L’artiste Abdallah Oulamine expose à Dar Souiri

Lettre inspirante

Par Mbarek Housni

En art tout est possible, quand le possible rime avec l’infinité des propositions qu’il permet d’acquérir, et qu’il permet d’imaginer comme créations par la suite. Prenons la lettre d’un alphabet, cet élément premier, présidant à tout texte, qui sans lui n’existerait pas. Elle est avant tout une forme, une existence formelle propre. Elle se prononce, donc existence sonore. Elle se lit, donc existence écrite. Mais elle peut aussi être existence muette, ou parlante autrement, comme dans l’art plastique. Cela a été fait et investi, et Abdellah Oulamine y apporte sa touche personnelle, lui fournit une existence plastique, dans ses récentes créations artistiques. Il fait ses choix au sein de l’alphabet arabe, amazigh et hébreu, mais un choix ciblé. Les lettres qui ont une charge symbolique évidente, d’où leur placement au centre du tableau. Le ه  connu pour avoir deux yeux, pris seul ou dans le mot هو  comme désignation d’un être réel ou caché, ou supérieur tel que l’ont longtemps explicité les érudits soufis. Il y a aussi le و  et le ط , tout aussi symboliques. Dans le registre hébreu, l’artiste prend comme modèles de signification les lettres qui donnent les son ch et ح , qui ont des formes à deux piquets dirigés vers le bas ou des branches dirigées vers le haut. On ne peut s’empêcher de penser ce qu’avait écrit Ibn Arabi : «  saches que les lettres sont une communauté parmi d’autres à qui la parole est adressée et la charge [d’assumer les responsabilités] est confiée ».

Ainsi, on est confronté à des présences flagrantes que l’artiste rehausse par un travail supplémentaire sur la lettre elle-même, comme pour signifier sa richesse et sa disponibilité à la production d’un sens différent. Il la rehausse dans un deuxième temps par un arrière-fond complémentaire. La lettre est souvent baignée ou semble découpée dans un manuscrit, et donc mise en évidence, détachée sans être coupée de son environnement normal où elle est depuis toujours, participant à la création d’un monde de symboles et de significations, c’est-à-dire le texte, mais pris ici comme matière plastique,  motif de tableau.

Manuscrit enchanteur

Le manuscrit qui est donc un autre lieu du travail artistique prisé par A. Oulamine. Il est cette autre ouverture offerte par l’art. Il a une existence antérieure, celle d’avant d’être un livre, par exemple, et il a une existence postérieure lorsqu’il ne sert plus comme outil à lire, monde à lire, mais comme objet de collection, oublié ou admiré, et Oulamine en y créant et en y œuvrant se situe entre ces deux pôles, et lui donne une troisième existence.

On en sort avec l’idée d’un processus qui recèle une beauté gorgée de mystère, quelque chose comme une écriture pour l’œil,  à admirer et non sujet de lecture savante ou informative. Un mystère en relation avec le temps. Car le manuscrit utilisé est un reliquat conservé, lu en son temps, touché, palpé, déplacé,  caché, montré. C’est toute cette temporalité accumulée qui lui donne son cachet qui frôle l’éternité. Un objet éternel, et de ce fait y apporter un surplus en le découpant ou en le réemployant en autre emplacement comme le fait l’artiste, c’est actualiser ce caractère d’éternité.

Abdellah Oulamine confronte ainsi le monde de l’écrit via ce qui les représente dans leur réalité pour en faire jaillir ce spirituel tapi qui leur donne ce pouvoir d’émerveiller. Ne sont-ils pas prisés à des fins de guérison ou d’enchantement dans toutes les cultures, anciennes ou modernes ?

Mais au fait, la démarche de l’artiste se déploie dans la continuité de son parcours entamé il y a des décennies, avec le pointillisme dont il est maître. Que ce soit dans la lettre elle-même, ou en considérant les lettres d’un manuscrit retravaillé tel un monde de points de différents volumes.

Dans un autre registre, mais non loin de cet univers, Abdellah Oulamine recherche une certaine diaphanéité dans ses approches, ce qui est et n’est pas, qui passe par l’objet tout en y étant. Cela est visible dans ses tableaux du noir et blanc ou du blanc et brun où s’étalent des formes transparentes. On y distingue des références au réel, des êtres, des plantes, des terres, des cieux,  des oiseaux, des constructions. Un art de la composition tout aussi mystérieux que la composition dont ont été sujets la lettre et le manuscrit.

Cela ressemble à l’introspection consciente. Comme lorsqu’un poète explore le monde et sa relation à lui via ce que cachent les mots et non ce qu’ils désignent.

Essaouira, Dar Souiri, du 30 novembre au 11 décembre 2021.

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