De l’environnement comme trame romanesque

Une lecture dans le roman de Hakim Ben Achour, Baroud d’honneur, Editions Muse

Dr Brahim Ounir

Une poignée de gens, pauvres, isolés, aux mains nues, peuvent-ils lutter contre une nature hostile et en dompter les éléments ?  C’est le défi que se lancent les habitants d’un trou perdu quelque part dans les montagnes du vaste Maroc de la marge. Et c’est le sujet d’un récit nouvellement publié – à l’étranger, hélas ! – par un Marocain qui a pris fait et cause pour ces déshérités.

Baroud d’honneur, c’est le titre de ce roman, se veut avant tout une plaidoirie pour ces arrière-pays oubliés de tous et que la triste actualité nous rappelle de temps à autre à la lumière d’un épisode dramatique. Un séisme, une crue, une vague de froid, une sécheresse aigüe nous font découvrir des réalités loin de l’image idéalisée d’un Maroc uniformément développé et prospère.

Les gens des métropoles qui, ces temps-ci, crient au scandale parce que l’augmentation des prix des carburants limiterait leurs déplacements ou réduirait leur pouvoir d’achat, devraient essayer de vivre ne serait-ce qu’une semaine dans un de ces douars coupés du monde – et il en existe tant malheureusement – pour se rendre compte de ce que le mot « privations » signifie réellement.

Il est ici question d’une montagne qui ne se laisse pas dompter, d’un oued qui n’en fait qu’à sa tête, d’une nature belle et cruelle, despote et martyr à la fois, de femmes et d’hommes tantôt abattus tantôt révoltés. Parmi eux, quelques-uns meurent en silence, de faim, de froid, d’abandon. D’autres, par contre, s’indignent et le font savoir à leur manière, farouches, fiers de la richesse de leur dénuement originel.

Il y est aussi question de dignité, d’amour, de beaucoup de souffrance certes mais aussi d’insouciance, d’espoir et même d’une certaine joie qui se devine dans l’humour abusé des propos et des attitudes. De la certitude qu’ils ne doivent leur salut qu’à eux-mêmes, ils puisent le courage de se relever après chaque chute, de rebâtir après chaque catastrophe.

L’intrigue du roman se résume dans la colère croissante d’une population affectée par les débordements récurrents d’un cours d’eau et excédée par la passivité des pouvoirs tutélaires. Un barrage semble être la solution et sa construction a été souvent évoquée lors de campagnes électorales ou dans de soi-disant plans de développement mais rien de concret n’est fait pour endiguer la fougue des flots. Une énième crue fait cependant réagir, d’une manière sournoise et néanmoins retentissante, une population jusque-là amorphe et craintive.  

Ecrites la veille et au lendemain du fameux « printemps arabe », les deux parties du roman reflètent l’état d’esprit revendicatif de la période autant que la volonté d’aller au-delà de la formulation des doléances vers la recherche des solutions. Si, après un automne agité, les habitants des douars semblent abandonner toute idée d’affrontement avec un adversaire aussi puissant qu’insaisissable incarné par les autorités locales, ils n’ont pour autant rien perdu de leur hargne dans la lutte contre les  inondations.

Avec l’arrivée du printemps, survient un évènement qui ne tarde pas à faire sortir la vallée de sa torpeur et lui rappeler ses heures glorieuses de mobilisation militante: le retour d’un fils prodigue, longtemps oublié par la communauté, et qui va endosser l’habit du sauveur. Ce personnage, qui avait fui le pays pour ne pas trahir des convictions idéologiques très affirmées et avait bourlingué un peu partout à travers le monde avant de se lasser de la

politique et de s’enticher de l’écologie, revient porteur de beaucoup d’idées dont celle censée conjurer le spectre des crues.

L’auteur, journaliste de formation et ancien haut fonctionnaire chargé de dossiers liés à l’environnement, emprunte à l’environnementaliste le sérieux de l’approche scrutatrice qui incite à la réflexion autour du changement climatique et ses incidences, et au journaliste la langue simple et la construction narrative qui font de ce livre un agréable moment de lecture.

Un mot, en fin, sur l’édition de ce roman, disponible en librairie seulement à l’étranger et sur les plateformes de vente en ligne (FNAC, Amazon, etc.), il semble que l’auteur y ait été contraint par la frilosité de nos éditeurs locaux qui craignent, un peu trop, le risque de l’échec commercial et ne misent que sur les auteurs à la renommée bien établie. C’est bien dommage pour le lecteur marocain.

Étiquettes
Top