«Aujourd’hui, nous avons une industrie pharmaceutique marocaine 5.0»

Btissam Belaïche, experte en marketing digital pharmaceutique

Propos recueillis par Kaoutar Khennach

Le Maroc s’est inscrit dans une stratégie de transformation digitale depuis plusieurs années et le secteur de la santé n’y échappe pas. L’industrie pharmaceutique ne peut pas se passer de cette révolution à l’heure où tout le commerce de détail est touché par la transformation digitale qui change le comportement d’achat des consommateurs et bouleverse l’organisation des entreprises. Pour voir pourquoi il est important aujourd’hui d’utiliser le digital dans l’industrie pharmaceutique, nous avons interviewé Btissam Belaïche, experte en marketing digital pharmaceutique pour nous livrer sa vision sur le marché pharmaceutique au Maroc et évoquer les perspectives de la transformation digitale dans ledit secteur. En voici la teneur:

Al Bayane : Quelle analyse faites-vous du marché pharmaceutique au Maroc ?

Btissam Belaïche : Le marché pharmaceutique Marocain privé (uniquement les ventes à travers les pharmacies d’officine et en excluant les marchés pharmaceutiques) représentait en 2021, un chiffre d’affaires de 12,5 milliards de Dirhams TTC. Ce chiffre correspond à des dépenses des patients de l’ordre de 18,5 milliards de Dirhams. En volume, le marché pharmaceutique privé représentait en 2021, un volume de 388 millions de boites. Ce qui représente près de 80% de la consommation globale des médicaments, le reste étant représenté par les marchés hospitaliers. La croissance moyenne du marché sur les dernières années a été de près de 8%. La consommation moyenne par habitant a été de 510 dirhams en valeur et de 10 boites par an.

Le secteur pharmaceutique est constitué par 51 laboratoires pharmaceutiques, 61 grossistes-répartiteurs pharmaceutiques et par 11200 pharmaciens d’officine. Sans compter les pharmacies hospitalières qui existent au sein des hôpitaux et CHU. Dans ce marché, il existe 7867 spécialités pharmaceutiques ou médicaments dont 4800 qui sont remboursables. Les médicaments représentent 33% des dépenses de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO).

Le secteur pharmaceutique, contribue à hauteur de 1,5% au PIB national et à 5,2% au PIB industriel. L’industrie pharmaceutique du Maroc est la 2ème plus puissante industrie pharmaceutique du continent Africain après celle de l’Afrique du Sud. Le médicament « Made in Morocco » est classé en termes de qualité en zone Europe et près de 17% des médicaments fabriqués au Maroc s’exportent principalement vers l’Afrique et l’Europe. L’industrie pharmaceutique Marocaine a fait preuve de résilience face à la crise sanitaire représentée par la pandémie Covid-19 au cours de la période 2020 et 2021.

Le marché pharmaceutique est aujourd’hui à la veille d’un tournant historique. D’une part, le Maroc a mis les pieds dans le club très fermé des fabricants des biomédicaments avec 2 grands projets de fabrication de vaccins. D’autre part, la mise en place prochaine de la couverture sanitaire universelle (CSU) qui intégrera 22 millions de citoyens de plus dans l’assurance maladie. Il faut aussi rappeler que l’industrie pharmaceutique et le marché des médicaments au Maroc ont fait preuve de résilience face à la pandémieCovid-19. C’est pour cette raison que le marché national des médicaments a été approvisionné de manière régulière et qu’il a connu très peu de ruptures de stocks et de pandémie. Par contre, ce marché a connu de fortes tensions sur certains médicaments du fait d’une demande qui a explosé en période pandémie. C’est le cas notamment de la vitamine C, le zinc.

Que représente le segment des parapharmacies dans ce marché ?

Le segment de la parapharmacie (produits cosmétiques, compléments alimentaires et dispositifs médicaux est un énorme marché probablement encore plus important que celui des médicaments mais qui n’est malheureusement chiffré. Le marché des dispositifs médicaux avec ses 800.000 références est un marché encore plus important que celui des médicaments.

En quoi le marketing pharmaceutique diffère-t-il des autres marketings ?

Le marketing pharmaceutique reprend les règles générales du marketing général mais il y a une différence au niveau du Mix-marketing. Alors que dans le marketing-mix il y a 4 dimensions ou 4P sur lesquels on peut agir et qui sont le Produit, le Prix, La place (ou politique de distribution) et la Promotion alors que dans le marketing-mix pharmaceutique, on ne peut agir que sur le produit et la promotion puisque les prix sont fixés par le ministère de la Santé et que les laboratoires ne peuvent pas jouer sur les prix pour répondre à la loi de l’offre et de la demande. De même, les laboratoires sont obligés de suivre les mêmes circuits de commercialisation : laboratoire-Grossiste, pharmaceutique-pharmacie ou Laboratoire-pharmacie. Seuls les marketing-mix des compléments alimentaires, des produits cosmétiques et des produits de conseil/automédication sont à 4 dimensions et on peut agir aussi bien sur le prix que sur le circuit de commercialisation. Mais il faut rappeler que des médicaments avec un statut officiel de médicaments d’automédication n’existent pas au Maroc. Il faut aussi rappeler que la publicité des médicaments auprès du grand public est interdite et qu’elle doit être limitée aux seuls professionnels de la santé.

Où en est la transformation digitale du marché pharmaceutique au Maroc ?

La transformation digitale du marché pharmaceutique est de plus en plus rapide. Tous les laboratoires disposent de puissants CRM, les grossistes pharmaceutiques sont déjà digitalisés et pratiquement toutes les pharmacies disposent d’un système informatique. La pandémie Covid a accéléré la transformation digitale dans beaucoup de domaines dont le secteur de la santé.

Pour résumer le tout, l’industrie pharmaceutique et le système de santé au Maroc sont en pleine évolution avec beaucoup d’avantages positifs qui permettront au final au patient marocain une meilleure prise. Ce que je peux dire, c’est qu’aujourd’hui, nous avons une industrie pharmaceutique marocaine 5.0.

Pourquoi vouloir digitaliser la pharmacie ?

Tout d’abord parce que le projet de la couverture sanitaire universelle va encore pousser la digitalisation et la connectivité encore plus loin et notamment avec la mise en place d’une carte intelligente pour les patients et connecter les pharmacies aux organismes gestionnaires de l’assurance maladie. Mais cette digitalisation officinale répond aussi à d’autres besoins. On peut citer le besoin des laboratoires de faire une publicité institutionnelle ou de sensibiliser sur une maladie, en utilisant les réseaux sociaux. De plus, la digitalisation permet aux pharmaciens de mieux gérer leurs stocks et de lieux tenir leurs comptabilités.

On parle de plus en plus de souveraineté sanitaire. De quoi s’agit-il ?

La souveraineté générale d’un pays réside dans sa capacité à maîtriser sa sécurité nationale sous tous les aspects et d’être en mesure de défendre sa population contre tous types de menaces, militaires bien évidemment. Mais aussi alimentaires, sanitaires, énergétiques, numériques, etc. Cette souveraineté suppose la sécurisation des approvisionnements d’un pays et l’indépendance vis-à-vis de pays tiers. La souveraineté sanitaire est liée à la capacité de mobiliser les ressources médicales et pharmaceutiques et la maîtrise des approvisionnements en produits de santé et notamment en médicaments en toutes circonstances. Celle-ci passe par deux éléments importants. Le premier est la fabrication locale des produits pharmaceutiques qui sécurise l’approvisionnement du pays en aux produits de santé et le met à l’abri des pénuries. Le deuxième est la diversification des sources d’approvisionnement pour les produits importés.

Les périodes de guerres, de pandémies ou de raréfaction des ressources fragilisent la sécurité des approvisionnements des pays.

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