et de transit des migrants subsahariens, qui veulent améliorer leurs conditions de vie et aspirent à un avenir meilleur.
Face à ce tournant dans l’histoire des migrations dans le Royaume, le Maroc a adopté une série de mesures en faveur de l’intégration des immigrés subsahariens comme en témoigne le lancement en 2014 de la stratégie nationale des migrations et d’asile.
Dans la même année, la première campagne de régularisation a permis à plus de 25.000 migrants de recevoir un permis de séjour d’un an renouvelable, y compris toutes les femmes et tous les enfants qui en ont fait la demande, selon des statistiques officielles. Une deuxième campagne a permis la régularisation d’un nombre similaire de migrants, dont la plupart venaient d’Afrique subsaharienne occidentale.
Le rôle de l’apprentissage de la langue d’un pays d’accueil reste indéniable. L’artiste britannique Edmund de Waal l’avait bien dit : « Grâce aux langues, on est chez soi n’importe où ».