Ronronnement

On ronronne. L’ensemble du pays est dans un état d’assoupissement avec un métabolisme basal qui laisse toutefois entrevoir l’émergence comme une ambition possible mais très lointaine.

Le rêve, sans qu’il soit brisé, souffre de l’attente pesante et démotivante pour plusieurs. Le standby est reconnu à travers les indicateurs économiques. Rien ne bouge vraiment vers une croissance inclusive durable qui permettrait l’émergence. Selon ceux qui l’apprécient, la croissance du pays se ralentit. L’exportation semble miser beaucoup plus sur la flexibilité de la monnaie que sur une compétitivité bénéfique. Le capital reste attaché à la rente et au profit immédiat et spéculateur. L’agriculture reste dominée par l’aléaclimatique et ne permet pas aux ruraux de devenir des bourgeois. L’eau est exportée sous différentes formes alors que le pays est sous un stress hydrique alarmant. L’impôt est inégalitaire et la fraude fiscale reste prépondérante autant que l’informel. L’endettement est étendu.

Le social souffre dans la certitude qu’aujourd’hui est mieux que demain. Il peine à s’enthousiasmer alors qu’il ressent ses besoins se confirmer dans tous les domaines du quotidien. Le vécu ne se reconnaît pas dans les statistiques globales où le verre est à moitié plein ou à moitié vide. Pour les marocains du «marais» statistique, c’est à la mesure du ressenti et du vœu de vivre comme ce que les médias ne cessent de montrer que la situation est jugée. Il est fort probable que la subjectivité l’emporte sur l’appréciation bureaucratique mais les chiffres ne font pas le bonheur de la population.

Cela ne veut pas dire que rien ne se fait. Au contraire, tout se transforme et beaucoup se perd. Le paysage se modifie partout sur le territoire national. La population aussi mais sans qu’elle consente à adopter le comportement citadin qui préfigure la citoyenneté et ses valeurs. Le prototype du marocain lambda serait-il ce personnage qui fait tant rire  de Kabbour Bennani Smires et ses acolytes? La pauvreté, la vulnérabilité encouragent la débrouille au dam de l’occupation de l’espace public, de l’organisation de la ville, de sa propreté et de sa sécurité. Tout un chacun veut sa part de ce qu’il considère comme un dû de la société. Et si ce n’est pas pour lui dans l’immédiat, il le veut pour sa santé et pour sa progéniture. Il assume le présent et cherche à s’assurer de l’avenir. C’est humain et cela rentre dans la normalité des choses. Ne manque que cette certitude de l’enthousiasme, que demain soit mieux qu’aujourd’hui.

Certainement que demain sera mieux que ce jour. C’est une aspiration qui reste mobilisatrice malgré les contingences contraignantes du présent. Un espoir de ne plus voir des arracheurs de dents présenter dans les souks leurs butins acquis par des daviers douteux. L’attente de permettre à des jeunes de regarder un match de foot à travers un écran au lieu de s’agglutiner autour de celui d’un téléphone. Le défi de réussir remarquablement son baccalauréat non seulement à Benguérir, dans un lycée d’exception, mais partout ailleurs dans notre beau pays.

L’assurance pour nos jeunes de trouver un emploi, aussi bien dans les agglomérations que dans les champs. La confiance que la femme marocaine est autant l’égale de l’homme dans les droits et les devoirs qu’autant dans les rétributions et la reconnaissance des compétences. La certitude de ne pas mourir des suites d’une morsure venimeuse ou d’une grossesse difficile.

Le loisir de sillonner le pays sans se rendre compte de la déchéance touristique d’une destination soussie ou doukkalie et que cela se fasse sans accidents et sur du bitume qui tient la route. Le plaisir de voir des chênaies, des callitraies, des cédraies et des arganieraies sans dégradation suite à l’activité anthropique et à sa pression; celui aussi de bronzer sur des plages où le sable est propre sans racketteurs ni dragues qui le menacent.

Cela est réalisable, et bien d’autres choses encore. Il suffit que notre ronronnement cesse pour consolider notre processus démocratique et lui insuffler une dynamique nouvelle, celle de tous les espoirs.

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