Siel…mon livre ! : Le feu sacré de régis Debray

«Que deviendrions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas»

Paul Valéry

Le fait religieux est un paradigme constitutif de la pensée contemporaine. Il est à distinguer ici de la religion comme dimension de l’être, comme pratique sociale inhérente à l’évolution de la perception que se fait l’homme de son rapport au monde. Le fait religieux est l’expression plutôt de cette irruption du sacré dans l’espace public. Ce que nous qualifierons alors de signes de la religiosité est devenu depuis quelques années un phénomène public, faisant pratiquement de la religion la principale question politique de notre temps.

Cette omniprésence tourne en particulier autour de la place de l’Islam dans les sociétés modernes. Notamment dans les sociétés laïcisées comme la France où le débat mobilise la sphère intellectuelle. Régis Debray  l’une des figures emblématiques de cette sphère a été appelé à intervenir sur le sujet à double titre. D’abord sur un plan plus pragmatique, celui du citoyen engagé au sens large, en tant que Républicain.

C’est ainsi qu’il a été appelé à rédiger un rapport sur une demande du ministère de l’Education nationale sur «l’Enseignement du fait religieux à l’école laïque». Il avait préside d’ailleurs le comité de direction de l’Institut européen en  sciences des religions auprès de la célèbre Ecole pratique des hautes études. Sa thèse à ce niveau est que la République doit prendre les devants, agir en quelque sorte pour assumer le fait religieux et l’intégrer à la configuration institutionnelle qui préside au fonctionnement du système démocratique. En d’autres termes, ne plus ignorer cette composante dans l’organisation des forces sociales.

Mais Régis Debray s’intéresse aussi au sujet en tant que maître d’une discipline qu’il a contribuée à forger, la médiologie ; comprendre par là une «science» qui étudie les fonctions sociales supérieures : art, politique, religion… Une étude des signes qui se distinguent de la sémiologie car en fait la médiologie s’intéresse en premier lieu aux structures matérielles de transmission de ces signes. Quand le sémiologue regarde la composition des formes et des couleurs, le médiologue s’intéresse au micro, à la structure de la table à la forme de la salle. Des thèmes abordés par exemple dans Les cahiers de la médiologie, publication dirigée par Régis Debray, s’intitulent le vélo, la route, la projection…

C’est dans cette perspective qu’il faut lire son important ouvrage Le Feu sacré consacré aux fonctions du religieux (édité chez Fayard en 2003) ; c’est l’aboutissement d’un itinéraire intellectuel –les médiologues s’inspirent beaucoup du mouvement- fruit d’un parcours aussi bien individuel que culturel. C’est un feedback en somme ; une récapitulation car l’auteur a réussi plusieurs incursions dans le domaine, celui plus générique de la croyance. Et c’est formé par tant d’expériences que d’emblée il note sans un brin d’amusement : Notre monde contemporain, qui voulait tant faire jeune et déluré, trébuche sur des anachronismes -anathèmes, paradis et guerres saintes. C’en est assez pour clore la querelle des Anciens et des Modernes, avec ses couples sages, archéo/néo, réactionnaires/éclairés. Ces bonnes vieilles antinomies ont fait leur temps – et perdu leur force explicative».

On n’est pas tenu d’adhérer, mais le voyage que propose Debray est fascinant, d’autant plus que la structure du livre se prête à plusieurs entrées, épousant parfois la configuration d’un manuel, en l’occurrence un manuel d’initiation au fait religieux avec moult illustrations, définitions et cartographies. La démarche étant guidée par un principe : tourner le dos au béat comme au ricaneur, privilégier un tiers parti : sonder le mentir – vrai des croyances humaines.

Mohammed Bakrim

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