Des disparités sociales pèsent sur le système

 Etat de santé des Marocains

Ouardirhi Abdelaziz

Depuis plusieurs années, le Maroc réalise des enquêtes auprès de notre population dont l’objectif est de recueillir des informations détaillées sur l’état de santé de nos concitoyens. Le but est de savoir comment se portent les  Marocains? Quel est leur état de santé actuel? Quelles sont les maladies les plus fréquentes ? Les accidents, la qualité de vie des ainés…On fait le point avec vous.

La santé est un sujet qui passionne nombre de personnes .C’est un thème qui revient sans cesse dans toutes les discussions, et plus particulièrement en ce moment précis marqué par la crise sanitaire que connaît notre pays à cause du nouveau coronavirus Covid-19.

Oui, la santé est un sujet d’actualité qui fait la une des médias[. Il ne faut pas s’en étonner. Bien au contraire, il faut en parler tous les jours car la santé, c’est ce que nous avons de plus précieux. 

Dans ces conditions, il est tout à fait normal qu’on lui consacre un grand intérêt, pour savoir quel est l’état de santé de nos concitoyens.

Les journalistes cherchent à savoir comment les citoyens jugent le système de santé. Ils questionnent, ils analysent, ils écrivent ou réalisent des reportages audiovisuels.

Des experts sont invités sur différents plateaux pour débattre du même sujet. Chacun y va de son expertise,  avec ses propres expériences ou s’entremêlent à la fois la subjectivité et une part d’objectivité.

Bref, la santé des citoyens ne laisse pas indiffèrent, et c’est tant mieux. Sauf que cette même santé se trouve aujourd’hui,  confrontée à d’énormes défis.

En effet, il faut souligner que la transition démographique sanitaire et sociale que connaît le Maroc, ont engendré de nouveaux défis, qui mettent à rude épreuve le système national de santé. C’est notamment le cas du financement de la santé, de la pénurie des ressources humaines, de la qualité des soins, de la médecine préventive ou curative, l’accès aux soins et aux médicaments, le Ramed, la gouvernance du système ……..  

Des maux dont souffre notre système de santé depuis plusieurs années et qui s’accentuent avec la crise économique, qui frappe de plein fouet la plupart des pays du monde et qui n’épargne pas le Maroc.

Maladies chroniques

Le Maroc connaît une transition épidémiologique dans le sens d’un transfert de la charge globale de morbidité due aux maladies transmissibles et aux problèmes de la période périnatale vers les maladies chroniques , dont les plus fréquentes sont les maladies cardio-vasculaires, le diabète, les cancers et les affections respiratoires chroniques, des troubles psychologiques et psychiatriques et des maladies émergentes et ré-émergentes, notamment les urgences de santé publique de portée internationale. En effet, la situation sanitaire au Maroc se distingue par un net recul de la mortalité liée aux maladies non transmissibles traduisant un changement profond dans la structure épidémiologique du pays.

Le diabète

Les derniers chiffres nationaux dépassent les 10% pour les personnes âgées de plus de 20 ans. Et si l’on considère les tranches d’âge au-delà de 50 ans, la prévalence dépasse les 14%. Ainsi, aujourd’hui environ deux millions de personnes souffrent du diabète dans notre pays.

Dans le questionnaire ménage de l’ENPSF-2018, sur les 3238 personnes déclarées atteintes de diabète, 98,9% (98,7% en urbain et 99,3% en rural) ont mentionné avoir consulté un médecin qui a diagnostiqué la maladie et 92,2% parmi elles (92,4% en urbain et 91,7% en rural) affirment suivre régulièrement un traitement médical.

L’hypertension artérielle

L’HTA constitue le principal facteur de risque d’accident vasculaire cérébral et un facteur de risque important de morbi-mortalité cardiovasculaire, avec une relation linéaire entre le niveau de pression artérielle et le risque cardiovasculaire quel que soit l’âge.

Au Maroc, la prévalence de l’HTA, estimée à partir des déclarations recueillies au moment de l’enquête 2018, est de 6,8% attestant une augmentation de 1,4 point par rapport à l’enquête de 2011 qui l’estimait à 5,4%. Cette fréquence est plus élevée chez les femmes (9%) par rapport aux hommes (4,5%). Elle est plus présente en milieu urbain qu’en milieu rural (7.4% et 5.9% respectivement).

Selon les résultats d’une étude réalisée par la société marocaine de l’hypertension artérielle, plus d’un tiers de la population est concerné par l’hypertension artérielle. Cela représente plus de 10 millions de nos concitoyens, une prévalence  de 29,3%, ce qui représente un réel problème de santé publique.

Cancers

Selon les dernières analyses, plus de 48.000 nouveaux cas de cancers ont été diagnostiqués au Maroc en 2019. Le cancer du sein est la forme de cancer la plus répandue chez la femme au Maroc (35,8%), suivie du cancer du col de l’utérus (11,2%), du cancer de la thyroïde (8,6%), du cancer colorectal (5,9%) et de celui des ovaires (4,3%). En 2019, 10.414 nouveaux cas de cancer du sein ont été diagnostiqués dans le Royaume.

22,8% des hommes marocains atteints de cancer souffrent du cancer du poumon, le plus répandu et suivi du cancer de la prostate (12,4%), du cancer colorectal (7,8%), du cancer de la vessie (5,9%) et du lymphome non hodgkinien (5,7%).

Le cancer des poumons a touché 5.594 hommes en 2019, en grande partie âgés entre 55 et 59 ans.

Les maladies rénales

Au Maroc, l’insuffisance rénale est en pleine expansion. Nous enregistrons une courbe exponentielle depuis plusieurs années. Cette courbe n’a jamais fléchi.

Les maladies rénales toucheraient aujourd’hui, près de 3 millions de Marocains chaque année, et 3.000 à 3.500 personnes supplémentaires atteignent le stade ultime de l’insuffisance rénale chronique qui nécessite la dialyse ou la transplantation.

Fécondité

La fécondité au Maroc a connu une baisse tendancielle depuis le début des années soixante, et ce malgré quelques légères fluctuations, pour se situer autour de 2,38 enfants par femme en 2018, selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP).

En milieu rural, la fécondité  est de 2,55 enfants par femme en 2014, tandis qu’en milieu urbain, elle est de 2,01 enfants par femme, enregistrée en 2014, précise le HCP.

La contraception

Après 50 ans de planification familiale, les Marocains ont de plus en plus recours aux méthodes contraceptives modernes, avec un taux qui s’élève à 56,7%. Le recours à la pilule reste dominant par rapport aux autres moyens de contraception. Il faut souligner que le taux de prévalence contraceptive chez les femmes mariées de 15 à 49 ans a atteint les 67,4%  (2014) alors que ce taux ne dépassait pas les 19% en 1980

La mortalité maternelle et infanto-juvénile

La mortalité maternelle a connu une importante baisse au Maroc, en passant de 112 décès pour 100.000 naissances vivantes durant la période 2009-2010, à 72,6 durant la période 2015-2016, soit une réduction de 35%.

Le taux de mortalité infanto-juvénile (enfants moins de 5 ans) est passé de 30,5 à 22,16 décès pour 1.000 naissances vivantes entre 2011 et 2018, en baisse de 27%, et la mortalité néonatale a atteint un taux de 13,56 pour 1.000 naissances.

La santé des personnes âgées

Le Maroc vit une transition démographique caractérisée par l’augmentation de la proportion des personnes âgées de 60 ans et plus. Cette proportion représente 11% et va augmenter pour atteindre un quart de la population à l’horizon 2050.

64% sont atteintes d’au moins une maladie chronique, 20% sont diabétiques, 34% sont hypertendues. L’espérance de vie à la naissance est estimée à 76,1 ans.

La santé mentale au Maroc

Le Maroc a développé la prise en charge des maladies mentales grâce à la mise en place de nouvelles structures spécialisées comme la pédopsychiatrie qui est orientée vers la prise en charge des enfants, la psychiatrie de l’adolescent,  la géronto – psychiatrie , des structures d’addictologie, la psychiatrie des cas urgents, la psychiatrie en milieu scolaire.

S’agissant des données chiffrées relatives a la santé mentale au Maroc, j’ai eu recours au chiffres présentés lors du 33 congrès de la société marocaine des sciences médicales (SMSM)  2016 dont le thème était « la santé mentale au Maroc et au Maghreb».

Selon l’enquête nationale réalisée avec l’appui de l’OMS en 2003 sur la prévalence des troubles mentaux au sein de la population générale âgée de 15 et plus, il est apparaît que 48,9 % des personnes enquêtées ont connu au moins un trouble mineur au cours de leur vie (insomnie – angoisse – tic nerveux – trouble dépressif..).

26,5% de ces personnes ont vécu un trouble dépressif au cours de leur vie, soit un total de 3.333.000 Marocains de plus de 15 ans.

Quant aux troubles schizophréniques, ils touchent 1 % de la population marocaine de plus de 15 ans, soit près de 200.000 personnes.  La prévalence de l’abus de substances psychoaffectives est de 3 %, tandis que la dépendance est de 2,8 %. L’abus de l’alcool  atteint quant à lui 2 %, alors que la dépendance alcoolique est de 1,4%.

Obésité et surpoids

Au Maroc, l’obésité augmente de façon alarmante, à raison de 30% par rapport à l’année 2000.

 Une récente étude menée par le Ministère de la Santé démontre que plus de 20% de la population marocaine est obèse et que 53% sont en surpoids.

Près de 4 millions de marocains seraient même en situation d’obésité morbide. Des chiffres alarmants présentés lors de la 16e édition d’officine expo, un salon dédié aux professionnels du médicament, qui a eu lieu les 1er et 2 mars 2019 à Marrakech. L’obésité touche trois fois plus les femmes (29%) que les hommes (11%) et se constate davantage en milieu urbain (22,8%) qu’en milieu rural (14,9%).

Tabagisme

Le tabagisme constitue un facteur de risque pour la santé de l’être humain, puisque c’est un problème qui affecte non seulement le fumeur mais aussi son entourage. Cette mauvaise habitude a des effets négatifs sur plusieurs volets, à savoir le volet sanitaire, psychique, économique et social.

Dans le questionnaire ménage de l’ENPSF-2018, des informations recueillies auprès de tous les membres des ménages de l’échantillon âgés de 15 ans et plus sur le tabagisme montrent que 11,3% des individus âgés de 15 ans et plus fumaient, régulièrement ou occasionnellement, au moment de l’enquête. Cette proportion est beaucoup plus élevée chez les individus de sexe masculin (21,9%) par rapport aux individus de sexe féminin (1%).

L’alcoolisme

Les Marocains consomment en une année un total de 131 millions de litres, tous alcools confondus. 400 millions de bouteilles de bière, 38 millions de bouteilles de vin, 1,5 million de bouteilles de Whisky, un million de bouteilles de Vodka et 140 000 bouteilles de champagne.

Les aspects négatifs de l’alcoolisme sur la santé des individus et l’équilibre des familles, sont très lourds. La consommation inconsidérée d’alcool a causé en 2016 la mort de 341 personnes de cirrhose du foie et de 163 morts dans des accidents de circulation où le conducteur était en état d’ébriété.

D’après une étude de l’OMS en 2018 sur la consommation des boissons alcoolisées au Maroc, il est clairement spécifié dans le rapport de cette instance onusienne que 0,2% des consommateurs d’alcool, au Maroc, ont atteint un stade d’addiction et que 0,4% des consommateurs sont sujets à des troubles divers.

Les accidents de la voie publique

En 2019, le nombre de personnes tuées dans les accidents de la route au Maroc s’élève à 3.384, soit une baisse de 2,9% par rapport à l’année 2018, selon les statistiques du ministère marocain de l’équipement, du transport de la logistique et de l’eau.

Parmi les personnes mortes figurent 869 piétons, soit 25,68% de l’ensemble des personnes tuées, et 1.235 usagers des deux et trois roues (36,50% de l’ensemble des personnes tuées).

Les chiffres du ministère font aussi état d’une baisse de 1,83% du nombre d’accidents mortels qui se sont chiffrés à 3.010.

Quant au nombre des blessés graves, il a diminué de 3,53% pour s’établir à 8.417. En revanche, tous les autres indicateurs de la sécurité routière sont en hausse.

Ces chiffres montrent clairement que le Maroc est encore loin des objectifs de la stratégie nationale de la sécurité routière qui vise à réduire de 25% le nombre de morts dans les accidents de la route en 2021 et de 50% à l’horizon 2026.

Ce fléau entraîne une perte économique et matérielle annuelle équivalente à près de 2,5% du PIB.

Les ressources humaines

Selon les chiffres de la carte sanitaire du Maroc de 2019, les ressources humaines du secteur de santé public et privé se présentent comme suit :

Dans le secteur public, le corps médical se chiffre à 12.034 dont 3.857 médecins généralistes, 7.559 médecins spécialistes, 459 dentistes et 160 pharmaciens, le personnel infirmier 31.657, les techniciens sont au nombre de 3773 et le personnel administratif est de 2028.

Dans le secteur privé le corps médical avoisine les13.545 dont 5.190 médecins généralistes et 8.355 médecins spécialistes. Le nombre de pharmaciens d’officine est de 12.000.

Couverture sanitaire universelle

S’agissant du taux de couverture médicale, L’Assurance maladie obligatoire (AMO) profite à 34% de la population, et la généralisation du RAMED (12 millions) a porté le taux de couverture sanitaire à 62%. Ce taux reste faible par comparaison à de nombreux pays. Le Maroc espère atteindre un taux de couverture de 90%, grâce a l’adhésion des professionnels, travailleurs indépendants et travailleurs non salariés concernés par l’assurance maladie obligatoire , le Maroc va pouvoir atteindre et  mettra en place la couverture sanitaire universelle (CSU) en dépassant l’objectif de 90 % de population couverte d’ici 2021.

Enfin, il est à noter que le budget de la santé a connu une évolution constante, en passant de 11,88 milliards DH en 2012 à 16,33 MMDH en 2019. Les subventions allouées aux établissements publics et hôpitaux organisés en Segma (Services de l’Etat gérés de manière autonome) ont atteint 3,3 MMDH. S’y ajoutent les montants additionnels mobilisés pour accompagner la mise en œuvre du régime d’assistance médicale Ramed (près de 9 MMDH depuis 2007).

Les disparités sociales pèsent sur la santé

Tout d’abord, il nous faut mettre les points sur les i.

Il n’est pas question ici de sous-estimer tous les efforts qui ont été consentis pour doter notre pays d’infrastructures modernes (CHU  – hôpitaux spécialisés …) de technologies de pointe, de personnels de santé (médecins-infirmiers) et de compétences qualifiées.

Mais force est de constater que tous ces efforts n’ont pas abouti aux résultats escomptés. En cause, la mauvaise gouvernance de notre système de santé, le sous financement de la santé, un budget en deçà des réels besoins ( 6% en place et lieu de 10 % ) , la corruption un fléau qui ronge la machine ,  le gaspillage à outrance , que d’appareils , que de médicaments qui n’ont servi à rien,  le sabotage, le replâtrage, la pénurie chronique des ressources humaines ( médecins et infirmiers ) , la surcharge de travail, les multiples grèves, la démotivation…

En outre, il n’est pas de trop de dire qu’en 2020 au Maroc de la modernité, de la démocratie, de droits de l’Homme, ceux qui ont des moyens se soignent mieux, que ceux qui sont démunis. En d’autres termes, les riches se portent mieux que les pauvres et ont plus de chance de s’en sortir en cas de problèmes de santé. Vouloir prétendre le contraire, c’est tout simplement méconnaître la réalité.

Cela fait très mal, le constat après 64 ans d’indépendance est par endroit terrible, inquiétant et révoltant, face à l’inefficacité totale à prendre en charge les différents problèmes de santé, dont pâtissent à ce jour, nos concitoyens. Surtout ceux qui sont démunis, les pauvres, les chômeurs, les laissés-pour-compte, les personnes âgées en situation de précarité, ceux qui résident dans des zones difficiles d’accès, là où existe un désert médical.

Nous relevons que des citoyens meurent  à la suite de piqures de scorpions, de morsures de vipères, que des femmes enceintes décèdent lors des  accouchements dans des zones éloignées.

A l’évidence, nous ne sommes pas tous égaux face aux maladies et aux risques sanitaires.  Certains vont aller vite en besogne et dire que c’est là un tableau noir, que notre système de santé n’est pas si mauvais que ça. Je réponds tout de suite que c’est vrai, que malgré toutes ces insuffisances, malgré tous ces maux, malgré toutes ces anomalies, notre système de santé a le mérite de tenir debout combien même il vacille.

En outre , il est utile de rappeler ici pour ceux qui veulent comparer , qu’aucun système de santé au monde n’est parfait, que notre système de santé peut faire mieux à condition que sa gestion  soit confiée à des personnes compétentes , intègres , honnêtes ,  qui aiment le Maroc et qui on a cœur l’intérêt de la nation et  des citoyens.



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