Sortir enfin du XXème siècle

Voilà l’homme tout entier, s’en prendre à sa chaussure alors que c’est son pied le coupable”

Samuel Beckett

Le train fonce d’une manière inexorable, rien ne le détourne de son trajet sorti de la nuit des temps. Oui, le temps file comme  un train; comme un destin. Nous entamerons bientôt la seconde moitié de la deuxième décennie du nouveau millénaire.

L’humanité assume ; ne prenant compte du caractère inouï du défilement que dans la durée, qu’avec le temps. C’est le temps qui nous réveille au temps. C’est une conscience après coup. Rappelez-vous, il y a quelques années à peine nous étions dans l’angoisse de l’année à trois zéros. Comment allions négocier ce tournant avec à l’horizon la hantise d’un certain bug qui a fini par ne pas avoir lieu ? Plus de peur que de mal. Le XXème siècle est parti comme une feuille de calendrier que l’on tourne; le véritable bug a eu lieu ailleurs. Il était derrière nous.

Dans quel état en effet l’humanité se retrouve aujourd’hui après un siècle de turbulence. Le bilan reste à tirer mais il se lit déjà dans le legs qui se cicatrise à peine dans la mémoire du désastre. C’est quoi en fait le XXème siècle : Auschwitz, le Goulag et Hiroshima. Des titres qui en disent long sur l’étendue du désastre que nous prolongeons aujourd’hui avec l’errance des valeurs. Un siècle né pourtant avec d’énormes promesses nourries des certitudes d’un XIXème siècle forgé dans le charbon, l’acier et l’électricité pour nous retrouver finalement dans des bulles et dans du virtuel. La matrix s’est joué de nous. Une immense désillusion.

“Savons-nous ce qui s’est passé dans notre siècle ? S’interroge Edgar Morin, à l’orée de son livre pertinent Pour sortir du XXème siècle. Savons-nous nous souvenir que celui-ci a été non seulement  sans cesse traversé de guerres, oppressions, crises, mais ravagé par deux immenses tueries/boucheries mondiales ? N’avons-nous pas déjà oublié la première, celle-ci effacée par la seconde, et l’image de cette seconde n’allait-elle pas en s’effaçant, jusqu’à ce que revienne aujourd’hui la crainte d’une troisième virtuelle/éventuelle ?”.

Un tour d’horizon alors s’impose pour chercher à comprendre cette cécité qui nous conduit à ne pas comprendre. Les immenses outils théoriques qui ont fait la fierté du XXème siècle nous ont-ils aidés  à avancer dans l’intelligence du monde ou n’ont-ils pas plutôt favorisé une certaine aliénation, notre égarement ? “N’est-ce pas cela qui nous arrive : ne pas savoir ce qui nous arrive”. Edgar Morin passe alors en revue les principaux paradigmes qui ont contribué à constituer cette illusion, cette mascarade que fut le XXème siècle. Il commence d’abord par semer le doute sur  une première capacité qui a été un emblème du siècle défunt, Voir.

Un simple exercice tiré de l’expérience quotidienne à la portée de chacun d’entre nous lui permet de détecter ce qu’il appelle la composante hallucinatoire de la perception et qui dénature ce que nous qualifions par réalité : il nous faut être prudent non seulement avec le témoignage d’autrui, mais aussi avec celui qui nous est le plus indubitable: le nôtre propre.

Témoigner renvoie déjà à un système essentiel forgé lors du XXème siècle, le système d’information. Le premier constat est que nous sommes entrés dans une ère de l’information globale, nous avons l’impression d’être informés presque en continu. En fait “cette planète nous apparaît enveloppée de nuages. Nous souffrons à la fois de sous-information et de sur-information, de manques et d’excès”.

Tous les thèmes qui ont nourri le XXème siècle sont ainsi revisités avec cette perspective d’interroger notre mode de pensée, de  réviser nos croyances, nos conceptions et nos méthodes.

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