Fin d’un règne non pas fin d’un régime…

«J’annonce, en tant que ministre de la Défense, la chute du régime et le placement en détention, dans un lieu sûr, de son chef». C’est en ces termes que, ce jeudi matin et après un soulèvement populaire qui a duré quatre mois et un mois de couvre-feu, le ministre soudanais de la Défense, Awad Ahmed Benawf, a annoncé, sur les ondes de la télévision d’Etat, que l’armée a procédé à l’arrestation du président Omar El Béchir, 75 ans, qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis trente ans et à son remplacement par un «conseil militaire de transition»; à charge pour celui-ci de remettre le pouvoir au président qui sera désigné par les urnes au plus tard dans un délai de deux années.

Le ministre a également annoncé qu’un couvre-feu sera imposé sur l’ensemble du territoire de 22 heures à 4 heures du matin (heure locale) et ce, pendant un mois.

Pour rappel, la décision d’augmenter le prix du pain prise le 19 décembre dernier par le gouvernement de Khartoum avait été la goutte qui avait fait déborder un vase déjà plein et poussé les soudanais à manifester en masse, dans toutes les villes du pays, pour dénoncer la dégradation spectaculaire de leurs conditions d’existence notamment depuis qu’en 2011 le Soudan du Sud avait fait sécession amputant le pays d’un territoire renfermant les trois quarts de ses réserves pétrolières et le poussant à faire face à une inflation de près de 70% par an avec une monnaie dévalorisée à l’extrême.

Mais que dire alors des évènements vécus par le Soudan ce jeudi 11 Avril 2019? Serait-ce réellement la fin d’un régime honni par une population meurtrie et le début d’une nouvelle ère ? Loin s’en faut et il est même très clair qu’en destituant Omar El Béchir, l’armée a tout simplement cherché à se débarrasser d’un homme devenu trop encombrant sans se dessaisir, par ailleurs, du pouvoir qui a toujours été le sien; une grossière manœuvre cousue de fil blanc tellement évidente que les meneurs de la contestation ne lui ont accordé aucun crédit.

L’armée étant donc resté aux commandes de l’Etat du fait même de son poids et de son rôle dans la marche du pays comme ce fut le cas en Egypte, au Zimbabwé et, récemment plus près de nous, en Algérie, les manifestants ont immédiatement rejeté le «coup d’Etat du régime».

Mais s’il va de soi que chaque pays a sa propre dynamique, il y a lieu de reconnaître qu’au Soudan l’armée est loin d’être « un tout homogène» car, comme le souligne Roland Marchal, du CERI-Sciences Po, il y a, d’un côté, «ceux qui veulent sauver les valeurs du régime tel qu’Omar El Béchir pouvait encore l’incarner » en faisant «perdurer l’islamisme» tout en laissant l’armée jouer «un rôle central» et, de l’autre, «ceux qui pensent que le salut du régime se trouve dans sa capacité à renouer avec la communauté internationale».

Il semblerait donc que ce jeudi, au Soudan, c’est un pan de l’armée qui se soit soulevé contre l’autre. Ainsi, lorsque les premiers ont essayé de garder le contrôle de la situation en offrant au monde la «fausse destitution» d’Omar El Béchir, les seconds ont sauté sur l’occasion pour les prendre de vitesse en formant un «conseil militaire de transition».

Enfin, au vu de tout cela, ce jeudi 11 Avril 2019, le Soudan aurait vécu la fin d’un règne – celui d’Omar El Bachir, figure incontestée d’un islamo-militarisme arabo-africain – mais non pas la fin du régime qu’il incarnait. Quoiqu’il en soit, attendons pour voir…

Nabil El Bousaadi

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