La transparence suggestive

L’artiste Hafid Marbou

Par M’barek Housni*

Leurs chairs brunes… ne semblent que de simples glacis laqueux sur un fond qui transparaît toujours (Delacroix, Journal, 1847, p. 243).

À défaut de trouver des chairs, on trouve un monde qui se rapproche du glacis qui se laisse voir nettement, se profilant d’un arrière comme d’un avant, miroité telles des plages de clarté lumineuses. Dans le travail de cet artiste, cet arrière clair fait un plan par en dessous. Il est  représenté par une couche, ou plusieurs couches, dont le rendu assiste le plan du devant et ce qui s’y étale comme éléments paraissant flotter au sein de la toile, lentement et assurément comme dans un milieu océanique, loin du bruit des flots. Un flottement assuré et dominé. Une peinture n’étant jamais créée d’une seule couche mais de tant de couches jusqu’à une phase définitive, qui est la réalisation finale, son existence réelle. On peut rapprocher cela du temps, des différentes durées de croissance qui concourent à donner corps à un étant. Le tableau chez Hafid Marbou exécute ce schéma avec minutie, donnant à la fin une vision transparente.

C’est cette transparence qui est le premier élément signifiant qui accroche le regard. Le mot contient ce « trans » qui veut dire « à travers », et bien des choses passent dans l’abstrait lumineux qu’affectionne Hafid Marbou. Il est contre le voile, contre ce qui est caché. Le brun paletté en formes rectangulaires proposées de manière circulaire laisse voir un fond limpide tout en étant eux-mêmes limpides. Prouesse de peinture avec des couleurs différentes. Une couleur plutôt terne qui dévoile, voilà une question qui mérite qu’on s’y arrête. Était-ce sous l’effet de la dilution, tant technique que thématique ? Dans le sens de la séparation de composants tout en les suspendant l’un à l’autre,  côte à côte, tous visibles par ce fait même.

Ici, elle est entrevue via deux couleurs voisines mais de teintes différentes, l’une appuyée et l’autre frôlée, déposée par frôlement léger. Ou bien en s’appuyant sur un plan qui donne directement de la lumière. Enfoncer délibérément sans nulle intention de noyer. Comme la vie entre deux désirs, disputée par deux directions.

C’est une possibilité intéressante, puisque cette solution prise ainsi, nous met au contact de la transparence comme regard porté sur le monde.  Les formes en couleurs essaient de sortir des zones de l’opacité première qui est la stature de tout être pour véhiculer leur vérité. L’art consistant à rendre visible ce qui est enfoui. Dans les tableaux que l’artiste a peints depuis 2006, on retrouve cette dimension apparente. Les formes baignent comme dans un liquide dont la blancheur, dans la plupart des cas, ressemble à un fond où l’obscurité n’a pas d’effet malgré les couleurs souvent qui tirent vers ce qui est plutôt sans éclat. Le brun, le bleu foncé, le vert, l’orange bruni,…

Et cela se réalise selon un choix qui privilégie l’économie des éléments mis en œuvre dans l’espace du tableau. Une seule couleur est employée, domine le tout dans sa réalisation en rond, en courbe, en rectangles agencés, explosée ou déposée tranquillement. Pourtant on est loin de la monochromie du fait justement de la thématique de la visibilité lumineuse. C’est la solitude se suffisant à elle-même. Une couleur dans cet abstrait circoncis reflète l’âme à l’aune des sentiments éprouvés. D’un plein de blanc, on sort embrasser et la terre et le soleil, et les entrées (tableaux montrant des esquisses de porte en arc) nous font accéder dans un sens comme dans un autre, vers la recherche d’une satisfaction intérieure. Même les brisures ajoutées y participent. Les lignes dégoulinantes d’en haut, ces taches plaquées et presque chaotiques malgré le peu de place qu’elles occupent par-dessus les couches d’avant. Elles ajoutent du fait de leur état d’ajout un brin de sincérité à la recherche.

C’est un état d’abstraction au lyrisme fait pour relier le plaisir visuel, comme des murs d’étapes à franchir, à arriver à la satisfaction que Littré définissait ainsi : « Sentiment agréable que nous éprouvons quand les choses sont à notre gré ». C’est le cas ici, dans la mesure où ce qui est agréable l’est aussi pour l’intellect, cette capacité à apprécier le message des blocs de couleurs et des formes comme les nommait Gilles Deleuze la peinture.

*Écrivain et chroniqueur d’art

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