Blocage des négociations entre les 23 membres
Alliés traditionnels et quasi indéfectibles du Golfe, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, en désaccord sur l’augmentation de la production de pétrole, affichent une rare brouille publique à l’occasion de négociations au sein de l’Opep, qui reprennent ce lundi.
Les Emirats se sont fermement opposés jusque-là à la prolongation de l’accord actuel, proposé par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et des pays partenaires (Opep+), accord soutenu par Ryad.
Alors que l’Opep+ desserre prudemment le robinet avec l’amorce d’une fragile reprise économique mondiale, Abou Dhabi, dont le PIB dépend à 30% des hydrocarbures, a confirmé dimanche être à l’origine du blocage des négociations entre les 23 membres, estimant que l’accord était « injuste ».
« C’est tout le groupe contre un pays, ce qui est triste pour moi mais c’est la réalité », a rétorqué le ministre saoudien de l’Energie, le prince Abdelaziz ben Salmane, lors d’un entretien accordé en soirée à Bloomberg.
A la veille de la reprise des négociations, il a ensuite renchéri, appelant à « un peu de rationalité et de compromis » lors d’un second entretien accordé à la chaîne privée saoudienne Al-Arabiya,.
Depuis mai, le cartel a timidement rouvert le robinet d’or noir après l’avoir fortement serré au début de la pandémie de Covid-19, avec un certain succès au niveau des prix –du point de vue des vendeurs– puisque ceux-ci ont grimpé.
Selon des analystes, les 23 pays de l’Opep+, emmenés par l’Arabie saoudite et la Russie, avaient l’intention d’augmenter la production globale de pétrole de 400.000 barils/jour entre août et décembre.
Mais les Emirats ont exigé un meilleur traitement les concernant.
« Les Emirats réclament justice (…) pour l’après-avril » 2022, date d’expiration du cadre actuel de l’accord, a déclaré le ministre émirati de l’Energie Souheil al-Mazrouei.
« Il est déraisonnable d’accepter de nouvelles injustices et sacrifices. Nous avons déjà été patients », a-t-il ajouté auprès de Sky News Arabia, basée aux Emirats.
Au coeur du différend entre Ryad et Abou Dhabi se trouve la question du volume de production de référence, à partir duquel est calculé le quota de chaque pays.
Pour le ministre émirati, le volume de son pays –fixé à 3,17 millions de barils par jour– est trop bas et devrait être revu à la hausse (3,8 millions de barils par jour) en cas de prolongation de l’accord.
Cette demande a été rejetée par le ministre saoudien.
« J’assiste aux réunions de l’Opep+ depuis 34 ans et je n’ai jamais vu de telle demande », a déclaré le prince Abdelaziz à Al-Arabiya.
Ce franc-parler des deux ministres est rare dans une région où les contentieux entre alliés sont généralement réglés dans la plus grande discrétion.
Le ministre saoudien a refusé de céder aux demandes d’Abou Dhabi en arguant notamment que la prolongation de l’accord en l’état jusqu’à fin 2022 était nécessaire pour la stabilité du marché.
« Nous devons prolonger » l’accord, a-t-il martelé auprès de Bloomberg.
Un échec des négociations pourrait faire grimper les prix du brut, ce qui menacerait la reprise mondiale déjà précaire de l’après-pandémie et mécontenterait les plus gros consommateurs.
Un tel scénario menacerait aussi de briser l’alliance de l’Opep+.
L’an dernier, un désaccord comparable sur les quotas entre l’Arabie saoudite et la Russie –dont la rivalité est coutumière– avait exacerbé l’effondrement des prix provoqué par la pandémie.
Les Emirats ne semblant pas vouloir fléchir, des observateurs du marché ont exprimé leur inquiétude face à cette crispation entre amis du Golfe.
« La perspective d’une absence d’accord, voire d’une sortie des Emirats de l’Opep, s’est considérablement accrue », a averti dans une note Helima Croft, analyste de RBC, tant il semble difficile pour l’alliance d’accorder ce passe-droit sans ouvrir une boîte de Pandore.
Washington, qui entretient de bonnes relations avec Ryad et Abou Dhabi, devra peut-être intervenir pour aider « à combler le fossé et empêcher le scénario de la rupture ».
Les deux pays du Golfe ont longtemps partagé des diplomaties très proches mais des différends se sont dernièrement renforcés. Les Emirats se sont désengagés à partir de 2019 de la coalition arabe dirigée par les Saoudiens au Yémen contre les rebelles Houthis, proches de l’Iran.
Abou Dhabi a également fait grise mine lors de la réconciliation en janvier avec le Qatar, largement soutenue par l’Arabie saoudite, après plus de trois ans de brouille diplomatique dans le Golfe.