La leçon du « petit »

Ahmed Massaia

Il y a 36 ans, en 1986,  j’avais écrit un article que j’avais intitulé « la leçon du petit ». C’était en réaction à la participation honorable de notre équipe nationale au Mundial au Mexique et sa qualification aux huitièmes de finale. C’était dans le journal L’Opinion, il me semble. Aujourd’hui, le « petit » a grandi. Nos héros ont franchi l’étape du 1erv tour avec beaucoup de brio, avec un style, un contexte politique et économique différents. Aujourd’hui, 36 ans après (c’est long ! très long !), le Maroc renoue avec l’espoir, rêve plus grand et arrive à titiller l’égo des grandes nations du football de ce monde, celles-là mêmes qui le considèrent toujours comme un « petit », incapable de se hisser à la hauteur des puissants et qui tentent de l’y maintenir. Peine perdue ! Car le « petit » a grandi entre-temps et il faudrait dorénavant prendre en considération ses prétentions, légitimes du reste.

Hier, nos jeunes joueurs étaient sous l’ordre d’un étranger, et c’était peut-être normal tant étant donné le manque de cadres nationaux de qualité. Aujourd’hui, c’est un jeune cadre marocain qui marche à leur côté et rêve autant qu’eux à des lendemains qui chantent. Hier, le « petit » lançait un cri de joie après avoir osé relever la tête et défier l’impossible en battant l’une des nations européennes des plus performantes : le Portugal. Aujourd’hui, un jeune cadre marocain, sous les auspices de dirigeants footballistiques tout aussi éclairés, a su inoculer dès le départ à cette équipe le virus de la gagne et surtout celui d’une culture de l’investissement individuel et de la cohésion collective (sur cette notion cf. mon texte « culture et football » in Eloge et citoyenneté, Editions La Croisée des chemins, 2016).

Merci Walid ! « Tête d’avocat », « Sir !… Sir !… Sir ! », « Dir Enniya », autant de sobriquets colportés dans les travées des stades du Qatar et dans chaque demeure du citoyen marocain, des surnoms dont se gausse allègrement Walid Regragui, notre coach national, celui qui a su « rassembler » autour de lui de valeureux joueurs portés par l’amour inconditionnel de la patrie ; celui qui a su mettre à contribution son intelligence et ses compétences pour mettre en valeur celles de ses joueurs, talentueux et solidaires. Un coatch et ses joueurs, un staff technique, formant une belle équipe qui fait honneur à son pays et qui donne une leçon  de civisme et d’abnégation sans précédent à tous ceux qui doutent encore des capacités de ce peuple, à commencer par ses politiciens et ses dirigeants toutes catégories confondues (ministres, directeurs, présidents de sociétés et de clubs, etc.). Savoir mener un groupe de femmes et d’hommes est une vraie culture qui n’est pas inhérente à n’importe qui.

Après cette victoire historique autant que symbolique, quelle leçon en tirer, en effet, pour toute une société hier encore paralysée par le doute et l’expectative, pour une société empêtrée politiquement dans une gestion boiteuse et discriminatoire, malgré des réalisations épisodiques qui placent notre pays parmi les pays émergents les plus innovants. Après cette réalisation sportive, footballistique surtout,- car cette performance ne doit pas masquer notre déficit chronique dans les autres domaines sportifs), quelle leçon tirer de la gestion proposée par ce meneur d’hommes qui a su, en si peu de temps, redonner confiance à tout un peuple, insuffler l’esprit de cohésion et de détermination à toute une équipe pour viser l’excellence. Il n’y a pas de secrets ! Etre à l’écoute des administrés, leur faire sentir le devoir de la responsabilité vis-à-vis de leur mission et de la communauté. Le résultat, le monde entier l’a constaté et applaudi avec chaleur et respect. Battre successivement la Croatie, la Belgique, le Canada et … l’Espagne, ce n’est nullement le fruit du hasard. C’est ainsi pour notre diplomatie. Si nous égrenons succès après succès, c’est avant tout grâce à un homme : Monsieur l’Ambassadeur Bourita.

Peu importe qu’on aille aux demi-finales, ou même en finale, ce que tout un peuple appelle de ses vœux, bien entendu,- l’espoir est toujours permis pour qui veut atteindre le ciel étoilé du rêve –  ou se contenter de cet exploit inespéré, le but est plus qu’atteint. Walid Regragui nous a montré le chemin. Relever la tête, non pas par arrogance et forfanterie – tout le monde a pu remarquer son humilité et son humour décapant – mais par un travail intelligent, des stratégies efficientes, de la bonhomie mêlée de fermeté et de sérieux, des qualités qui n’ont pas manqué de déteindre sur tous les joueurs choisis parmi les plus talentueux et les plus performants de nos footballeurs dont Soufiane Lamrabet, cette cheville ouvrière infatigable, Hakim Ziyech, feu follet irascible au pied et au cœur en or , Achraf Hakimi, infaillible et somptueux, une charnière défensive infranchissable composée de Messieurs Naïef Aguerd, Roman Saïss et l’unique, l’immense, l’incomparable Bounou au regard flegmatique mais perspicace et tueur, Ennsiry parfois flamboyant et décisif et d’autres fois brillant par son absence (peu importe le génie est ainsi), Mazraoui, Boufal, Ounahi, Amallah, Ezzelzouli  et tous les autres ; 26 fauves insatiables de l’Atlas, en attendant le succulent Amine Harit pour lequel nous souhaitons un prompt rétablissement car il aurait ajouté de l’excellence à l’excellence.

Top