Par Mohammed Mansouri Idrissi, artiste plasticien-chercheur

La nature reprend ses droits…

Lahbib M’Seffer n’est pas étranger à l’art. Il est artiste depuis toujours comme dit de lui son ami le peintre Abdelkébir Rabi, qui a suivi son itinéraire depuis 1982. Natif d’El Jadida, ville possédant une des plus belles plages du Maroc, où le bleu du ciel rejoint celui de la mer et que traversent quelques vagues et nuages blancs. Voilà l’image qui s’est gravée à jamais dans la mémoire du jeune enfant. Devenu adulte il consacra tout son temps à l’exercice de la profession à laquelle le destin le mena (la banque). En 1988, il s’attela à l’art en gérant la Fondation, dont la banque l’avait chargé. Il fréquenta dès lors les galeristes, les hommes de lettres et évidemment les artistes ainsi que ceux qui participaient à «la jeune peinture».   

C’est dans ce contexte qu’il fit la connaissance de Mohammed Khair Eddine dont l’amitié aboutit à la publication, à Paris, par la revue Esprit (juin 1992), d’un article sous le titre : «Lahbib M’Seffer peintre bucolique », suivi  en 1994 du livre « M’Seffer vu par Khair Eddine». Terrassé par sa maladie subite, Khair Eddine ne put assister à l’exposition organisée à cette occasion. 

Ce texte donna une nouvelle orientation aux travaux de M’Seffer. Celui-ci se sentait investi d’une mission, par son ami Khair Eddine qui, avant de s’éteindre, avait fait de lui «le gardien de la terre marocaine qui l’a vu naître ». 

Si on remonte dans l’histoire de l’Art, on constate, que le «paysage» a toujours été considéré comme secondaire. Exécuté en atelier, il servait de fond pour les sujets religieux, mythologiques ou historiques. Il faut attendre 1780, pour voir de jeunes artistes partis compléter leur formation en Italie (comme c’était la règle) pour découvrir les beautés et la luminosité du paysage de ce pays. Ils ont peint pour leur propre plaisir, des œuvres qu’ils avaient conservées dans leurs cartons.

Et, ce n’est qu’avec Corot (français) puis Constable et Turner (anglais), que le paysage acquît la place qui lui revient, bien avant que les impressionnistes ne peignirent en plein air, les motifs et les couleurs qui s’offraient à leurs yeux sous une lumière constamment changeante.

De même, au Maroc, le paysage pur et dur reste limité à quelques rares œuvres. Exception faite de M’Seffer qui, depuis les expositions Aux Oudayas (Rabat 1987) et à EL Wacetey (Casablanca 1994) et surtout depuis l’écrit de Khaïr- Eddine,  s’est livré à une recherche interminable sur la nature marocaine et ses composantes ciel, terre, mer et sable, essayant de tirer la quintessence de la beauté insaisissable du paysage, dans sa majestueuse immensité, sublimé par un ciel généreux et dominant.

Cet émerveillement devient un acte de foi et de recueillement au point de «vouloir héler» le ciel, dont il essaie de fixer le mouvement et la luminosité dans leur cheminement.

Que devient l’homme dans cet univers de M’seffer ? Il fait parti de l’œuvre et ne peut donc se regarder. Il est là, méditant dans le silence le plus absolu. Et quel que soit le bruit à l’entour, celui-ci est absorbé par l’immensité de l’univers et dissous dans la luminosité de la voûte céleste.

Khaïr-Eddine disait que «La peinture est avant tout une lumière, et que cette lumière est le résultat d’une fusion de la matière. Il n’y a pas de lumière sans fusion nucléaire et il n’y a pas de peinture sans fusion des couleurs». 

Après une participation constante à des  expositions collectives importantes voilà que M’Seffer dédie une grande exposition à son ami Khair Eddine, à la galerie MemoArts, en avril 2008.  

Il reste actif et se consacre à une recherche continue, en frôlant l’abstraction, sans jamais se départir de la nature qui reste son domaine de prédilection. Il a été jusqu’à se détacher de la toile pour s’intéresser au papier… Aurait-il abandonné la peinture à l’huile qu’il privilégiait tant ? Que non ! Ses expérimentations sur tout type de papier lui ont ouvert des voies nouvelles, peignant souvent à la spatule et surtout avec ses doigts. Cela donne des possibilités inimaginables car le paysage semble, comme par miracle, surgir de la main de l’artiste… A voir et à délecter… paysages panoramiques divers et variés, où le ciel garde une place prépondérante, comme pour rappeler la petitesse de la terre dans l’univers. Voilà le domaine féerique, tout calme, silence et méditation… C’est le monde de M’Seffer…  Un monde sublime… et reposant…

Evidemment toute recherche mène vers l’écriture. Ne faut-il pas prendre note et faire des analyses et des constats ? Comment s’étonner qu’il se mette à s’exercer à cette autre manière de s’exprimer ? Le voilà nous offrir un écrit où la réflexion se mêle à la poésie, où l’âme de l’artiste se dévoile dans un heureux discours…

«Voilà tout», comme dirait Mohamed Khair-Eddine…

Lahbib M’Seffer est né en 1944, à El Jadida. Titulaire d’un baccalauréat série philosophie, puis d’une licence en sciences politiques. Ancien directeur général, chargé des ressources humaines et matérielles d’un grand groupe bancaire.  Membre de l’ALFAC (Association des lauréats de la faculté de droit de Casablanca). Secrétaire général de la Fondation Wafabank de 1987 à 2003. Secrétaire général adjoint de l’AMAP (Association marocaine des arts plastiques). Membre du bureau de l’Association des Doukkala. Secrétaire général du SMAPP (Syndicat marocain des artistes plasticiens professionnels).Commissaire de nombreuses expositions depuis 1988, dont «Peintres doukkalis, don de la terre», lors de la visite de SM le Roi Hassan II à El Jadida en Juillet 1994. Commissaire de GENAP 1 et GENAP 3 (Grande Exposition Nationale Des Arts Plastiques).  

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