Un pas en avant, deux pas en arrière

Retour sur un sujet saturé, certes, mais récurrent. Cette fois c’est à l’occasion de la diffusion de «L’orchestre des aveugles» de Mohamed Mouftakir par la première chaîne. Une exception qui confirme la règle: la télévision n’aime pas (plus !) le cinéma. Et elle l’exprime de plusieurs manières.

Le choix, en effet, est désormais explicite, voire assumée : la télévision publique au Maroc tourne le dos au cinéma. Ce n’est plus un créneau rapporteur apparemment. 2M est allée très loin dans ce sens. Finie l’époque où sur la chaîne d’Ain Sebaa, les grands films et les matches de la champions league se disputaient le prime time. La chaîne qui se voulait vitrine d’un Maroc nouveau, moderne et ouvert sur la culture de son temps avait réussi en effet à installer de grands rendez-vous de cinéma comme elle réussissait à décrocher les droits de transmission de grands rendez-vous sportifs particulièrement pour le football. Ce n’est pas un hasard, cinéphilie et football se marient parfaitement ensemble et recrutent dans les mêmes couches sociales. Dans les tribunes des stades qui respectent leur public, il n’est pas rare de croiser des professionnels, des stars du cinéma. C’était cet esprit qui animait la programmation de la 2e chaîne de la belle époque. Le cinéma avait ses rendez-vous fixes avec notamment des moments emblématiques : le dimanche, un film grand public, sorti récemment dans les salles ; le mardi, c’était ciné-star qui invitait le grand cinéma d’auteur programmé en prime time et le vendredi le cinéma de minuit rendait hommage aux classiques du cinéma.

La première chaîne a connu sa belle époque en la matière quand la télévision bougeait. La première moitié des années 1980 de TVM correspondait ainsi aux années 1990 de 2M. Ce n’est pas un hasard si les deux périodes ont été marquées par la présence d’un grand cinéphile, Nour-Eddine Saïl aux postes de commande. Plusieurs générations de cinéphiles sont redevables à ces époques révolues de les avoir initiés à des zones prestigieuses du cinéma universel. Les ciné-clubs ayant entamé leur reflux, la télévision palliait à ce vide en devenant un ciné-club à domicile.  Le cinéma était rehaussé et estimé. Et les films respectés.

Jeudi dernier, TVM a marqué un bon point en termes de programmation en proposant à son public l’un des films marquants de ces dernières années. L’orchestre des aveugles de Mohamed Mouftakir a réussi l’équation difficile de rester dans le créneau du cinéma d’auteur tout en étant un film grand public. Il a ainsi gagné l’estime de la critique et a décroché des prix prestigieux notamment le Tanit d’or à Carthage en  2015. TVM a ainsi réalisé un pas en avant.

 Sauf que, la soirée destinée en principe à célébrer le cinéma a été gâchée par le traitent a-cinématographique réservé au film. Deux pas en arrière. D’abord les ciseaux de la censure n’ont pas manqué de faire leur travail. Discrètement mais efficacement Big brother qui veille sur nos mœurs  a «nettoyé» la bande son et la bande image du film de Mouftakir de tout risque de dérapage.

Plus grave encore, le film a été noyé dans un tunnel publicitaire aggravé par les coupures qui ont porté atteinte à l’intégrité physique du film. Le film a été réduit à un simple produit d’appel pour ramener des annonceurs au détriment de toute dimension cinéphilique. C’est d’autant plus aberrant qu’il s’agit d’une chaîne publique censée privilégier d’abord les œuvres artistiques dans un esprit de service public ayant pour finalité non pas d’améliorer le chiffre d’affaires mais de former le public à la culture cinématographique. Cette attitude strictement mercantile devrait faire réagir les professionnels de cinéma. Le cahier des charges des chaînes publiques devrait stipuler clairement la nécessité de respecter l’intégrité du film. Ou négocier le contrat avec le producteur en fonction de la donne publicitaire.

Le cas échéant, le service commercial de la télévision devrait travailler de concert avec les scénaristes ; ainsi en amont déjà le cinéaste saura à quel moment la publicité sera insérée dans son film. Il agira en conséquence sur le plan dramatique. Nous autres spectateurs, nous en tiendrons également compte, en activant par exemple, notre télécommande, quand la pub débarque, pour aller ailleurs…là où peut-être on respecte le cinéma.

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