La presse nationale est dans de mauvais draps. En effet, un coup dur vient s’ajouter à ses problèmes structurels, accentuant ainsi les difficultés et les contraintes économiques et administratives qui menacent déjà son édifice. Ce nouveau coup dur réside dans l’augmentation du prix du papier sur le marché mondial, qui a eu des répercussions directes sur le coût d’impression des quotidiens, des hebdomadaires et des périodiques. Bref, la production d’un journal au Maroc est devenue on ne peut plus onéreuse.
La question ne peut pas être considérée, pour ainsi dire, comme une simple équation liée aux équilibres budgétaires et commerciaux que l’entreprise de presse se doit de gérer et passer à autre chose. Il s’agit, bel et bien, d’une crise qui menace tout un secteur déjà confronté à des problèmes structurels.
Du coup, l’entreprise de presse s’est retrouvée face à une situation insupportable, d’autant plus qu’il s’agit d’un secteur qui produit de l’information et de la connaissance. Un service public qui est parmi les fondements de base de l’édification démocratique de notre pays.
L’origine de la crise?
Dans le cadre de sa nouvelle politique environnementale et énergétique dictée par ses engagements internationaux issus des recommandations du Sommet mondial sur le climat, la Chine a décidé de ne plus couper les arbres de ses forêts et d’abandonner définitivement la fabrication du papier. Et pour satisfaire à ses propres besoins d’impression et autres, estimés à plus du quart de la production mondiale en la matière, le pays le plus peuplé du monde s’est orienté vers le marché mondial pour s’approvisionner. Les stocks ont été épuisés, une pénurie a été ressentie et les prix ont flambé.
Au Maroc, quatre importateurs de papiers de presse se sont retrouvés dans l’obligation de revoir à la hausse les prix du papier pour les entreprises de presse en vue de couvrir leurs déficits et d’éviter le pire. Du coup, les entreprises de presse, surtout celles qui éditent des quotidiens, se sont retrouvées étranglées par de nouvelles hausses successives qui semblent emprunter une pente ascendante, du moins durant les trois prochains mois.
Les importations marocaines en papier journal ne dépassent pas le 1/1000 des importations mondiales. Ce pourcentage insignifiant par rapport aux importantes importations chinoises ou encore aux quantités énormes importées par les opérateurs européens qui scellent leurs transactions par des deals sur plusieurs années, ne laisse aux importateurs aucune marge de manœuvre sinon que d’opter pour une solution de facilité et répercuter cette hausse des prix sur leurs clients directs, en l’occurrence les entreprises de presse. Ces dernières, déjà en difficulté, doivent de surcroit régler les factures rubis sur angle.
Devant cet imprévu, et en l’absence de tout indicateur positif qui permettrait d’envisager une sortie de crise dans le futur proche, les entreprises de presse seront acculées à mettre la clé sous le paillasson et condamner ainsi à la disparition des titres historiques et légendaires de la presse nationale, faute de pouvoir amortir cette nouvelle hausse des coûts de production.
Nos entreprises de presse souffrent déjà d’une multitude de problèmes structurels liés à l’effondrement de l’ancien modèle économique du secteur, à la hausse continue du coût de l’impression, aux contraintes drastiques du système de distribution ainsi qu’à la faiblesse des subventions publiques, qu’on peut qualifier de dérisoires par rapport aux montants des subventions allouées sous d’autres cieux, en Europe ou ailleurs. Sans oublier le poids des charges fiscales et sociales, les difficultés du recouvrement auprès des Administrations publiques et des collectivités locales et le dysfonctionnement du marché des annonces et de la publicité…
A ces problèmes économiques structurels, s’ajoute la désaffection des lecteurs. Les citoyens, jeunes, cadres et même l’élite marocaine ne lisent plus les journaux…
Toutes ces contraintes font que le défi n’est pas seulement d’ordre purement commercial pour être supporté par les seules entreprises de presse. C’est aussi une vraie crise qui interpelle notre pays et notre société et interroge notre volonté à édifier une société pluraliste et démocratique…
Pour faire face à ce nouveau problème, l’Etat doit intervenir pour sauver les entreprises de presse, de manière directe à travers la prise en charge de la différence à payer, imposée par les fournisseurs de papier. Il s’agit là d’une priorité qu’il faudra résoudre d’urgence.
Parallèlement, il est nécessaire d’accélérer le rythme de la Commission de soutien à la presse et le système administratif correspondant afin de pouvoir, dans les plus brefs délais, verser le reste du soutien pour l’exercice précédent et celui de l’année en cours, de sorte à aider les entreprises à assurer leurs charges courantes.
Il est également indispensable que les services de l’Etat interviennent et suivent, avec sérieux et célérité, les opérations de recouvrement des dettes accumulées par les entreprises publiques, y compris par les Ministères et les collectivités locales.
Il y a aussi les questions liées à la distribution auxquelles il faudra trouver des solutions qui appellent à un esprit de responsabilité nationale et à la conscience de la particularité de ce secteur et du produit qu’il offre à la société.
De même, il est nécessaire de penser au droit de notre peuple à la lecture, avec tout ce que cela signifie en termes de mobilisation nationale pour encourager à la lecture.
De plus, le secteur de la presse nationale, qui n’a jamais bénéficié auparavant d’aucune intervention stratégique de l’Etat en termes de soutien, d’appui et de qualification, à l’instar d’autres secteurs économiques, a besoin, aujourd’hui et de façon urgente, d’un plan national stratégique que l’Etat doit parrainer au niveau central, en lui consacrant un véritable programme d’investissement, qu’il planifiera et exécutera en accord avec les professionnels et les patrons de ces entreprises et en partenariat avec les organisations professionnelles concernées. Cela pour que le pays ne se réveille un jour sans ses journaux et ses médias.
Commençons, d’abord, par résoudre le problème de la hausse des prix du papier journal à travers une aide directe aux entreprises de presse pour régler le montant de l’augmentation imposée et faire épargner aux sociétés importatrices de papier une crise de trésorerie. Ensuite, accélérer le rythme d’octroi du soutien public en cours. Il faudra également songer à revoir à la hausse les montants alloués et mettre en place un plan national stratégique et global destiné au redressement et à la mise à niveau de ce secteur stratégique à plus d’un égard.