La fièvre des festivals

Saoudi El Amalki

Juste après de k’Aïd Al Adha, des villes du pays s’apprêtent à tenir leur festival annuel. Le fameux Mawazine ouvre bientôt le bal, de part et d’autre de la rive de  Bouregreg, au grand bonheur des mélomanes de la capitale. Une myriade de concerts se relaieront au fil de la saison estivale qui s’annonce déjà palpitante. D’une région à l’autre, les expressions rituelles et artistiques vibreront dans les espaces comme dans les salles, sous les ovations nourries des foules déchainées. Chaque région du royaume se distingue par sa propre couleur patrimoniale dont elle est fière, des décennies durant. De même, chaque localité s’ingénie à faire de sa culture ancestrale, la fête traditionnelle qu’elle organise en liesse conviviale. Cependant, voici quelques années seulement, le phénomène des festivals au Maroc prend de plus en plus de l’ascendant. Presque tous les coins du royaume arborent une activité où le festif et le cérémonial envoûtent les populations en hystérie. De Tafengoult à Zghanghen, en passant par Imilchil ou Abdallah Amghar, les exhibitions guillerettes font l’hilarité délirante. Outre les grands rendez-vous de la période de l’été qui draine des flots humains, empreints de vif enjouement, d’autres événements à thème meublent le paysage culturel dans maintes villes du pays. Un festival comme Timitar à Agadir ou encore Gnaouas à Essaouira entre autres, qui attirent des masses phénoménales, injectent, à tous les coups, des sommes faramineuses, pompées dans les contribuables. Souvent, ce sont des personnalités richissimes et influentes qui sont les artisans de telle envergure. Bien naturellement, on n’est nullement opposé à ce genre de rendez-vous qui font enchanter les grandes foules, partout dans le pays. Toutefois, il faut bien dire qu’en face de ces manifestations de grosse pointure, vivotent des activités qui ne manquent guère d’importance et d’utilité. Pour la majeure partie de festivals ponctuels, des militants bénévoles trouvent toutes les peines du monde à joindre les deux bouts d’une rencontre théâtrale, d’un récital poétique ou encore d’un show musical, dont le budget global ne dépasse point quelques dizaines de milliers de centimes. Un patelin reculé comme Erfoud dont les fils du terroir remuent monts et mers pour arrondir le montant des frais de la tenue annuelle de leur festival de théâtre en est, entre autres, un exemple criant. De même, pour une manifestation qui se déroule dans les confins montagneux d’Ida Ougnidif, les initiateurs endurent le martyr pour s’acquitter de leurs multiples dépenses. Et pourtant, ces activités quoique modiques, constituent une bouffée d’oxygène pour de nombreux jeunes citoyens avides de ce genre de rencontres défoulantes. Alors que dans nombre de ville, se tiennent des festivals qui, en revanche, sont entourés de tous les égards, puisque des fonds aussi bien du public que du privé y sont « généreusement » empourprés. Il y a lieu alors de déplorer cette attitude ségrégationniste, car d’une part, on met le paquet pour des manifestations onéreuses qui engloutissent des dizaines de millions de dirhams, pour la simple raison que, derrière, il se trouve des barons de renom, tandis que d’autres combattants de l’art et de la culture qui enfantent des merveilles, souffrent le calvaire afin d’honorer leurs factures. Un dilemme qui suscite des sentiments de frustration et d’injustice. Il est donc judicieux de procéder à des répartitions de fonds équitables en direction de toutes les compétences culturelles et artistiques, sans exclusion ni restriction, car les « petits » festivals que boudent certaines autorités et institutions publiques ou privées, sont souvent plus adaptés aux attentes du grand public, en termes de civisme et d’épanouissement de l’élément humain, centre de toute émancipation escomptée.

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