Sans pudeur et dans l’illégalité, le littoral d’El Jadida se meurt

La baie d’El Jadida constitue une entité littorale des Doukkala fortement convoitée.Malheureusement, cet intérêt ne s’embarrasse pas toujoursdu respect des dispositions de la loi, particulièrement celles concernant l’aménagement du territoire, l’urbanisme et la protection de l’environnement. Mû par le seul profit, il exprime sa pression pour se mettre au-dessus des lois édictées justement pour protéger le littoral des spéculations où seul le rapport pécunier est pris en compte sans soucis quant à la dégradation, voire la disparition, de l’environnement littoral.

De la pointe d’Azemmour au port d’El Jadida, une étendue sableuse s’étend, de part et d’autre de l’embouchure de l’Oum Er Rbia. Cette dernière, après des années d’exploitation par dragage de ces fonds, se referme suite à une dynamique littorale non maitrisée et à un débit fluviatile de moins en moins important. Au sud de l’estuaire,la plage de sable fin est devenue une grève, couverte de galets. Au Nord de l’embouchure, les douars de Lakouahi et de Tagourant de la commune Sidi Ali Ben Hamdouch ont été marqués par le pillage du sable des plages et des cordons dunaires qui s’est arrêté avant les échéances électorales, en septembre.A l’entrée d’El Jadida, adossé à une vieille bâtisse de l’OCP, une enceinte métallique cache une bétonisation bien entamée d’une partie de l’estran et du cordon littoral dans le but d’établir un « aménagement et exploitation des espaces de sports et de loisirs ».

Cette situation, préjudicielle à l’environnement et à la population, a été dénoncée largement par le tissu associatif dont la pression a permis l’arrêt des travaux du projet dénommé 7A et la mise en œuvre de moyens logistiques pour ramener la communication de l’embouchure de l’oued à l’océan.La partie avale de l’estuaire était devenue un marécage nauséabond suite à son eutrophisation et à la mort subite et massive des poissons.

Mais voilà que ces derniers jours, rebelote ! D’une part, Dame Nature fait que l’embouchure se ferme ; et, à nouveau des travaux s’essayent à rétablir son ouverture dans l’espoir que les pluies à venir,inchallah,puissent terminer la besogne. D’autre part, par un biais administratif, le projet « aménagement et exploitation des espaces de sports et de loisirs » est remis sur la table pour le faire accepter. A se demander pourquoi il a été arrêté ? Echéances électorales obligent, dirait l’autre !

Dans l’attente de la consolidation de l’embouchure de l’Oum Er Rbia comme il se doit, le site d’une station d’épuration des eaux usées (STEP) a été inauguré dans les environs. Son fonctionnement est prévu dans vingt-deux mois, délai nécessaire pour sa construction. Cette réalisation était prévue depuis quelques années déjà mais le cours du projet a été plus que sinueux… mais enfin !

Pour le projet « aménagement et exploitation des espaces de sports et de loisirs » pieds dans l’eau comme le veulent ses promoteurs, il est prévu dans une zone non aedificandi selon le Plan d’Aménagement de la ville d’El Jadida et ne respecte pas les dispositions de la loi 81-12 relative au littoral.

Force est de constater qu’il ne s’agit pas de piscines gonflables, de toboggans démontables, de snacks et de cafés en chaume… mais bel et bien d’un démantèlement de la dune côtière et du sable de l’estran avec un durcissement au bêton armé. L’absence de l’étude d’impact sur l’environnement à laquelle est assujetti le projet, car il s’agit d’un complexe touristique situé sur le littoral (loi 12-03), est soulevée par tous les gestionnaires de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et de l’environnement.

C’est l’Histoire qui rappelle que la ville a été libérée par le Sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah ; et qu’avant de prendre la fuite, les occupants avaient miné les bastions et brûlé la ville. Mazagan devenait « Al Mahdoma » ; elle fût reconstruite en 1815 en devenant El Jadida. Depuis lors, la nouveauté et la beauté de la ville ont pris un sérieux coup suite à l’inertie, de plus en plus importante, des conseils communaux qui se sont succédés.Beaucoup de nids de poules, voire des trous, des dos d’âne, des immondices, des flaques d’eau usée parsèment les rues et les avenues de la ville dont certaines sont occupées par les vendeurs ambulants.

Plus que de la nostalgie, celles et ceux qui connaissent El Jadida souffrent de la dégradation de son tissu urbain et de son patrimoine. Sans parler de l’Hôtel Marhaba abandonné aux pique-bœufs et aux aigrettes,d’autres sites patrimoniaux sont à l’abandon ; et, même la cité portugaise, classée au patrimoine mondial, est de temps à autre soumise à des actions qui la menacent dans son esthétique ou dans les monuments qu’elle abrite.

Lyautey voulait qu’El Jadida soit le Deauville du Maroc. La comparaison serait impossible actuellement suite à la détérioration reconnue par le président du conseil municipal, maissans qu’il s’active réellement pour opérer au « toilettage » nécessaire. Il est par contre favorable à la dégradation du littoral d’El Jadida,dans le déni des dispositions du Plan d’Aménagement de la ville homologué par décret publié au Bulletin Officiel.

En ces jours de fête, le souvenir du discours de feu Sa majesté Mohammed V annonçant le début de la mobilisation du peuple pour le développement est d’actualité. Un développement durableérigé en droit par la constitution et pour lequel « l’Etat, les établissements publics et les collectivités locales œuvrent à la mobilisation de tous les moyens disponibles pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant (d’en) jouir ».  Dans ce cadre, l’investissement est encouragé dans notre pays pour contribuer à rendre notre économie nationale résiliente, toujours émergente et durable. Une économie nationale pour le développement et non seulement pour la croissance et l’accumulation des richesses par certains, sans répartition équitable et protection de l’environnement. Il n’est pas prévu dans notre constitution ou à travers la jurisprudence et la législation du Royaume du Maroc qu’un investissement détruise la nature et défigure le paysage pour « construire encore plus haut et laisser tout pour partir Là-Haut », comme ce qui est prévu sur le littoral d’El Jadida qui se meurt sans pudeur et dans l’illégalité…

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