Sur l’hégémonie hollywoodienne

«Trouverait-on à travers le monde le rêve de l’Amérique sans le cinéma?».

Wim Wenders

On ne peut plus parler d’un système hollywoodien au sens classique. Il est révolu, en effet, le temps des Majors qui façonnaient l’imaginaire contemporain par la standardisation de la production à travers la codification des genres et le fonctionnement du Star system. Comment alors parler d’hégémonie hollywoodienne au moment où le cinéma dominant ne se réfère plus à un centre ? Hollywood a disparu en tant que centre économique et industriel mais il a triomphé en tant que code, en tant que perception du cinéma. D’où la légitimité de parler d’hégémonie, notion plus pertinente que domination.

Cette approche tire également sa pertinence de la réaction même de l’ensemble du système américain : l’Amérique entière a fini par se constituer une vision du monde déterminée en quelque sorte par Hollywood. Nous sommes quasiment dans un processus de vampirisation où le produit a fini par marquer le producteur. On l’a vérifié récemment à l’occasion d’un  événement très médiatisé comme les élections présidentielles ou notamment lors des attaques du 11 septembre quand le regard de l’Amérique s’est tout de suite tourné vers Hollywood. Des films ont vu leur sortie reportée. Des scénaristes ont été invités à des cellules de réflexion commune au Pentagone pour anticiper sur des scénarios d’agression terroriste et des films ont été commandés pour rétablir l’imaginaire américain dans ce qui fut toujours son paradigme de base, à savoir l’image de l’éternelle Amérique conquérante.

Une démarche, classique dans l’histoire américaine quand des cinéastes voire des intellectuels participent au combat de la nation mais qui est souvent mené d’une manière intelligente. L’effet du miroir jouant sur les contradictions de la société offrant à l’occasion à l’establishment et à l’ensemble de l’élite de formuler une sorte d’autocritique quant à certains aspects du dysfonctionnement du pouvoir au sens large ou dans ses traductions spécifiques : la police, la justice, l’armée, les médias…Le cinéma exerce ainsi une fonction idéologique qui rappelle les fameux appareils idéologiques classiques comme le sont la famille et l’école.

Avec cette précision de taille que Hollywood se présente et tient sans cesse à le rappeler comme un divertissement, comme une industrie du loisir. Elle tente de se définir comme exsangue d’idéologie développant une vision du monde «naturelle». Une stratégie qui oppose les concepts de divertissement et d’idéologie. Anne – Marie Bidaud qui a travaillé sur cette dimension de la production cinématographique américaine constate alors que devant cette façon de faire, «ceux qui sont détournés ne savent plus de quoi ils sont détournés». Une démarche qui structure en avance la position du spectateur, il devient le complice de sa propre aliénation : «Le public est donc tenu pour co-auteur des messages contenus dans les films dans la mesure où la vision de l’Amérique et la lecture du monde que lui proposait le cinéma ont rallié ses suffrages. Loin d’être un récepteur passif, il a contribué à créer tout un jeu d’ajustements consensuels et de compromis qui a permis à l’industrie de maintenir son pouvoir avec l’assentiment de la plupart des spectateurs» et l’auteur de citer cette formule que nous reprenons dans la langue d’origine: «We would consume these lies so avidly unless we needed them!» Quels sont les paramètres de base de cette construction du monde ? Tout un programme.

Top