Birmanie: «bain de sang» de Rangoun

Les familles de manifestants enterrent leurs morts

Des habitants de Rangoun ont fui mardi un quartier en proie à de violents affrontements, tandis que des familles de manifestants pro-démocratie enterrent leurs morts après « le bain de sang » des derniers jours en Birmanie.

Plus de 180 civils ont été tués par les forces de sécurité depuis le coup d’Etat du 1er février contre Aung San Suu Kyi, d’après l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP).

Le bilan s’est considérablement alourdi ces trois derniers jours, la junte semblant plus déterminée que jamais à réprimer la contestation en faisant fi des nombreuses condamnations internationales.

Face à cela, des habitants de la banlieue industrielle de Hlaing Tharyar, qui abrite de nombreuses usines textiles, ont décidé de partir.

« Ils sont partis tôt ce matin, les protestataires retirant pour les laisser passer des barricades érigées afin de ralentir les forces de sécurité », a indiqué à l’AFP une habitante. « Nous n’osons pas sortir dans la rue. On entend des coups de feu la nuit ».

Certains ont entassé leurs affaires et leurs animaux de compagnie dans des camions, des tuk-tuks ou sur des deux-roues, d’après des images diffusées par un média local.

« On a pu voir des gens sur les routes à perte de vue (qui) fuient pour regagner leur région d’origine », a relevé une autre publication.
La loi martiale a été décrétée dans ce quartier après l’incendie dimanche de plusieurs usines chinoises par des assaillants. Les forces de sécurité s’étaient alors déployées en nombre, ouvrant le feu et tuant des dizaines de manifestants.

Trois hommes ont été tués par des « foules sans scrupules » et la police recherche des suspects, ont simplement indiqué les médias d’Etat.
Désormais, toute personne interpellée à Hlaing Tharyar, et les cinq autres cantons de Rangoun où la loi martiale a été instaurée, risque d’être renvoyée devant un tribunal militaire, avec une peine minimale de trois ans de travaux forcés.

La Birmanie commençait mardi à enterrer les morts des derniers jours, notamment à Shwe Pyi Thar dans le nord de Rangoun où des dizaines de personnes ont déposé des fleurs.

Des veillées ont eu lieu cette nuit à travers le pays. « R.I.P » (Repose en paix), ont écrit avec des bougies des habitants de Mandalay (centre). « Nous soutenons nos martyrs », « on se battra jusqu’au bout », pouvait-on lire sur les réseaux sociaux.

Au moins 20 contestataires ont été tués lundi, d’après l’AAPP. Dimanche avait marqué la journée de répression la plus sanglante avec 74 civils abattus, la junte faisant part de son côté du décès d’un policier.
« Beaucoup d’adolescents sont morts et l’usage des balles réelles s’intensifie même la nuit », déplore l’AAPP.

Sollicitée, l’armée n’a pas répondu aux requêtes de l’AFP.
De petits groupes épars de contestataires se sont rassemblés mardi à Rangoun, dans la capitale administrative Naypyidaw ou encore dans l’état Shan (nord), mais ils étaient peu nombreux par peur de représailles.

La junte a coupé depuis dimanche les connexions internet mobile, rendant aussi plus difficile la coordination entre les protestataires.
Les violences des derniers jours ont provoqué un nouveau concert de protestations internationales.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a dénoncé, par l’intermédiaire de son porte-parole Stéphane Dujarric, un « bain de sang ». Il a aussi appelé la communauté internationale « y compris les acteurs régionaux, à se rassembler en solidarité avec le peuple birman et ses aspirations démocratiques ».

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a condamné pour sa part le recours aux armes létales, accusant la junte de « brutalement réprimer des manifestants pacifiques » et de « renverser les résultats d’une élection démocratique ».

La Chine s’était déclarée « très préoccupée » pour la sécurité de ses ressortissants après les violences de dimanche à Hlaing Tharyar, au cours desquelles 30 usines chinoises ont été attaquées selon les médias d’Etat, et demandé aux autorités de prendre des mesures pour « éviter résolument que de tels incidents ne se reproduisent ».

Le ressentiment à l’égard de Pékin s’est intensifié ces dernières semaines en Birmanie, certains estimant que sa position vis-à-vis des généraux birmans n’est pas assez ferme.

L’armée riposte aussi sur le terrain judiciaire. Hommes politiques, responsables locaux, activistes, artistes, fonctionnaires grévistes: près de 2.200 personnes ont été arrêtées depuis le 1er février selon l’AAPP, dont Aung San Suu Kyi, 75 ans, toujours mise au secret.

L’ancienne cheffe de facto du gouvernement civil devait comparaître par vidéoconférence lundi, mais l’audience a été reportée faute d’internet.

La lauréate du prix Nobel de la paix 1991 est inculpée pour quatre infractions. Elle est aussi accusée de corruption, le régime affirmant qu’elle a perçu en guise de pots-de-vin 600.000 dollars et plus de 11 kilos d’or.
La prochaine audience doit se tenir le 24 mars.

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